Christie’s, tous azimuts

Premières enchères réussies à Paris pour la maison de vente

Le Journal des Arts

Le 21 décembre 2001 - 1592 mots

De belles collections, de très bonnes enchères, du beau monde, un résultat de plus de 12 millions d’euros : tout était réuni pour que l’entrée de Christie’s en France, marquée par une importante série de ventes, soit réussie.

PARIS - Le démarrage fut plus que convaincant : pendant sa première semaine d’activité à Paris, Christie’s a vendu pour 12 millions d’euros (79,8 millions de francs), plus de 16 millions d’euros si l’on inclut la vente René Gaffé d’art primitif pour laquelle elle a prêté ses locaux. Ce montant équivaut au chiffre annuel d’une très bonne étude parisienne.

C’est finalement le 5 décembre 2001, deux cent trente-cinq ans, jour pour jour, après la première vente organisée en 1766 à Pall Mall, à Londres, par un certain James Christie, que Christie’s France a pu enfin taper du marteau en France. Le commissaire-priseur parisien François de Ricqlès, qui sera le 3 janvier vice-président de Christie’s France, et sa consœur Cécile Verdier tenaient le marteau. Juste avant la vente, le président du conseil de surveillance de Christie’s, François Curiel, a en effet rappelé que sans cette ouverture du marché tant attendue, les vingt-cinq ventes prévues à Paris en 2002 serait parties à l’étranger. “Et c’est mieux qu’elles aient lieu ici.”

C’est donc devant une salle des ventes bondée, au sous-sol du quartier général de Christie’s, avenue Matignon, et en présence du propriétaire de la société, François Pinault, flanqué de son fils Henri et de Patricia Barbizet, la directrice général de sa holding Artémis, que fut dispersée la collection Charles-Otto Zieseniss.

Sotheby’s avait choisi d’inaugurer sa carrière parisienne avec la vente d’une bibliothèque belge. La toute première vente organisée à Londres par Sotheby’s au XVIIIe siècle ayant été, il est vrai, consacrée à des livres. Christie’s, pour sa part, a choisi une collection qui incarnait ce qui est souvent décrit comme “un certain goût français”. “Figure bien connue de la société parisienne et du monde des musées et de l’art français”, comme l’écrit dans la préface du catalogue Bertrand du Vignaud, membre du directoire de Christie’s France, Zieseniss se passionnait en tant qu’historien et comme collectionneur pour deux périodes a priori contradictoires : les XVIIe et XVIIIe siècles français et l’époque napoléonienne. Charmantes sans toujours être exceptionnelles, les pièces de sa collection – du mobilier et des objets d’art, des bronzes animaliers de Barye, des tableaux anciens et XIXe siècle – ont récolté un produit à la hauteur de l’occasion : 2,7 millions d’euros (11 millions de francs), avec 100 lots sur 108 lots vendus. Les estimations étaient raisonnables, les prix de réserve encore plus : Christie’s ne pouvait surtout pas risquer de rater sa première vente sur le sol français.

Style rococo flamboyant
Le premier lot, une paire de chenets d’époque Louis XVI en bronze ciselé et doré, classique à souhait, estimé entre 6 100 et 9 145 euros, a trouvé preneur à 17 912 euros en la personne du marchand Martin du Daffoy, qui achetait pour le compte de Gilbert Chagoury, ambassadeur auprès de l’Unesco et grand donateur (de tapisseries) au Musée du Louvre. Tout aussi classique et toujours Louis XVI, le deuxième lot, composé d’un nécessaire de cheminée, a créé la surprise générale en étant adjugé 30 451 euros contre une estimation haute de 4 575 euros.

Le goût en peinture de Zieseniss était moins sophistiqué, à en juger par cette vente, que celui qu’il possédait pour la porcelaine : une poignée de tableaux XVIIIe siècle et école de Barbizon, sans grande personnalité, a peiné à trouver preneur. Le Triomphe de Vénus de François Lemoyne (1688-1737), en revanche, d’une belle facture et représentatif du style rococo français le plus flamboyant, s’est très bien vendu à un collectionneur européen pour 258 291 euros contre une estimation haute de 182 940 euros. Même dans l’euphorie d’une grande première, la qualité primait.

Nouveaux termes  pour marché de l’art réformé
Un ensemble de vingt et un bronzes animaliers de Barye s’est bien vendu pour la plupart d’entre eux, bien qu’un Tigre surprenant une antilope, affublé d’une estimation tout aussi surprenante de 27 440 à 36 590 euros, n’a trouvé aucun enchérisseur au-delà de 10 000 euros. L’auctioneer Cécile Verdier a prononcé les mots “nous passons”, l’équivalent de l’anglais “pass”, un terme nouveau dans un marché de l’art réformé pour signifier qu’un lot n’est pas vendu.

