Art italien du XXe siècle : Sotheby’s Londres se lance

En réunissant une soixantaine d’œuvres modernes et contemporaines, la maison organise sa première vente spécialisée

Le Journal des Arts

Le 8 octobre 1999 - 1100 mots

Le 21 octobre, Sotheby’s tiendra à Londres sa première vente entièrement consacrée à l’art italien du XXe siècle, qui coïncide avec une abondance d’expositions sur l’art italien, en Grande-Bretagne et à New York. Son organisatrice, Elena Geuna, nous explique pourquoi l’art contemporain italien « attire aujourd’hui davantage de collectionneurs », même si le marché de l’art moderne reste « beaucoup plus développé ». Pour elle, « le rôle des maisons de ventes aux enchères n’est pas d’introduire de jeunes artistes sur le marché ; c’est aux galeries de le faire ».

Quand l’idée de faire cette vente italienne vous est-elle venue ?
L’année dernière. Lorsque j’ai découvert qu’un festival de culture italienne se déroulait ici cet automne, nous avons prévu la vente pour qu’elle coïncide avec les expositions Fontana, Severini, Pistoletto, Alighiero e Boetti.

Que comporte-t-elle ?
Elle propose une vingtaine d’œuvres d’art moderne et trente-cinq d’art contemporain. Le Metropolitan Museum nous envoie un Severini, et nous en avons reçu un autre de sa famille. Il y a quatre Morandi, dont deux issus de la collection Plaza, un superbe Chirico, trois Marino Marini et une belle peinture de Manzù. Pour la section contemporaine, nous avons un Achrome de Manzoni et une boîte de Merde d’artiste ; trois Fontana, y compris l’une des premières peintures perforées de 1959 ; un Astronave de Gino de Dominicis ; l’un des premiers Alighiero e Boetti que j’ai découvert dans une collection privée en Italie ; un Paolini qui a été présenté dans l’exposition de la Royal Academy à Londres, il y a dix ans ; enfin, un très bon groupe d’artistes de la Trans-avant-garde.

Avez-vous décidé de monter cette vente car, étant Italienne, vous avez de nombreux contacts en Italie, ou parce que le marché est maintenant suffisamment porteur pour justifier une vente axée sur un seul pays, comme celles d’art allemand organisées par Christie’s ces dernières années ?
Il y a un peu des deux. Mon expérience couvre principalement l’art de l’après-guerre, mais Sotheby’s a eu beaucoup de succès avec l’art italien du XXe siècle. L’une des premières ventes que j’ai préparées s’est tenue en mai 1990, à New York, avec la collection Winston Malbin de Futuristes. Elle comportait 90 % d’art futuriste italien et a très bien marché. Ces dix dernières années, nos deux ventes Morandi à Londres ont enregistré d’excellents résultats, dont la collection Plaza, en décembre 1997, qui était exclusivement composée d’œuvres de Morandi. Avec la vente Morandi, tout le monde pensait que le marché était restreint, mais le succès remporté a été remarquable. En 1995, Milan a accueilli la vente Estorick d’art moderne classique, puis la collection Stanley Seger l’an dernier. Nous avons pensé que notre expérience du marché était suffisante pour organiser à Londres une vente spécialisée.

Après l’Italie, d’où viennent les acheteurs ?
Pour l’art contemporain, prenons les trois artistes les plus célèbres : Fontana, Manzoni et Burri. Au cours de ces dix ou vingt dernières années, ils ont été collectionnés principalement par des Français, des Belges et des Allemands. Cependant, ces trois ou quatre dernières années, les Américains ont manifesté un intérêt grandissant, notamment pour Fontana et Manzoni. Le marché de l’art moderne italien est beaucoup plus développé que celui de l’art contemporain, mais je reste persuadée que l’art contemporain italien attire aujourd’hui davantage de collectionneurs. L’arrivée des Américains sur le marché se traduira par une grande différence au niveau des prix.

Y a-t-il un marché secondaire pour la Trans-avant-garde ?
D’après nos observations, les œuvres mineures ne se vendront qu’à Milan, tandis que les plus importantes le seront à Londres. De nombreux collectionneurs non italiens collectionnent les œuvres d’artistes de la Trans-avant-garde parce qu’ils sont représentés par des galeries américaines, par Bruno Bischofberger et par Anthony d’Offay. Je pense que le marché de la Trans-avant-garde est plus développé à l’étranger qu’en Italie.

Et l’Arte povera ?
Pour l’Arte povera, c’est différent. J’ai commencé à vendre de l’Arte povera il y a cinq ou six ans ; j’ai réussi à céder de belles sculptures de Paolini à des musées, dont une au Musée d’art contemporain d’Oslo, et d’autres à des collectionneurs étrangers. Quand j’ai constaté que la demande se tarissait, j’ai cessé de les mettre en vente. À présent, avec ce regain d’intérêt des musées pour l’Arte povera – une exposition se tiendra prochainement à Minneapolis, puis à la Tate Gallery –, les Italiens, mais aussi les collectionneurs étrangers vont s’y intéresser de plus près. Cet art est pour le moment sous-évalué.

Quelle influence ont les expositions et les livres sur le marché ? Celui-ci peut-il réellement anticiper ce genre de présentation institutionnelle ?
Ils vont de pair, car l’art italien n’a pas été autant exposé en Amérique que l’art allemand, par exemple. Beaucoup plus de galeries allemandes ont établi des liens avec des galeries new-yorkaises. Les Allemands parlent mieux l’anglais, et les galeries américaines ont découvert il y a quinze ou vingt ans les artistes allemands qu’elles exposent depuis régulièrement. C’est aussi le cas des galeries anglaises, comme Anthony d’Offay. Le public américain connaît l’art allemand depuis dix ans et a appris à l’apprécier, alors que l’art contemporain italien ne lui est pas encore familier.

Pourquoi, selon vous, observe-t-on cette avalanche d’expositions d’art italien en Angleterre et en Amérique ? 
L’exposition consacrée à Manzoni par la Serpentine Gallery de Londres, l’année dernière, était très importante. Elle a été bien accueillie, tant en Angleterre qu’à l’échelle internationale. L’exposition Clemente au Guggenheim est très attendue ; le seul autre artiste italien à y avoir bénéficié d’une rétrospective est Mario Merz, et puis il y a eu la “La Métamorphose italienne”.

Vous êtes-vous intéressée à l’art le plus contemporain ?
Personnellement oui, car je collectionne des œuvres d’artistes italiens contemporains. Professionnellement, après une longue réflexion, j’ai décidé que le rôle de Sotheby’s n’était pas de dénicher les très jeunes artistes ; ceux-ci doivent d’abord avoir une base internationale avant que leurs œuvres puissent être mises aux enchères. Quelques-uns, comme Maurizio Cattelan et Grazia Toderi, qui sont représentés par des galeries à l’étranger, ont beaucoup de succès, mais ils restent des exceptions. Nombre d’artistes me demandent sans cesse pourquoi je ne les présente pas, pour voir ce que cela donnerait. Et je leur réponds : “Que se passera-t-il si rien ne se vend ? Que deviendra votre marché dans ce cas ?” Le rôle des maisons de ventes aux enchères n’est pas d’introduire de jeunes artistes sur le marché ; c’est aux galeries de le faire.

Le rôle des galeries est donc pour vous capital pour entretenir un marché de l’art contemporain ?
Elles servent de base aux jeunes artistes et permettent au public de découvrir leurs œuvres.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°90 du 8 octobre 1999, avec le titre suivant : Art italien du XXe siècle : Sotheby’s Londres se lance

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