Peinture

Bernard Frize en lignes

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 12 février 2014 - 703 mots

La galerie Perrotin de Paris expose de nouvelles toiles de l’artiste français installé à Berlin qui poursuit son interrogation de la pratique picturale.

PARIS - L’exposition est intitulée « Hello, My Name Is Bernard Frize ». Et on s’en serait douté. Car si les toiles accrochées à la Galerie Perrotin à Paris n’étaient pas de l’artiste qui, entre fanfaronnade, second degré et autodérision, se rappelle ainsi à notre bon souvenir, il nous faudrait partir en courant, en hurlant à l’imposture et au plagiat. Les œuvres récentes ici révélées sont indéniablement de Frize. On le retrouve bien, tel qu’en lui-même, tant il a depuis longtemps imprimé sa marque et signé sa démarche. Frize fait du Frize. L’artiste est dans sa lignée. Il est même dans la ligne, au sens figuré comme au sens propre, puisque dans la première salle l’alignement de cinq toiles montre un travail sur la ligne verticale. Une démonstration de ce que peut être la déclinaison du même thème, une variation comme l’indique le titre des tableaux : Deli, Delo, Diola, Dola, Doli, etc. Comme une sorte d’illumination pour un jeu rimbaldien de correspondances entre voyelles et couleurs.

Sur le mur d’en face, une toile rompt le rythme : elle est horizontale. Et surtout, elle installe une incroyable perspective et une surprenante sensation de vitesse. Comme si on se trouvait derrière une vitre ou un écran avec des images défilant à si vive allure qu’il n’en resterait que leurs traînées de couleurs. Joli vertige. Juste généré par une formidable utilisation du pinceau brosse et de différentes couleurs passées latéralement en fonction d’un point de fuite.

Dans une autre salle, les lignes horizontales se prennent pour des vagues. Elles soulèvent une sorte de houle chromatique ou, au choix, engendrent des propagations, successions d’ondes de couleurs.

Le trait, le tracé, la trace
D’une suite d’œuvres à l’autre, Bernard Frize (né en 1953, il vit aujourd’hui à Berlin) continue d’affirmer sa volonté, apparue au milieu des années 1970 ; il analyse, met à plat, décompose la peinture. La peinture donc avec tous ses attributs : la ligne, telle que précédemment évoquée, mais aussi le trait, le tracé, la trace que dessinent les pinceaux brosses en fonction de la densité de couleur dont ils sont initialement chargés avant de s’alléger progressivement et de s’éclaircir. Mais aussi le geste, d’une grande maîtrise, le mouvement, contrôlé, d’une grande précision, et la gamme chromatique toujours magnifiquement réfléchie et traitée.

Maîtrise, contrôle, réflexion : les œuvres de Bernard Frize sont le résultat d’un processus, d’un programme que l’artiste détermine en fonction d’une idée, d’instructions et de règles. Toute série découle ainsi de la mise en place d’une structure et suit dès lors sa ligne directrice. Avec, selon le principe même qui le guide, le moins possible de décisions subjectives à prendre, la mise à distance par rapport au travail, la suppression de tout affect, le rôle essentiel donné au hasard et la revendication d’une neutralité esthétique. Mais ce système, cette méthode, sans discours d’ailleurs, induit moins un « je peins donc je suis » qu’un volontairement détaché « je peins donc la peinture est » dans sa réalité matérielle – on aurait presque envie de dire « ontologique ».

En même temps, aussi établies soient-elles, les règles du jeu (très sérieux) et les définitions du processus ne sont pas infaillibles. Elles ouvrent ainsi des brèches sur l’imprévu dans lesquelles la peinture s’engouffre et dont elle s’empare pour en tirer profit. Ces écarts, ces « incidents » de peinture que Frize, à défaut de rechercher, accepte comme faisant partie de l’aléatoire, introduisent un peu de chaos dans l’ordre et font souvent basculer ses toiles d’un univers froid, mécanique, à un monde où se glissent de la vie, du sensible. C’est de là, de ces interstices et de leurs rencontres avec la logique établie que surgit cette impression de plaisir et de vraie jubilation de la peinture.

Dans un tout autre registre, la fourchette de prix oscille entre 33 000 et 86 000 euros, ce qui n’est pas disproportionné pour un artiste régulièrement considéré, et à juste titre, comme l’un des plus importants de sa génération, en France.

Bernard Frize

Nombre d’œuvres : 18
Prix : de 33 000 à 86 000 €

Bernard Frize, « Hello, My Name is Bernard Frize »

Jusqu’au 1er mars, Galerie Perrotin, 76, rue de Turenne, 75003 Paris, tél. 01 42 16 79 79, www.perrotin.com, du mardi au samedi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Bernard Frize en lignes

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