Des ayants droit pas toujours bien intentionnés

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 18 mars 2015 - 855 mots

Par maladresse ou par cupidité,
les exemples d’ayants droit d’artistes, veuves ou « fils de », familles proches ou recomposées, qui empêchent la reconnaissance d’une œuvre ne manquent, malheureusement, pas.

Les histoires d’ayants droit ne finissent pas toujours bien. Preuve en est, l’avocat Emmanuel Pierrat leur a consacré Familles, je vous hais ! en 2010, récit de successions épiques jalonnées de querelles intestines. Parmi celles-ci, l’histoire archiconnue de l’imbroglio Picasso, mort sans laisser de testament et père d’enfants naturels et légitimes. À ce chapitre, le film d’Hughes Nancy, Picasso, l’Inventaire d’une vie sorti l’an dernier, retraçait avec une précision plus redoutable encore cette saga. La large famille est d’ailleurs toujours sur le qui-vive et sa réputation n’est plus à faire en matière de protection de ses droits. Pierrat relate beaucoup d’histoires d’écrivains (Larsson, Borges, Joyce) mais peu de peintres. Pourtant, les cas de Picasso ou d’Artaud ne sont pas isolés. La famille Malevitch avait en effet profité en 2003 d’une exposition amenant sur le sol américain des œuvres appartenant au Stedelijk Museum d’Amsterdam pour réclamer quatorze d’entre elles. Au terme d’une longue bataille judiciaire, ils obtinrent cinq œuvres de la ville d’Amsterdam en dédommagement d’une acquisition
soi-disant contestable dans les années 1950. La rancune est tenace. L’intérêt pour l’art devait plutôt être négligeable puisque les héritiers étaient prêts à simplement se contenter de la valeur monétaire des tableaux.

Vivian Maier, un cas d’école

Récemment, des batailles juridiques ont été engagées entre un héritier lointain de la photographe Vivian Maier, sensation des dernières années, découverte par hasard dans une vente de liquidation judiciaire. Depuis, ses images exceptionnelles ont sillonné le monde, fait l’objet de deux films (Finding Vivian Maier et Who Took Nanny’s Pictures ?) et, bien sûr, attiré les convoitises. Le New York Times rapportait récemment qu’un avocat, Davic C. Deal, s’était mis en tête de retrouver la famille de cette dame Maier, contrarié que son œuvre rapporte des millions à des personnes qui ne la connaissaient même pas ! Visé directement, le charismatique John Maloof, ancien agent immobilier et promoteur de ces photographies acquises pour 400 dollars en 2007, avait lui-même engagé des généalogistes pour acquérir auprès d’un lointain cousin de la défunte, le copyright des images. Mais Deal a trouvé finalement un autre membre de la famille et l’a convaincu de porter l’affaire devant les tribunaux afin d’être considéré comme un héritier. L’affaire est en cours d’instruction et le copyright suspendu. Elle prendra des années à trouver un épilogue et, en attendant, l’œuvre risque d’être retirée des galeries qui la commercialisent, des musées qui l’exposent. Une nouvelle fois, l’œuvre de Vivian Maier pourrait disparaître de la vue. C’est le risque qu’encourent les œuvres prises au milieu de ces batailles de succession. Bien sûr, impossible de parler des autres cas, bien plus courants, de ces ayants droit qui pratiquent des grilles tarifaires exorbitantes pour les reproductions et prêts des œuvres, de ceux qui veulent intervenir dans l’esprit d’une exposition pour mettre mieux en valeur leurs possessions (et augmenter leur cote), de celles et ceux, encore, qui exigent un droit de regard sur le contenu éditorial avant de rendre accessible les visuels. Ces histoires sont légion chez les éditeurs et les musées, souvent confrontés aux caprices des ayants droit préférant parfois annuler les prêts par manque de contrôle. Impossible évidemment de rapporter nommément ces cas, sous peine de poursuites pour diffamation, ces ayants droit-là ont le pouvoir. 

Exposition : Charles Pollock au guggenheim de Venise

En dédiant toutes les salles d’exposition temporaire à la rétrospective de Charles Pollock, le directeur du Guggenheim de Venise, Philip Rylands, a cherché à donner l’envergure la plus précise possible au parcours de l’aîné de la fratrie Pollock. Tandis que Mural de Jackson, imposante toile de sept mètres de long réalisée en 1943 pour les appartements de Peggy Guggenheim, se déploiera dans le musée, le public découvrira les dessins et toiles réalistes de la première période, lorsque Charles suivait les cours du régionaliste Thomas Hart Benton à l’Art Students League entre 1926 et 1932. Il lui faudra des années avant de s’affranchir de l’emprise de ce maître, jusqu’au début des années 1950, lorsqu’il entreprendra une série de dessins calligraphiques. Le parcours qui émaillait jusque-là les œuvres de Charles Pollock d’archives, de toiles de Benton ou de Jackson (et même de Sandford, un autre frère), mais sans forcer le trait des ressemblances, s’appuie ensuite sur les séries de Charles.
La graphique et mexicaine Chapala (1956), les impressionnantes toiles sombres aux ombres abyssales des Black and Gray (1960), la série romaine, déchirée de « zips » puissants (1962-1963), la couleur s’impose peu à peu jusqu’aux dessins de 1964, vibrionnants. Les abstractions des années suivantes aimantent : Charles est un coloriste puissant comme en témoigne le fascinant accord de rose et de jaune acidulé Gregoire (1966). Cela n’avait d’ailleurs pas échappé à Clement Greenberg. L’art de Charles Pollock ne porte pas en lui l’inquiétude de Jackson, sa fulgurance. Il se déploie avec une lenteur posée et, salle après salle, la force tranquille de cet œuvre peint qui avait bien failli nous échapper, se fait évidence. L’aventure ne fait que commencer, il faut le souhaiter.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°678 du 1 avril 2015, avec le titre suivant : Des ayants droit pas toujours bien intentionnés

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