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Bajic instinct

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 5 septembre 2018 - 676 mots

À la galerie RX, les dessins, sculptures et collages de l’artiste serbe expriment avec diversité son regard sur l’équilibre fragile du monde.

Paris. Mrdjan Bajic est venu s’installer à Paris en 1990. Il y est resté sept ans avant de repartir à Belgrade (où il est né en 1957). Entre-temps, de 1991 à 1995, l’ex-Yougoslavie a connu la guerre. Et Bajic, par instinct de retour et besoin de retrouver, pour comprendre ses racines et par envie de participer à une reconstruction, est retourné vivre en Serbie. La guerre l’a profondément marqué. En témoigne la présence d’éléments en forme d’obus, de grenades, de lames, de lance-flammes… dans bon nombre de ses sculptures.

Près d’une quarantaine d’entre elles, de trois tailles, sont réunies pour la deuxième exposition de l’artiste à la galerie RX, « Transversales » . Les petites, que Bajic considère comme des dessins, des esquisses, « celles avec lesquelles j’improvise », précise-t-il. Les moyennes, qui valident la mise en place des divers éléments qui les structurent et lui permettent de jouer de façon plus définitive avec les matériaux, aussi bien la pierre que le bronze, l’aluminium, le fer et les objets trouvés, comme ce petit étau, dans Gorgona, qui appartenait à son père. Et la grande – car il n’y en a qu’une seule ici –, qui affirme les pistes, montre ce que peut être le développement à plus grande échelle, établit en conséquence un autre rapport à l’espace, aux proportions et à la notion d’équilibre, omniprésente dans les œuvres de l’artiste. L’équilibre comme un cheval de Troie et de bataille pour ruser à la fois avec l’apesanteur, défier l’ordre a priori établi et, d’autre part, rappeler la fragilité des choses et la mobilité du monde.

« Je suis né en Yougoslavie, où on nous offrait une promesse de stabilité et où tout s’est déchiré. J’ai été élevé dans un système socialiste-communiste, où on nous montrait que tout allait bien, que les choses étaient immuables », se souvient Bajic. Dans chacune de ses sculptures, ce travail sur l’équilibre se caractérise par une superposition, un empilement de deux, voire trois éléments distincts, toujours à la limite du basculement ou de l’effondrement. Ici une mappemonde biscornue (inspirée d’une tomate mutante de Fukushima !) sur une vespa (voir ci-dessus), là une maison à l’envers sur le toit d’une Fiat 500, ailleurs des armes sur une maison renversée elle-même sur une 2 CV ou encore une arborescence de lames tranchantes sur une Volkswagen Coccinelle.

En plus du jeu sur l’opposition stabilité-instabilité, Bajic utilise souvent l’image de l’automobile ou du deux-roues pour suggérer aussi l’idée de déplacement ou d’exode lié à la guerre (la maison comme un baluchon sur le toit). Et s’il choisit précisément ces modèles de voitures, c’est pour rappeler que dans les années 1950 et début 1960, elles incarnaient des possibilités de libertés. À leur propos Bajic parle même de « voitures émancipatoires ». Dans son vocabulaire on trouve aussi des centaures, des architectures modernistes bombardées ou ficelées, des continents découpés, des ours en bronze ou des pandas en peluche. À l’image de ces derniers, l’artiste serbe s’appuie beaucoup sur l’humour et le décalage pour évoquer les problèmes (géopolitiques, climatiques…) du monde aujourd’hui. La dérision comme signe de vie ou instinct de survie.

Compris entre 1 500 et 8 000 euros pour les papiers et 2 500 à 60 000 euros pour les sculptures, toutes en pièces uniques, les prix sont inférieurs à ce qu’ils devraient être. La raison en est que Bajic ne veut pas se couper de son marché en Serbie, où il a de nombreux collectionneurs. L’artiste qui a exposé à Paris dès 1990 (galerie Rabouan Moussion) et a représenté la Serbie à la Biennale de Venise en 2007 (et inauguré le pavillon serbe à cette occasion), a également participé à de nombreuses biennales dans le monde (Sydney, São Paulo…) et figure dans de nombreuses collections, est un artiste reconnu sur la scène artistique, comme en atteste sa biographie. En témoigne également sa collaboration depuis une douzaine d’années avec Richard Deacon pour la réalisation d’une sculpture-passerelle à Belgrade qui sera inaugurée cet automne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°506 du 7 septembre 2018, avec le titre suivant : Bajic instinct

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