De la salle des ventes au garde-meuble

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 24 juillet 2007 - 558 mots

La vente le 26 février de 78 pièces de la collection du marchand genevois Pierre Huber chez Christie’s New York soulève plusieurs problématiques. Celle d’abord du marché des œuvres monumentales, puisque la plupart des pièces proposées relèvent d’un domaine davantage muséal que privé. C’est le cas du gigantesque Test Room, de Mike Kelley, estimé 800 000 dollars-1,2 million de dollars (615 000-922 800 euros) ou encore du Dinner Party, de Jim Shaw, évalué entre 400 000 et 600 000 dollars. Habituées de la section « Art Unlimited » à la Foire de Bâle, les œuvres XXL apparaissent à dose homéopathique dans les catalogues de ventes. En novembre 2006, une gigantesque installation de Mike Kelley a toutefois été adjugée au prix record de 2,7 millions de dollars chez Phillips. Quel est le degré de risque pour des auctioneers plutôt portés sur des œuvres prêtes à accrocher ? « On verra après la vente, observe Amy Cappellazzo, spécialiste de Christie’s. Les artistes sont très recherchés. Les mentalités ont aussi changé. Les gens sont de plus en plus habitués aux garde-meubles. Parfois ils achètent en se disant qu’ils ne verront la pièce que [placée] en dépôt dans un musée,un jour. Avec l’art actuel, il faut mettre de côté les idées pratiques et les conventions. Quand on achète des dessins, il faut savoir quel rapport on a avec la lumière. Quand on achète de l’art contemporain, il faut savoir quelle est notre relation au garde-meuble ! »
S’ils s’adaptent de plus en plus aux volumes des œuvres, les collectionneurs vont aussi jusqu’à se plier aux protocoles les plus cocasses. Now Let’s Play to Disappear (2002), de Carlos Garaicoa, présentée par la galerie Continua (San Gimignano, Italie) sur « Art Unlimited » en 2005, exigeait ainsi beaucoup de son acheteur potentiel. Composée d’une grande table couverte de bougies et dotée de trois caméras, la pièce était livrée avec un set d’environ 300 cierges et des moules permettant de les fabriquer à l’identique. Hors de question de les remplacer par de vulgaires autres bougies ! L’œuvre s’accompagnait aussi d’un plan indiquant quelles bougies devaient être allumées ou éteintes. Sur la même foire, la galerie Catherine Bastide (Bruxelles) proposait une sculpture monumentale de David Colosi en hommage à l’artiste Ed Kienholz. Selon les règles édictées par l’artiste, le collectionneur allemand qui l’a achetée devra un jour… l’enterrer !

Recherche en virginité
En dépit de l’indéniable qualité des pièces, la collection Pierre Huber pose une autre question, celle de la virginité des œuvres recherchée par les acheteurs. Comment ces derniers réagissent-ils face à des pièces exposées pour la plupart d’entre elles en 2005 (au Musée cantonal des beaux-arts à Lausanne) ou acquises récemment pour une minorité, à l’instar de Flying Rats de Kader Attia, estimée à 60 000 dollars, et emportée pour 60 000 euros à la Biennale de Lyon il y a deux ans ? « Depuis environ cinq ans, je constate qu’il n’y a pas de tabou, souligne Amy Cappellazzo. Aujourd’hui, les gens qui veulent une œuvre ne se soucient pas de savoir pendant combien de temps quelqu’un l’a gardée. Le marché est plus large [et comprend] différentes strates de collectionneurs. Les pièces ne sont d’ailleurs pour la plupart pas connues des Américains et n’ont jamais été exposées aux États-Unis. » Si les collectionneurs n’en ont cure, tel n’est pas nécessairement le cas des artistes…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°253 du 16 février 2007, avec le titre suivant : De la salle des ventes au garde-meuble

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