Sculpture

Carmen Perrin la poinçonneuse

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 25 mars 2015 - 746 mots

L’artiste suisse d’origine bolivienne aime à trouer toutes sortes de matériaux et ainsi jouer sur les vides et les pleins. La galerie Putman en présente quelques spécimens.

PARIS - Avant sa mort survenue en janvier 2009, Catherine Putman avait souvent manifesté l’envie de montrer Carmen Perrin qu’elle connaissait bien. Mais elle n’en a pas eu le temps. Par la suite, Éléonore Chatin, qui était alors sa collaboratrice et a depuis, avec l’accord de la famille, continué l’aventure de la galerie, a exaucé ce souhait. Fin 2009-début 2010, elle présentait, comme un hommage, une première exposition de l’artiste suisse née à La Paz en Bolivie en 1953 (elle vit aujourd’hui à Genève). La sélection était intitulée « Tracé tourné », en référence à ces dessins circulaires que l’artiste réalise sur une table de potier dont elle fait tourner le plateau en activant une manivelle avec le pied et en ne bougeant absolument pas la main. Presque six ans plus tard « Masomenos » est donc sa deuxième exposition à cette même adresse, organisée à l’occasion de la sortie d’un beau livre Carmen Perrin. Entrer dehors, sortir dedans (Édition Till Schaap/Genoud) et en parallèle à la manifestation que lui consacre la Maison de l’Amérique latine à Paris. Depuis son ouverture en 2005, la galerie Catherine Putman est spécialisée en œuvres sur papier. Carmen Perrin, elle, est surtout connue comme sculptrice et installatrice. À première vue, le rapprochement ne coulait pas de source. Or si, justement, puisque Carmen Perrin a toujours pensé ses dessins comme des sculptures, c’est-à-dire en trois dimensions. Plusieurs types d’œuvres le rappellent ici parfaitement.

Usage détourné de matériaux
Tout d’abord deux pièces de la série « Forages » qui, bien qu’assez différentes, relèvent d’un même processus de création. Pour la première Forages, Fossile, Siffleur l’artiste a superposé et collé une trentaine de bâches en plastique sur chacune desquelles elle a fait imprimer un montage photographique. Elle a ensuite fait dans ce millefeuille des trous à l’emporte-pièce – des forages donc – qui laissent apparaître des bribes d’images, comme remontées de couches plus ou moins enfouies. La seconde Forages Jungle Juice repose sur le même principe, mais ce sont cette fois des pochettes de disques 33 tours des années 1970 qui sont empilées et qui laissent remonter des visages, des images sur lesquelles Carmen Perrin a voulu s’arrêter et qu’elle a voulu garder. On retrouve le même travail dans la série « Série noire ». L’artiste aime jouer sur l’idée de collection et elle a récupéré une dizaine de polars de la série précitée, dans lesquels elle creuse pour s’arrêter à différentes profondeurs et mettre à jour, comme par un effet de loupe, des mots, des phrases qu’elle veut isoler. Toujours des perforations qui forment des spirales, toujours du papier, mais cette fois en livre, lui-même transformé en objet puisqu’elle les a tous modifiés par un travail d’ébénisterie. À croire qu’il ne faut rien laisser sous la main de Carmen sous peine de voir la chose constellée de trou-trous. C’est d’ailleurs le cas de cette feuille de papier qui, comme l’indique son titre Glisse, contourne et perce, se retrouve transpercée de milliers de petits trous sans doute faits au poinçon et reliés entre eux par des lignes et traits de crayons de couleurs. Des trous, des petits trous, toujours des petits trous. Et quelquefois des (plus) gros comme dans cette œuvre composée des lettres Masomenos, (en français Plus ou moins) réalisée en carton perforé, qui donne son titre à l’exposition.

De fil en aiguille se tisse et se trame ainsi un autre pan important, parallèlement au principe du palimpseste évoqué précédemment, du travail de Carmen Perrin : celui qui la voit jouer avec le vide et le plein, le dedans et le dehors ; celui qui la conduit à varier et manier différents matériaux pour les mettre en tension, les pousser jusqu’à la limite de la rupture et donc jusqu’à leur point d’équilibre. En résumé, ça passe ou ça casse. Et cela passe avec une délicatesse proche de la dentelle qui donne aux œuvres cette légèreté, les met en apesanteur même lorsqu’elles seraient censées peser leur poids. Leurs prix, eux restent raisonnables et vont de 3 500 euros à 14 000 euros pour une œuvre magnifique, réalisée avec des ressorts en acier tendus verticalement et au milieu desquels Carmen Perrin a écrit avec ses ongles en écartant les spirales le mot Tremble.

CARMEN PERRIN

Nombre d’œuvres : 21
Prix : de 3 500 à 14 000 €

CARMEN PERRIN, MASOMENOS
Jusqu’au 30 avril, Galerie Catherine Putman, 40, rue Quincampoix, 75004 Paris, tél.01 45 55 23 06, www.catherineputman.com, mardi-samedi 14h-19h.

CARMEN PERRIN ENTRER DEHORS SORTIR DEDANS
Jusqu’au 16 mai, Maison de l’Amérique latine, 217, bd Saint-Germain, 75007 Paris, tél.01 49 54 75 00, www.mal217.org, lundi-vendredi 10h-20h, samedi 14h-18h, entrée libre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Carmen Perrin la poinçonneuse

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