Belgique : quand l’art s’efface pour s’accomplir

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1995 - 747 mots

À Bruxelles, Dewart présente jusqu’au 2 juillet les travaux d’Ulrike Bolenz. Cette jeune Allemande utilise le nu féminin pour une exploration technique, qui joue d’impressions photographiques sur des supports imprimés dont elles perturbent la lecture. L’image devient une trame que l’artiste explore en la griffant, en la souillant et en la compressant dans des blocs de plexiglas. Un travail graphique hautement maîtrisé (6-10 impasse Saint-Jacques, 1000 Bruxelles).

Jusqu’au 24 juin, la GPOA fête ses dix ans d’existence comme galerie de prêt d’œuvres d’art. Pierre Ivacheff, Marcasse, Dominique Pelgrims et Myriam Orban y présentent des travaux récents. Des personnalités différentes et attachantes. Entre le sérialisme de Marcasse, les recherches conceptuelles d’Ivacheff, Pelgrims et Orban se signalent par la sensibilité de leurs recherches, qui appellent le pastel pour animer d’un voile suave des paysages fragmentés par la mémoire (Château Malou, 45 chaussée de Stockel, 1200 Bruxelles).

Chez Rodolphe Janssen, Bernard Voita expose jusqu’au 10 juin ses pièges photographiques : paysages architecturaux composés dans l’atelier et dont un seul détail trahit la nature factice. Une réflexion portée sur l’illusion de l’image dans cet instantané truqué qu’est la photographie (35 rue de Livourne, 1050 Bruxelles).

À l’Autre Musée, qui malgré son nom est bien une galerie, Arié Mandelbaum expose dessins (122 rue du Viaduc, 1040 Bruxelles) et peintures (place des Martyres, 1000 Bruxelles) témoignant de la permanence d’une recherche qui lie l’effacement des corps aux incertitudes de la mémoire et le désir d’expression à un retour à la tradition Renaissance des Masaccio et della Francesca. Un travail de lente maturation.

Jusqu’au 15 juin, Pierre Hallet présente un ensemble d’œuvres de Bern Wery. L’inspiration biblique donne à ces paysages matiérés une intensité d’expression. Le geste devient récit et la forme s’éclaire, progressivement, comme un signe. Des petits formats qui témoignent d’une monumentalité assurée (33 rue Ernest Allard, 1000 Bruxelles).

À Hingene, la galerie Den Heeck présente jusqu’au 12 juin les sculptures de Dré Peeters et les peintures de Bruno Sluyts. L’assemblage y règne en maître : signes et matières se font évocations d’une vie fragmentée, qui s’étale et se dresse au rythme de la vie moderne (54 Debaer­de­maeker­straat).

À Gand, Magnus Fine Art expose dessins et peintures de Michel Buylen. Ses Obvious Mysteries insistent sur l’ambiguïté d’une image parfaitement réaliste dans sa facture, qui nous renvoie l’illusion de poses théâtrales repliées sur elles-mêmes. Le désir d’expression ne parvient pas à se déclarer hors de sa seule présence. Une œuvre tout en nuance et en interrogation (83 De Kerchovenlaan).

À Bruxelles, jusqu’au 24 juin, Patrick Derom expose un ensemble d’œuvres de Gaston Bertrand. Cet hommage rendu à l’artiste, disparu il y a un peu plus d’un an, permet de retrouver les principales étapes d’une œuvre dont la maîtrise technique sert un imaginaire construit, architecturé et néanmoins d’une poésie et d’une sensibilité intenses. Des œuvres animistes de la période de guerre aux décompositions majestueuses de Montmajour ou de Vésubie, Bertrand s’est imposé comme un artisan de la peinture et comme une des figures majeures de l’Abstraction en Belgique.

Le parcours, historiquement parallèle à celui de Luc Peire, n’a jamais cédé à l’attraction du concept. Sa vie durant, Bertrand est resté un peintre qui trouve dans la ligne une puissance aérienne et dans la couleur une sensualité lumineuse unique. Les architectures épurées, les villes réinventées ou les portraits transfigurés s’imposent dans la joie du regard, qui est concentration pour que ne surgisse de la lumière que la ligne majestueuse (1 rue aux Laines, 1000 Bruxelles).

La galerie Michel Vokaer présente jusqu’au 24 juin des œuvres récentes de Michel Mineur. L’artiste namurois qui, en 1972, s’était illustré avec ses Croquis de mode, relecture sauvage des magazines féminins, est revenu à la femme après une longue série de paysages mosans. Le regard reste furtif jusqu’en ses détournements. Il relève du voyeur, volant son coup d’œil pour le graver dans la mémoire.

Travail d’impression pour Mineur, qui reste graveur. Ici, l’image s’imprime sur des restes de journaux, sur des bouts de phrases écrits à l’envolée, sur des vestiges de vie sociale que l’artiste perçoit comme une “parenthèse, ou l’entracte du sommeil”. Sur ces horizons impersonnels s’esquissent des corps. Les visages échappent, sortent du cadre, s’évadent. La femme est livrée à son rituel : la toilette intime et purificatrice, le maquillage qui farde le corps et le rend irréel.

L’instant, fugace et personnel, apparaît aux antipodes des messages stéréotypés des imprimés. Le désir a sa géographie, et il ignore les tracés trop précis (169 chaussée de Charleroi, 1060 Bruxelles).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : Belgique : quand l’art s’efface pour s’accomplir

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