Peinture

David Salle en grand chambardement

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2017 - 790 mots

Chez Thaddaeus Ropac, les nouvelles toiles de l’artiste semblent jouer avec l’image et l’abstraction. Ce bric-à-brac de motifs s’enchaînent dans un élan spontané, mais maîtrisé.

PARIS - David Salle parle de ce « sentiment étrange d’être au monde aujourd’hui ». On comprend vraiment ce qu’il veut dire en découvrant ses « New Paintings » qui figurent un univers complexe, chaotique, où les éléments qui le composent se télescopent, se juxtaposent et se connectent de façon à créer des situations fantasques, fantaisistes, décalées.

Nul doute, chez lui le monde a la tête à l’envers et bringuebale de partout. Mais avec humour. Ici une voiture verte est dressée verticalement, là, une autre de couleur rouge est sur le toit. Ailleurs une chaussure de type boots, dont on voit plus la semelle que le dessus, semble mettre le pied dans une immense tasse remplie d’un liquide vermillon, de même que, dans une autre toile un mug est surmonté d’un visage tête-bêche. Car David Salle chamboule tout, les échelles, les plans, les perspectives. Certains de ses objets sont peints de façon très frontale, là, en grand sous nos yeux, comme s’ils allaient nous sauter au visage. Dans The Acrobat, une voiture, poussée par une imposante tranche de pastèque, semble nous foncer dessus ; dans Big Boot, une énorme gaufre dont la trame rappelle une architecture moderniste, donne l’impression de sortir de son premier plan pour quitter son cadre et tomber à nos pieds. Pour augmenter encore ce désordre généralisé, des restes d’images du magazine Life, datées des années 1950-1960, sérigraphiées, puis recouvertes par la peinture, émergent par endroits. Dans Lunchtime un morceau de tissus circulaire est même carrément collé à la surface.

En fait, dans chaque toile, mais aussi d’une toile à l’autre, tout s’enchaîne avec une concaténation formelle permanente : telle figure en appelle une autre, qui en amène une autre à son tour et ainsi de suite. Et si certaines d’entre elles sont récurrentes, comme la voiture, c’est parce que « c’est une grande forme, une forme fantastique qui permet une multitude de perspectives et de plans différents. Je peux la déployer, ouvrir ou fermer la ligne, tout est possible », précise l’artiste. Il ajoute : « Car je suis un peintre de forme, un form maker, un form giver, un form interpreter. La forme est le langage de ma peinture, elle est un champ lexical. Je l’agence comme on agence des mots. C’est elle qui permet l’émotion, les associations, l’histoire que chacun peut s’inventer, car je ne cherche pas de narration particulière. »

Une gestuelle libre et dynamique
Cette manière de travailler sur les lignes, et surtout sur la ligne courbe, donne beaucoup de mouvements aux images. La figuration n’est ainsi jamais statique, d’autant qu’elle est aussi plus ou moins conjuguée à une abstraction toujours présente sous la forme de gestes, de balayages de couleur, de taches impulsives, qui dynamisent encore plus la composition. Si cette façon de décliner des formes et d’y glisser un langage abstrait apparaît clairement dans les grands formats du rez-de-chaussée, elle est encore plus patente dans la série des formats moyens du premier étage. Pour cette série d’aquarelles et crayons gras sur carton marouflé sur toile, David Salle s’est appuyé sur le projet du monument à Apollinaire réalisé par Picasso. D’un cercle, Salle fait une roue de vélo qui devient bicyclette, qui devient une paire d’yeux, etc.

On sent qu’avec l’âge (il est né en 1952 dans l’Oklahoma et vit aujourd’hui à Brooklyn), David Salle fait preuve d’une facilité, d’une spontanéité, d’une maîtrise qui donnent, tel un coup de poing, encore plus de force à ses œuvres que par le passé. D’ailleurs lorsqu’on lui demande comment il travaille, comment les figures arrivent sur la toile, quel est leur ordre d’apparition s’il y en a un, l’artiste répond clairement : « Je peins très intuitivement, je commence par une image, une couleur, un état d’esprit et beaucoup d’ouverture comme s’il s’agissait d’une improvisation musicale. Il n’y a pas de préparation particulière, sauf celle d’avoir l’expérience de 35 ans de travail, pas d’a priori, pas de destination. »

Une belle carrière donc, qui explique des prix compris entre 50 000 dollars pour les plus petits formats (62,2 x 48,3 cm) et 280 000 dollars pour les plus grands (289 x 213 cm). Assez conséquente, cette cote s’explique aussi pour deux raisons. La première, Salle est américain. La deuxième : il n’est pas n’importe quel américain, puisqu’il fait partie de cette génération artistiquement née à la fin des années 1970 et au début 1980 et qui associe donc son nom, depuis cette époque, à celui de Basquiat ou de Schnabel. Une image de marque en somme.

DAVID SALLE

Nombre d’œuvres : 31
Prix : de 50 000 à 280 000 $

DAVID SALLE

Jusqu’au 25 février, galerie Thaddaeus Ropac, 7 rue Debelleyme, 75003 Paris, tél. 01 42 72 99 00, www.ropac.net, du mardi au samedi 10h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : David Salle en grand chambardement

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