Analyse

Belles de jour et de nuit

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 15 avril 2005 - 616 mots

La répartition des lots entre les « Parts I » et les « Parts II » devient un enjeu stratégique.

La répartition des œuvres entre les ventes du soir (evening sale ou Part I) et de jour (day sale ou Part II) à Londres et à New York est aussi stratégique pour les auctioneers que le dosage des estimations. Dominé par l’artillerie lourde, le jeu des Parts I est calibré au millimètre près, au gré d’une promotion personnalisée auprès de la poignée de collectionneurs millionnaires. Les ventes de jour, où s’agrègent des œuvres entre 20 000 et 400 000 dollars, représentent le vrai baromètre du marché, témoins notamment de la spéculation sur les jeunes artistes. Leur rôle financier n’est d’ailleurs pas négligeable. En février, la Part II d’art contemporain de Sotheby’s à Londres s’est élevée à 7,2 millions de livres sterling (10,4 millions d’euros), l’équivalent d’une Part I il y a quatre ans. À cette occasion, Processional, de Philip Guston, a même dépassé le cap historique du million de dollars dans une day sale. Les maisons de ventes peuvent d’autant plus faire leurs choux gras dans ces vacations que les œuvres commissionnées sont rarement garanties.
Certaines pièces, même chères, ont tout intérêt à s’offrir en journée. En février, Christie’s avait fait le pari de vendre en soirée La Saône se jetant dans les bras du Rhône, un Renoir allégorique un brin kitsch estimé 220 000 livres (319 290 euros). Le tableau est resté en rade, mais le lendemain, après la vente de jour, la maison a reçu une offre au prix de réserve. La leçon semble entendue puisque Sotheby’s propose le 4 mai en journée Le Concert champêtre de Marie Laurencin (500 000-700 000 dollars, 388 000-543 000 euros). Même si l’estimation est plus corsée que pour la moyenne des lots de cette session, le spécialiste Andrew Strauss observe que l’artiste jouit d’une meilleure audience en journée. La promotion est d’ailleurs plus efficace lorsque le tableau apparaît comme le clou de la Part II que comme le rogaton d’une Part I !
L’évolution du goût et la raréfaction aidant, certains habitués des ventes de jour se défendent aujourd’hui en soirée. Selon le spécialiste de Christie’s Thomas Seydoux, les scènes de plage des années 1890 de Boudin ont glissé depuis trois ou quatre ans des Parts II aux Parts I. Inversement, les Chagall, qui, pendant longtemps, se bousculaient en queue de vente du soir tendent à gagner le jour, cédant la place aux Picasso tardifs et aux Miró. En matière d’art contemporain, les ventes du soir consacrent des artistes déjà installés et s’autorisent quelques anticipations-manipulations. L’intronisation de Martin Kippenberger en Part I s’est faite en novembre 1999 chez Christie’s, avec une pièce propulsée de son estimation de 40 000 dollars jusqu’à 717 000 dollars. En février à Londres, Sotheby’s s’était aventurée avec succès à inscrire Glenn Brown au menu de la Part I. Elle récidive en mai à New York avec un portrait estimé 150 000-200 000 dollars. Une initiative a priori lucrative puisque la galerie Patrick Painter (Santa Monica, Californie) a récemment vendu sept toiles de l’artiste pour 450 000 dollars pièce ! Pour le spécialiste de Sotheby’s Grégoire Billault, il faut rester ouvert pour ne pas louper le coche. La firme avait ainsi peiné à entrer dans la course pour Maurizio Cattelan alors que Christie’s avait déjà avancé ses pions en Part I. Mais rien ne sert de propulser trop tôt un artiste. En 2001, Sotheby’s avait dégainé trop vite avec un Ernesto Neto en Part I. La pièce n’a pas décollé de son estimation basse de 50 000 dollars. À trop vouloir bousculer le marché, on risque de tuer dans l’œuf des cotes naissantes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°213 du 15 avril 2005, avec le titre suivant : Belles de jour et de nuit

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