Galerie - Sculpture

ART CONTEMPORAIN

Corine Borgnet, la sculpture jusqu’à l’os

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 16 janvier 2020 - 649 mots

« Le Dernier Souper » à la Galerie Delaunay marque la transition du bestiaire grinçant fait d’os à un univers plus inquiètant encore.

Paris. Que d’os, que d’os ! Et surtout des tout petits. Cela fait maintenant deux ans que Corine Borgnet est tombée sur des os et a décidé d’en faire, pour un temps, son matériau principal parallèlement à la peinture, au dessin, à la vidéo. Des os et carcasses qu’elle récupère aujourd’hui auprès de son volailler après avoir, dans les premiers temps, beaucoup mangé de volailles – il ne faut plus aujourd’hui lui parler d’un repas avec du poulet. On la comprend. Car après avoir rapporté les os, il lui faut les gratter, les laver, les récurer – un programme alléchant en somme. « Ce sont ceux d’Autruche qui puent le plus », confie-t-elle. Et le plus gros est celui d’une épaule d’agneau. Une fois les os propres, elle les trie par taille, par spécificité, par rareté, puis les range afin de les avoir à disposition pour les assembler et les coller. « C’est comme avec des Lego », résume-t-elle avant d’ajouter : « Je les connais bien mes os. » Elle se sert ainsi d’un bec de perdreau pour réaliser une souris, d’un bec de caille pour les yeux d’une mouche ou de mâchoires de lapin pour des ailes de papillon. Un comble pour une artiste (née en 1966) qui a toujours aimé papillonner et sauter du coq à l’âne, jouant aussi bien, dans des œuvres précédentes, avec le motif du pied-de-poule (la volaille déjà !) que de la toile de Jouy. Et qui est devenue une orfèvre de la récupération et du glissement. Ce sont en effet les os des uns qui lui permettent de sculpter les corps d’autres bestioles, qui sont nombreuses : sauterelle, mante religieuse, lézard, scorpion, araignées diverses, libellule, oiseaux et autres insectes inventés. Tout un bestiaire d’une minutie hallucinante et grinçante.

Mais au-delà d’une belle délicatesse, d’un humour subtil et d’une poésie inattendue, Corine Borgnet aime désosser le sujet pour aborder les thèmes de la résilience, de la fragilité, de l’abandon, de la seconde chance, de la condition humaine. « J’aime bien les matériaux peu nobles, je travaille avec des déchets. La vie après la mort… je conjure le sort, je ne me laisse pas faire », indique-t-elle. Au travers de ses vanités, elle joue aussi sur la légèreté, la dérision et l’absurde en récupérant les restes de ceux qui habituellement grignotent les autres. Mais elle commence aussi à ronger son frein et n’envisage pas de faire de vieux os avec ce matériau. « Je suis tombée dans les os et je n’ai maintenant qu’une envie, c’est d’en sortir. Je ne veux pas devenir “Madame Os”, il ne faut pas s’enfermer. »

Corine Borgnet en fait d’ailleurs la preuve dans cette exposition à la Galerie Valérie Delaunay où certaines pièces sont faites d’une autre matière, la Jesmonite, une résine poreuse, facile à mouler. C’est le cas de la plus grande installation, intitulée Le Dernier Souper (qui donne son titre à l’exposition), qui évoque une table de 2 m de long sur 75 cm de large, ainsi que des assiettes, verres, couverts posés dessus et mêlés à des spécimens de bestioles précédemment citées.

Spectacle de désolation (beaucoup de vaisselle cassée), mise en abîme (les restes de carcasses en os) et ambiance fin de partie : sur un air étrange et inquiétant, l’œuvre semble faire caisse de résonance à la prise de conscience de l’état du monde aujourd’hui. Enfin, parallèlement à ces « Histoire d’os » (selon le titre d’un petit livre et d’une série), sont accrochés quelques dessins dont La Madone aux mouches, beau visage féminin auréolé d’une couronne qui fait mouche.

La large fourchette des prix – entre 600 euros pour les plus petites sculptures en os et 17 000 pour la grande installation, en passant par 2 200 pour les dessins – correspond tout simplement à la taille des œuvres et reste plus qu’abordable.

Corine Borgnet, le dernier souper,
jusqu’au 1er février, Galerie Valérie Delaunay, 22, rue du Cloître-Saint-Merri, 75004 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°537 du 17 janvier 2020, avec le titre suivant : Corine Borgnet, la sculpture jusqu’à l’os

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