Le mobilier de Zieseniss avait un certain charme conservateur, voire démodé – au point d’être, selon d’un grand marchand parisien présent dans la salle, quasiment impossible à revendre. Il n’empêche qu’une paire d’encoignures d’époque Régence en placage de bois de violette, belle mais pas tout à fait au goût du jour, est partie à 34 033 euros, soit 50 % de plus que son estimation haute. Et un cartel et sa console d’époque Régence, d’une très grande qualité, ont été achetés par un collectionneur français pour la même somme, contre une estimation haute de 15 245 euros. Une commode Régence en placage d’amarante et filets d’ébène, en revanche, a quasiment été sacrifiée : estimée entre 45 735 et 76 225 euros, elle a été adjugée 19 703 euros seulement. Plus élégante de ligne et de dessin, une commode d’époque Transition, estampillée de Nicolas Petit, a été achetée 241 521 euros, juste au-dessus de son estimation haute, par un collectionneur européen. Succès également pour une console Régence, achetée 53 738 euros, contre une estimation de 22 865 à 30 490 euros.
Moins médiatiques, les 217 pièces de porcelaine de la collection Zieseniss, proposées à la vente le jeudi 6 décembre, ont connu un grand succès. Une assiette unie en porcelaine de Sèvres XVIIIe siècle d’un service du comte d’Artois, vers 1782, ornée d’un oiseau de Buffon, par exemple, a été adjugée 35 825 euros, plus de cinq fois son estimation haute.

Après ce beau début, Christie’s a poursuivi avec une vente d’orfèvrerie le 7 décembre. Quelque 40 lots sur 61 ont trouvé preneurs pour un total de 384 587 euros, soit 66 % de lots vendus. Parmi les lots les plus importants figuraient une rare paire de flambeaux en argent (1659), par Jacques Hendricq de Lille, vendue 107 476 euros à un collectionneur français ; une théière en argent de Guillaume Bert de Dunkerque (1747-1748), adjugée 26 868 euros, le double de son estimation basse, à un enchérisseur européen ; une paire de saucières en argent (1760), de Jean-Louis Philippont, vendue 25 078 euros à un acheteur qualifié d’“international.”

Suivait, l’après-midi, la dispersion de la collection de laques du Japon réunie entre 1962 et 1973 par Marthe Couvelaire. 48 des 55 lots – des boîtes à encens, coffrets à lettres, écritoires et autres inros –, ont trouvé preneurs pour un total de 359 004 euros. Belle spécialité, belle collection, beaux résultats. Une boîte à documents de la période Edo (XVIIIe siècle) a été acquise par un amateur américain pour 21 495 euros, presque cinq fois son estimation haute. Un marchand japonais s’est porté acquéreur d’une boîte coréenne de la période Choson (XVIIe-XVIIIe) pour 18 124 euros, et un inro de la période Edo (XVIIIe-XIXe) a trouvé preneur à 17 912 euros, plus de quatre fois l’estimation haute.

Mis aux enchères aussitôt après la collection Couvelaire, 70 lots d’“important mobilier et objets d’art”, selon l’appellation classique, dont 46 ont été vendus (soit 74 % en termes de valeur), ont produit la somme impressionnante (pour Paris) de 3 millions d’euros. Signe des temps, les pièces de la plus grande qualité et de bonne provenance suscitaient la concurrence et commandaient les prix les plus importants. Ainsi, le dernier lot, un bureau plat Louis XVI, estampillé de Roger Van Der Cruse dit Lacroix, ayant appartenu au comte et à la comtesse Greffulhe, a établi le prix record de la vente, soit 1,2 million d’euros, autour de son estimation. Un fauteuil à châssis Louis XV, attribué à Jean Boucault, a trouvé preneur à 429 906 euros, presque le double de son estimation basse, et une tapisserie Louis XV de la Manufacture de Beauvais est partie pour 268 691 euros.

Paris, capitale mondiale de la bibliophilie
Après avoir abrité, le soir du samedi 8 décembre, la vente de la collection d’art primitif de René Gaffé organisée par les études parisiennes Artus Associés et Calmels-Chambre-Cohen (produit total 4,2 millions d’euros), Christie’s s’est tournée, le 11 décembre, vers la dispersion de la bibliothèque Giannalisa Feltrinelli, les livres étant une spécialité que Christie’s et Sotheby’s entendent développer à Paris, capitale mondiale de la bibliophilie. Sur 289 lots, 262 ont été vendus, pour un produit de 1,6 million d’euros, soit 98 % en termes de valeur. La vedette de la vente était Théâtre des États de son Altesse Royale le Duc de Savoye (1700) de Willem Blaeu et Jan Blaeu, vendue 111 058 euros (un record mondial pour cette édition) à un marchand français.

Avec seulement 58 % des lots vendus et un produit de 683 827 euros, la vente de livres illustrés modernes, manuscrits et photographies du 11 décembre fut moins spectaculaire. Mais celle des arts décoratifs XXe siècle de la collection Karl Lagerfeld, l’après-midi du 13 décembre, a réalisé 1,1 million d’euros tandis que la vente de bijoux organisée le soir, avec son produit de 1,7 million d’euros, et   87 % des lots vendus, a tordu le cou à l’idée reçue que les ventes de bijoux ne peuvent réussir à Paris.
Le début de Christie’s a donc été brillant. La maison de vente doit maintenant accomplir le plus difficile, à savoir réussir un calendrier de ventes sur le long terme, face à la concurrence non seulement de Sotheby’s mais également des commissaires-priseurs rescapés de Drouot.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°139 du 21 décembre 2001, avec le titre suivant : Christie’s, tous azimuts

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