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ART CONTEMPORAIN

Barceló, la peinture par les cornes

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 19 octobre 2022 - 668 mots

Exposée chez Thaddaeus Ropac, la nouvelle série de tableaux aux tonalités grises de Miquel Barceló entremêle les genres de la nature morte et de la vanité.

Pantin (Seine-Saint-Denis). L’exposition porte bien son titre : « Grisailles ». Au sens de ces peintures monochromes aux tonalités grises, généralement employées pour imiter notamment la pierre ou le marbre. Cette technique caractérise en effet superbement l’ensemble des vingt-cinq œuvres de Miquel Barceló qui occupent pour la première fois la totalité des espaces de la Galerie Thaddaeus Ropac à Pantin. « Je reviens souvent à la peinture en noir et blanc pour organiser ma pensée. Le noir et blanc, c’est de la pensée pure », nous confie-t-il.

Mais la grisaille n’interdit pas la couleur, notamment des fonds, roses, beiges ou jaunes, dans toute la gamme de leurs subtilités qui mettent en relief, selon le principe même de la grisaille, les motifs et figures peints au premier plan.

Lorsqu’ils ne représentent pas des bisons ou autres bovins peints frontalement et de profil, la plupart des tableaux sont structurés par la représentation de tables, véritables outils géométriques pour composer le tableau, créer des diagonales de fous, modifier ou carrément renverser des perspectives. Ces tables servent aussi évidemment de support pour disposer et juxtaposer des crânes humains et des crânes d’animaux, des créatures marines (poulpes, homards, crevettes, crabes, poissons divers) mais aussi terrestres, chiens, lapins, vaches, taureaux… Soit tout un bestiaire constitutif de l’iconographie de Barceló depuis ses débuts. « Avec toutes mes années de peinture, je suis aujourd’hui à la tête d’un véritable troupeau avec beaucoup de bêtes différentes ! », plaisante l’artiste.

Jusqu’à l’art pariétal

Sur ces surfaces peintes aux allures d’un banquet pétrifié entre abondance et désolation, on découvre aussi les objets qui ont toujours fait partie de son vocabulaire plastique, livres, bouteilles, bougeoirs, bouquets de fleurs, couteaux… « Le couteau fait partie de la nature morte et c’est un objet actif, il coupe, il est comme un pinceau et comme une flèche qui indique, guide, oriente le regard vers un point précis », précise-t-il. Il est en outre une référence revendiquée à Vélasquez, Manet, Cézanne… Tout comme le poulpe peut renvoyer à la raie de Chardin, le lapin pendu au bœuf écorché de Soutine ou à celui de Rembrandt. Car tous les éléments qui fourmillent dans les œuvres de Barceló sont directement tirés de son vécu et son quotidien, à l’exemple de l’univers marin, fréquenté depuis l’enfance à Majorque (où il est né en 1957 et où il vit une grande partie de l’année), ou de son univers familier peuplé de tous ces objets, posés chez lui sur des tables ou des étagères ; et aussi (et surtout ?) inspirés de l’histoire de la peinture, dans laquelle il (se) baigne depuis toujours. « J’ai vu plus de coings peints que dans la réalité », dit ainsi celui qui jongle allègrement avec la nature morte et le trompe-l’œil. Une histoire de l’art qu’il parcourt en remontant des grands maîtres jusqu’à l’art pariétal, sujet de passion depuis toujours (il fait d’ailleurs partie du comité scientifique de conservation de la Grotte Chauvet). Plusieurs tableaux de l’exposition font directement référence à ce pan de l’histoire, notamment ceux qui évoquent des bisons avec, en arrière-plan, des dessins au fusain, traits et lignes en partie recouverts par l’animal quasiment peint en relief. L’artiste rappelle ainsi que le rapport à la matière a toujours été au centre de son propos même si, à l’inverse d’œuvres antérieures qui jouaient sur l’épaisseur, les fonds de cette nouvelle série privilégient la transparence et la profondeur. Ainsi, de fines couches juste apposées sur la toile écrue, comme des voiles, voire des linceuls, accentuent les subtils effets d’apparition-disparition (vie et mort) qui animent chaque surface.

Compris entre 100 000 et 700 000 euros, les prix n’ont rien d’exagéré pour un artiste qui a une belle et longue carrière (plus de quarante années). Présent dans de multiples collections privées comme publiques, il a bénéficié de nombreuses expositions prestigieuses de par le monde – ne lui manque aujourd’hui que la reconnaissance d’une grande institution parisienne.

Miquel Barceló, Grisailles,
jusqu’au 7 janvier 2023, Galerie Thaddaeus Ropac, 69, avenue du Général-Leclerc, 93500 Pantin.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°597 du 21 octobre 2022, avec le titre suivant : Barceló, la peinture par les cornes

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