Catalogue

Chinoiseries

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 17 décembre 2004 - 557 mots

L’équité est sauve dans l’affaire Camille Claudel.

Pour confirmer un arrêt de la cour d’appel de Paris du 22 février 2002 qui avait tranché un litige autour du catalogue raisonné de l’œuvre de Camille Claudel, la Cour de cassation a dû récemment démêler les relations qui s’étaient nouées entre l’éditeur, un expert « mandataire » et l’ayant-droit de Camille Claudel, auteure de l’ouvrage en question. L’examen de l’arrêt révèle beaucoup de « chinoiseries » qui ne doivent pas qu’à la destination d’un des catalogues, Hongkong.
À l’origine, on trouve le catalogue raisonné de l’œuvre de Camille Claudel établi par sa petite-nièce. En 1990, alors que le marché de l’art était au zénith et la redécouverte de Camille Claudel au cœur de transactions fructueuses, l’auteure conclut un contrat de coédition. En 1993, assistée d’un expert et collectionneur qu’elle avait mandaté à cet effet, l’auteure signait un second contrat avec l’éditeur pour réalisation, à 5 000 exemplaires, d’une adaptation en langue anglaise du premier catalogue. Cette édition était réalisée dans la perspective d’une exposition devant se tenir à Hongkong.
Malheureusement, l’expert-collectionneur-mandataire prit quelques libertés avec sa mission, de sorte que la traduction anglaise du catalogue se révéla médiocre, et surtout, qu’y apparut une œuvre dont l’auteure déniait l’authenticité. Les développements du contentieux montrèrent qu’il ne s’agissait pas d’une inadvertance, l’expert de confiance étant le propriétaire de l’œuvre incriminée. Évidemment, le deuxième catalogue authentifiait la pièce, au moins aux yeux de la clientèle extrême-orientale.
L’auteure se trompa de cible. S’étant avisée de la « supercherie », et au nom de son droit moral, elle fit interrompre la diffusion du catalogue et demanda la destruction des ouvrages. Mais, au lieu de se tourner vers son mandataire, elle s’en prit à la maison d’édition, en particulier en refusant de payer sa part des frais de publication.
L’entrelacs des argumentations était très complexe. Schématiquement, pour rétablir les responsabilités, la cour d’appel de Paris dut s’y prendre à deux fois. Car, dans un premier arrêt daté du 13 janvier 1993, elle avait débouté tout le monde et mis hors de cause l’expert, dont la responsabilité n’avait pas été relevée en première instance. Cependant, au terme d’une seconde procédure, sur des qualifications différentes qui évitaient de buter sur l’intangibilité de la « chose jugée », la cour de Paris avait admis que l’auteure devait bien à la maison d’édition sa quote-part des frais de publication, puisque c’était elle qui avait fait obstacle (même légitimement) à la vente des catalogues. Mais elle avait complété son arrêt en condamnant l’expert à garantir l’auteure.
Ce jugement, qui mêlait le droit le plus sophistiqué à l’équité la plus commune, est élégamment éclairé par la Cour de cassation dans son dernier attendu, lequel vaut d’être repris en totalité : « La cour d’appel, qui a condamné M. (l’expert) à garantir à Mme (l’auteure) de sa dette envers la société (d’édition), ne s’est pas fondée sur le caractère gratuit ou salarié de son mandat, mais sur la considération qu’il avait entendu servir ses propres intérêts en faisant faussement authentifier par sa mandante une sculpture dont il est propriétaire et dont il n’est même plus prétendu qu’elle serait de Camille Claudel. »
De temps en temps, il y a des décisions rassurantes, même s’il aura fallu quatorze ans pour y parvenir.

(Cass. 1re ch. Civ., 13 juillet 2004. Arrêt n° 1244 F-D)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°205 du 17 décembre 2004, avec le titre suivant : Chinoiseries

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