Législation

Délais de prescription : la loi bouscule le code civil

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2008 - 1627 mots

Le Parlement a modifié, par une loi du 17 juin 2008, les délais de prescription de droit commun. Ce changement a des conséquences non négligeables dans le domaine du marché de l’art.

Il faudra probablement des années pour mesurer l’impact des changements importants apportés aux dispositions du code civil par la loi du 17 juin 2008 sur la prescription en matière civile. Cette réforme était attendue depuis longtemps par les professionnels du droit et les magistrats, la Cour de cassation ayant elle-même à plusieurs reprises insisté sur la complexité du dispositif français accentuée par les ajouts successifs de prescriptions spéciales. Mais le code civil est une institution, le socle du droit français (comme celui d’autres pays européens auxquels le reflux des armées napoléoniennes l’a laissé en héritage). On prend donc beaucoup de précautions avant d’y toucher.
L’exposé des motifs précise notamment que « le système juridique doit savoir évoluer pour tenir compte du mouvement d’internationalisation des agents économiques et des citoyens, ainsi que du mouvement d’accélération des processus en perpétuelle mutation ». On voit même citer, ce qui était naguère impensable pour justifier une modification de ce code « monument », les délais des pays voisins. Bref, le code civil est obsolète sur ce sujet. En conséquence, les choses ont été faites en grand puisque la loi a pratiquement réécrit l’essentiel des dispositions liées à la prescription « extinctive ». Le législateur a tranché sur la question des délais, au-delà même de ce qui était préconisé par les spécialistes, sans s’interdire des incursions dans des codes et textes parallèles, en particulier le code de commerce.
Premier inventaire de ce qui a changé et des effets possibles pour les professionnels.

Exit la prescription trentenaire : tout à cinq ans
On faisait auparavant référence à la prescription de trente ans comme délai de droit commun parce que l’articulation du code civil faisait apparaître sous l’en-tête « De la prescription » un article no 2262 (ancien) stipulant que « toutes les actions, tant réelles que personnelles, [étaient] prescrites par trente ans ». C’est ce délai auquel se référaient les professionnels lorsqu’ils s’inquiétaient d’actions tardives, notamment celles en nullité de vente.
La nouvelle rédaction du titre consacrée à la prescription extinctive pose spectaculairement, sous le titre « Du délai de droit commun et de son point de départ », un délai de cinq ans stipulé par l’article 2224 (nouveau) : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
Dans la foulée, le législateur a également modifié l’article L. 110-4 du code de commerce, pour réduire à cinq ans (au lieu de dix) le délai des « obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants, si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ».
On notera que, tout en abrégeant considérablement la durée de prescription, la loi la fait débuter à partir de la connaissance des faits.
D’une certaine manière, on retrouve la situation existant dans les actions en nullité de vente, pour lequel le code civil (art. 1304 inchangé) prévoit que « lorsque l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans. Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts ». Cette stipulation a été maintenue et n’est pas contradictoire avec le nouvel article 2224.

Le butoir à vingt ans, les ventes publiques à cinq
Faisant disparaître l’ancienne prescription trentenaire, le législateur s’est préoccupé de définir une date limite d’action qui apparaît dans les dispositions relatives au cours de la prescription extinctive, à l’article 2232 (nouveau) : « Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. » Dans ce libellé, le butoir effectif semble effectivement limité à vingt ans, puisque la computation du délai se fait à partir de la « naissance du droit », qui semble a priori clairement disjointe de la connaissance des faits permettant de l’exercer. Toutefois, dans les rapports et débats, les parlementaires se gardent de trancher les querelles doctrinales sur la nature de la prescription, déterminant in fine son mode d’exercice, de sorte qu’une incertitude peut subsister.
Par ailleurs, restant dans la tradition d’une réglementation d’exception pour les ventes aux enchères, le texte (art. 9) a réduit à cinq ans le délai d’action en ventes publiques, lequel avait été fixé à dix ans par la loi de réforme de 2000, en modifiant l’article L. 321-17 du code du commerce. La loi de 2000 avait fait courir le délai à compter de l’adjudication, ce qui reste sans changement, de sorte que les ventes publiques françaises auront désormais un délai de garantie similaire à celui appliqué chez leurs voisins et concurrents.

