Bronze ou fonte ? Pesante méprise

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 19 février 1999 - 834 mots

La Cour d’appel de Paris a tranché en décembre une instance consécutive à l’erreur d’évaluation d’un commissaire-priseur et de son expert, qui avaient hâtivement conclu qu’un atlante de bronze du XVIe siècle, aujourd’hui au Louvre, était une cariatide en fonte du XIXe. La Cour, qui avait rejeté en 1990 le recours en annulation du vendeur, l’a cependant partiellement récompensé de son opiniâtreté : onze ans de procédure pour obtenir 300 000 francs qui seront déboursés par l’expert.

PARIS - Dans cette affaire, le poursuivant s’est montré têtu. De façon compréhensible, après avoir découvert en 1987 qu’une sculpture qui lui avait été décrite en 1981 comme une pièce en fonte du XIXe, estimée 200 francs, ne méritant même pas un coup de marteau d’ivoire et qu’il avait donc vendue à vil prix à un brocanteur, venait d’être achetée 3 200 000 francs par le Louvre à un grand marchand parisien.

Sa première réaction avait été de demander l’annulation de la vente, en plaidant, de façon désormais classique, qu’il y avait erreur sur la substance. Si l’argumentation était fondée, elle achoppait cependant sur le fait que les transactions entre le plaignant, le brocanteur, l’antiquaire parisien puis le Louvre ne pouvaient être annulées. En effet, le brocanteur avait très sportivement signalé au propriétaire que l’objet était en bronze et non en fonte, et qu’il s’agissait d’un atlante et non d’une cariatide : ayant donc traité en mutuelle connaissance de cause et dans la limite du savoir du brocanteur – qui conserva d’ailleurs la pièce pendant six ans –, le propriétaire ne pouvait requérir l’annulation. Quant aux transactions ultérieures, elles étaient consolidées par la validité de la première vente. À l’extrême, seul le brocanteur aurait pu être tenté de chercher l’annulation d’un objet qui lui avait été payé 300 000 francs, pour être revendu un mois après dix fois plus cher. Quant à la vente de l’antiquaire au Louvre, elle était inattaquable, vendeur et acheteur sachant à quoi s’en tenir sur l’objet. En 1990, la Cour d’appel de Paris avait donc rejeté la demande d’annulation, observant au passage que le vendeur avait été négligent en cédant la “fonte” sans autres investigations, alors que le brocanteur lui avait appris qu’il s’agissait d’un bronze.

Après réflexion, le vendeur assignait en 1995 le commissaire-priseur et l’expert dont les erreurs d’appréciation étaient la cause première de ce coûteux malentendu. Le Tribunal de grande instance de Paris rejetait sa demande en 1996, considérant qu’il ne prouvait pas que l’objet revendu par le brocanteur était bien celui acquis par le Louvre. Il faut observer que c’est un moyen de défense assez fréquent dans des affaires qui surgissent des années après les faits (dans ce cas, quatorze ans après la vente). Mais la Cour d’appel de Paris a réformé ce jugement le 18 décembre, estimant au contraire que la fonte incriminée et le bronze du Louvre étaient bien la même pièce. Dès lors, les juges d’appel pouvaient se pencher sur les erreurs du commissaire-priseur sur sa prisée (estimation) et de l’expert sur son descriptif. Pour conclure à la responsabilité du commissaire-priseur, la Cour relevait successivement qu’il “s’était vu confier une mission d’évaluation [...] et que [le vendeur] est fondé à rechercher sa responsabilité contractuelle”, puis que “l’évaluation sommaire qu’il a effectuée de la statue s’est révélée erronée en tous points et que son examen a été pour le moins sommaire et insuffisant”. S’agissant de l’expert, qui “devait fournir un avis compétent et éventuellement procéder aux recherches permettant d’identifier et d’évaluer l’objet d’art [...], il n’a pas donné au commissaire-priseur l’avis éclairé que ce dernier pouvait attendre”, commettant au contraire des “erreurs grossières [...] et ne justifiant d’aucun examen sérieux ni d’une recherche quelconque”.

“Une perte de chance” évaluée à 300 000 francs
Comme dans d’autres affaires récentes, la Cour a condamné le commissaire-priseur et l’expert, mais en ajoutant que ce dernier devait garantir “entièrement” le commissaire-priseur des condamnations prononcées à son encontre. L’addition aurait pu être très lourde pour l’expert. La Cour en a toutefois limité la portée en considérant que le préjudice n’était pas la différence entre le prix de vente au brocanteur et la valeur actuelle de l’objet, mais “la perte de chance de voir, au moment de la prisée, reconnaître la véritable valeur de l’objet ou même de voir attirer son attention sur sa spécificité et son intérêt”. La Cour arbitrait cette perte de chance à un montant de 300 000 francs, peut-être à mettre en relation avec le prix payé, six ans après la transaction, par l’antiquaire au brocanteur.

Au passage, la Cour a égratigné les attendus de 1990 de ses propres juges : ceux-ci avaient relevé que, informé par le brocanteur que l’objet était en bronze, le vendeur avait “imprudemment et délibérément accepté le risque d’une erreur” en n’effectuant pas d’autre recherche. Elle a corrigé cette appréciation en soulignant “qu’il doit être tenu compte de ce que le vendeur était fondé à penser que l’estimation de ces deux spécialistes était plus fiable que celle du brocanteur”. À qui se fier ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°77 du 19 février 1999, avec le titre suivant : Bronze ou fonte ? Pesante méprise

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