Chères enchères, bons prix en galeries

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 18 juin 2010 - 845 mots

La crise économique mondiale n’a pas offert de grandes opportunités d’achat, mais elle a creusé l’écart de prix entre galeries et ventes publiques.

Qui aurait pu imaginer qu’en pleine année de crise, deux œuvres, un Giacometti et un Picasso, dépasseraient à quatre mois d’intervalle les cent millions de dollars ? Le monde de l’art ne tournerait-il plus rond ? Il semble en tout cas déconnecté d’une réalité bien plus alarmante : un nuage volcanique qui paralyse l’espace aérien, des nappes de pétrole qui polluent les côtes américaines, l’euro qui plonge et certains pays européens qui sont sous dialyse.

Évidemment, la crise ne profite pas à tout. L’art moderne valeur refuge par excellence tire bien son épingle du jeu. Les revivals promettent aussi des progressions de prix pour des artistes très respectés mais absents du marché pour diverses raisons. Le solo show du Roumain André Cadere, que la galerie Art Attitude proposait à la foire de Bâle en juin, pourrait donner le « la » pour une nette progression de ses prix, rareté oblige. Déjà l’an dernier, lorsque la galerie avait présenté une pièce de l’artiste à la Fiac, les collectionneurs avaient commencé à sortir du bois.

Un certain art actuel, toujours synonyme de spéculation
L’engouement qu’on croyait refroidi pour les jeunes artistes n’est guère éteint. Certains vieux réflexes spéculatifs sont d’ailleurs revenus au galop. L’Américain Matthew Day Jackson en est la preuve vivante. En février dernier, le joaillier Lawrence Graff achète une de ses œuvres pour 601 250 livres sterling [plus de 718 000 euros]. En mai, une autre pièce vendue par Charles Saatchi est adjugée 662 500 dollars [790 000 euros] ! Quand on pense que ces pièces valaient au maximum 17 000 euros en 2007, il y a de quoi grimacer. Que s’est-il passé ? Cet artiste a tout simplement été montré de manière avantageuse lors de l’ouverture de la Pointe de la Douane, abritant la collection de François Pinault…

Une autre star du marché, Maurizio Cattelan, a aussi battu un record. Une de ses pièces, où l’artiste se représente la tête sortant d’un trou, a atteint une enchère de 7,9 millions de dollars en mai chez Sotheby’s. Il faut dire que Cattelan a su se faire rare. On notera, en revanche, que Damien Hirst a beau s’escrimer au musée Océanographique de Monaco et à la Wallace Collection, il n’est guère prisé aux enchères… Les listes d’attente qu’on croyait révolues commencent à réapparaître. 

Les galeries militent pour le juste prix
N’y a-t-il donc pas de niches permettant de faire des affaires, autrement dit, de profiter de la crise ? Certains types d’objets qui avaient pâti des réclamations en restitution faites par les pays africains ou sud-américains ont aussi repris le chemin des enchères. Si le marché de l’art précolombien était en sourdine ces cinq dernières années, il redémarre en fanfare, les demandes en restitution faites à la France ayant été déboutées. 

Mais, d’avis de marchand, il n’existe pas vraiment aujourd’hui de secteur en perte de vitesse. Les objets moyens, toutes disciplines confondues, ne se remettent pas de la récession. « Le xviiie siècle se vend. Il y a peu d’amateurs, mais en proportion suffisante par rapport aussi à la maigreur du marché. Quand on regarde à Drouot, tout fait cher, mais il n’y a pas beaucoup de marchandise de qualité », souligne le marchand parisien Olivier Delvaille. 

Il n’est pas tant des secteurs intéressants à explorer que des canaux de diffusion. Il est plus avantageux aujourd’hui d’acheter des œuvres en galerie que dans les ventes publiques. Ainsi la sculpture Lega à quatre têtes a été adjugée 2,2 millions de dollars [1,8 millions d’euros] en mai chez Sotheby’s aurait été proposée pour 300 000 dollars  [244 000 euros] chez un marchand d’art primitif. 

« Si un marchand propose un objet à un tiers du prix d’une enchère, ça ne marche pas. Pourquoi les gens ne viennent-ils pas en galerie pour faire des affaires ? », s’interroge le marchand bruxellois d’art primitif Joaquin Pecci. Pour l’antiquaire Pierre -Olivier Chanel, « tout marche » à condition qu’on ait le prix juste. Qu’est-ce que le juste prix ? C’est proposer par exemple une suite de douze chaises et deux fauteuils de Cresson pour 25 000 euros. En avril dernier, Sotheby’s avait cédé quatorze chaises non estampillées mais très comparables pour 240 750 euros. Cherchez l’erreur !

Repères

Cattelan
L’artiste produit peu, et il a réalisé en 2010 une exposition très appréciée à la Mesnil Collection à Houston. Il bénéficiera bientôt d’une exposition au Guggenheim de New York. De bonnes raisons pour voir sa cote monter.
Cadere
Depuis l’hommage au MAMVP en 2009, l’artiste roumain connu pour ses bâtons de bois ronds connaît un intérêt grandissant. Le Philadelphia Museum of Art s’est porté acquéreur d’un bâton de bois carré après la Fiac 2009.
Alighiero e Boetti
Ce père de tous les jeunes artistes conceptuels a vu ses prix multipliés par trois en l’espace de quelques mois. La rétrospective organisée par la Tate à Londres, la Reina Sofia à Madrid et le MoMA à New York promet d’activer la progression.

Pierre-Olivier Chanel, Antiquaire à Paris

Question à...

Comment établissez-vous vos prix ?
Récemment, nous avons vendu une table de Boudin pour 45 000 euros. Celle-ci avait été estimée par Christie’s entre 40 000 et 60 000 euros. On prend l’estimation basse à laquelle on rajoute le montant de la réparation. Si on veut vendre, il faut pratiquer des prix ultraraisonnables. On a ainsi vendu une paire de fauteuils en bois de doré de l’ancienne collection Aaron pour 60 000 euros en moins de vingt-quatre heures, alors qu’on l’avait achetés pour environ 45 000 livres sterling en 2001.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°626 du 1 juillet 2010, avec le titre suivant : Chères enchères, bons prix en galeries

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