Prescription négociable
Dans la tradition juridique française, l’idée de négocier des règles fixées par des codes est pratiquement absente. On distingue certes les dispositions légales d’ordre public, seules à ne pouvoir faire l’objet de dérogations contractuelles, mais les règles de prescription font partie des cadres juridiques imposés. À cet égard, on peut dire que le nouveau texte s’ouvre à la liberté des conventions dans une optique plus anglo-saxonne que continentale.
Sous l’intitulé « De l’aménagement conventionnel de la prescription », l’article 2254 nouveau stipule que « la durée de prescription peut être abrégée ou allongée par accord entre les parties ». Cet assouplissement est toutefois relatif, la durée négociée ne pouvant être inférieure à un an ou supérieure à dix ans.
Reste à savoir si cet accord devra être exprès ou pourra résulter de conditions de vente (telles que facture ou catalogue). Tenant compte des habitudes nationales, hostiles aux « clauses en petits caractères » des contrats dits « d’adhésion » (type police d’assurance) – que les tribunaux refusent le plus souvent de valider –, il vaut mieux considérer que ce type d’accord doit être formellement accepté par les co-contractants, comme on le faisait pour les clauses de réserve de propriété. La porte est toutefois entrouverte et, sur le marché de l’art, peut trouver à s’employer selon les types d’œuvre. On sait, par exemple, que les ventes de bijoux/joaillerie font l’objet de délais très courts (quelques jours ou quelques semaines) dans les ventes anglo-saxonnes. Peut-être verra-t-on se développer, notamment par voie électronique, des modes d’acceptation expresse des conditions générales de vente.
Toutefois, dans le contexte très français de la jurisprudence sur la nullité des ventes pour erreur ou dol, il n’est pas certain qu’un délai raccourci, même acté expressément, ne puisse être mis en cause en même temps que le contrat de vente attaqué, sauf à stipuler que cette disposition est disjointe du contrat et continuera de s’appliquer même en cas d’annulation (on trouve ce type de construction dans les contrats internationaux pour la détermination du juge du contrat et/ou du droit applicable). Les tribunaux seront probablement appelés à arbitrer ce type de contestation.

Responsable pour combien de temps ?
S’agissant de délai d’action, le législateur n’est pas rentré dans le détail des catégories d’actions, en particulier entre la responsabilité directe, contractuelle, qui peut découler d’un contrat de vente, et la responsabilité civile qui sanctionne les fautes, négligences ou imprudences, que ce soient celles d’un commissaire-priseur ou
celles d’un expert.
Si on recense les divers cas de figure après cette réforme, on peut considérer que les opérations en ventes publiques, concernant les SVV et les experts agissant pour leur compte, sont nettement limitées à un délai de cinq ans calculé à partir de l’adjudication. Doit cependant être réservée la question des actions en nullité de vente, éventuellement dirigées contre le commissaire-priseur. Ici, le délai de cinq ans de l’article 1304 court à partir de la découverte de l’erreur. Le délai maximum serait dans ce cas plafonné à vingt ans au lieu de trente, sous réserve du cas du dol dont certains auteurs considèrent qu’il ouvre le délai (1). Mais comme les actions en nullité, même initialement dirigées contre le commissaire-priseur, se résolvent la plupart du temps par la mise en cause du vendeur (et parfois de l’acheteur), les SVV pourront, comme par le passé, dévier ces actions en révélant l’identité des parties à la transaction.
Les actions contre les marchands seraient en principe limitées à cinq ans, mais comme des actions en nullité peuvent être dirigées contre eux, le même raisonnement permet de considérer que la date butoir de telles actions serait de vingt ans.
Pour les experts agissant hors ventes publiques, dont la responsabilité contractuelle peut être recherchée par leurs commettants (marchands notamment), ou la responsabilité civile par des tiers (acheteurs en particulier), le délai serait normalement de cinq ans « à partir de la connaissance des faits », puisque, dans la nouvelle rédaction du code civil, l’article 2270-1 qui prescrivait par dix ans les actions en responsabilité civile extracontractuelle n’est plus mentionné.
L’article 2224 (nouveau) et son délai de cinq ans décompté à partir de la connaissance des faits met, si l’on peut dire, tout le monde d’accord : cinq ans mais avec un risque pendant vingt ans, sauf pour les ventes publiques.
In fine, la question a fait un pas en avant, indiscutable pour les ventes publiques, moins marquées pour les autres. Dans le contexte de l’internationalisation du marché de l’art, c’est toutefois un acquis.

Loi no 2008-651 du 17 juin 2008 – J. O. du 18 juin 2008.

(1) lire, en ce sens, François Duret-Robert, Droit du marché de l’art, Dalloz, 2004.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°291 du 14 novembre 2008, avec le titre suivant : Délais de prescription : la loi bouscule le code civil

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