Art impressionniste : un marché avisé

Le goût des acheteurs a beaucoup évolué depuis les années 1980 au profit des sujets urbains

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 10 octobre 2003 - 1297 mots

Le marché de l’art impressionniste s’est beaucoup appauvri en vingt ans. Les acheteurs sont toujours présents mais plus avertis. Ils sont prêts à payer le prix fort pour un tableau exceptionnel.

 PARIS - “On dit souvent que l’art impressionnisme est passé de mode, qu’il ne correspond plus à l’esthétisme des grands lofts et qu’il est resté enraciné dans une bourgeoisie traditionnelle. C’est faux !, lance Thomas Seydoux, directeur du département Art impressionniste et moderne chez Christie’s France. Dès que la qualité est là, les acheteurs répondent présents.” La qualité pour un tableau impressionniste signifie un beau sujet, un traitement de la lumière de premier ordre, une date d’exécution irréprochable, un état de conservation impeccable et une bonne provenance. “Un tableau lumineux donne l’impression qu’il y a une ampoule derrière la toile. La différence est saisissante par rapport à une peinture terne”, explique le spécialiste.
Pour les sujets et la date d’exécution, les goûts ont quelque peu changé en vingt ans. “Dans les années 1980, le marché se ruait sur les paysages impressionnistes datés de la première période, les années 1870. Aujourd’hui, les paysages ruraux misérables se vendent mal. Les acheteurs recherchent des sujets liés à l’urbanisme parisien, en particulier les scènes de balcon, les vues de grands boulevards et les scènes de la bourgeoisie parisienne, mais aussi les badauds citadins à la campagne.” L’œuvre de Pissarro est en un très bon exemple.  Après avoir peint des scènes rurales dans les années 1870, l’artiste a abordé les sujets parisiens durant les deux décennies suivantes. Ce sont ces dernières toiles qui sont aujourd’hui les plus prisées, à l’instar du record mondial établi par Sotheby’s à New York le 7 novembre 2001 pour La Rue Saint-Lazare, datée de 1893 et adjugée 6 millions de dollars (5,1 millions d’euros) au marteau. Or, en mai, chez Sotheby’s, à New York, un paysage classiquement impressionniste de Pissarro daté de 1871, au début du mouvement, n’a pas dépassé les 5 millions de dollars au marteau. “Ce paysage, quoique plus ennuyeux, reste pourtant d’un point de vue de l’histoire de l’art une œuvre importante. Ce qui prouve bien un changement de goût des acheteurs”, confirme Simon Shaw, spécialiste en art impressionniste et moderne de Sotheby’s France. Les sujets illustrant le monde des paysans n’ont pas beaucoup de succès a contrario des petits métiers à caractère urbain comme les laveuses, les blanchisseuses ou bien des danseuses de l’Opéra si chères à Degas. Les belles scènes de neige restent en revanche très appréciées pour leur jeu sur la lumière. “Un Pissarro ou un Sisley sur ce thème ferait un prix extraordinaire”, affirme Thomas Seydoux. Or des tableaux extraordinaires, il n’en passe guère plus de dix par an sur le marché. Il suffit seulement d’une découverte pour que la cote d’un artiste bascule. Prenons Caillebotte par exemple, “un artiste rare dont plusieurs œuvres restent encore cachées dans des collections françaises alors que tous les Monet sont dans les musées”, témoigne Simon Shaw. Sa cote a énormément monté. “En 1990, il valait 3 millions de dollars. Aujourd’hui, il a dépassé Sisley et Pissarro”, remarque Thomas Seydoux. L’Homme au balcon, boulevard Haussmann, une toile datée de 1880, vendue 13 millions de dollars au marteau – le double de son estimation –, en mai 2000 chez Christie’s à New York, était le premier tableau de cette importance apparu sur le marché. “Outre la force du tableau, quand L’Homme au balcon est arrivé sur le marché, il y avait si peu de référence de prix que les gens étaient près à tout pour l’acquérir”, se souvient Thomas Seydoux, qui présentera le 4 novembre chez Christie’s New York un autre Caillebotte, “le plus beau après L’Homme au balcon”, montrant une femme à l’ombrelle et un homme au chapeau de paille, de dos à Trouville. “Mais Pissarro et Sisley n’ont pas dit leur dernier mot, ajoute l’expert. Il faut juste trouver le tableau qui mérite plus.”

Le role clé de l’estimation
Si le marché est tributaire de la disponibilité des œuvres, il reconnaît à cent pour cent la qualité d’un tableau. “Ce n’était pas forcément le cas il y a vingt ans”, s’accordent à penser les deux spécialistes. Les amateurs, qui ont à disposition une quantité d’informations, sont plus éduqués ou se font conseiller dans leur achat par un spécialiste, expert ou marchand. Mais, pour une question de volume moindre, les acheteurs ont plus de chance de trouver un beau tableau moderne qu’une belle toile impressionniste. Aussi, une partie du marché s’est tournée vers l’art moderne et le XXe siècle. Et, selon Simon Shaw, la série des Nymphéas de Monet, réalisée vers 1900, vaut actuellement plus cher qu’un tableau du même peintre des années 1870, car ces œuvres tardives incarnent l’esprit moderne, voire tendent vers l’abstraction d’un Pollock.
Bien que les œuvres impressionnistes de qualité intermédiaire se vendent plus difficilement, d’après Thomas Seydoux, “leur potentiel est énorme compte tenu de la raréfaction des toiles majeures”. À condition, toutefois, de mettre des estimations raisonnables afin que le marché réagisse bien. “Nous n’avons pas toujours le choix de nos estimations, regrette l’expert de Christie’s. Les vendeurs sont parfois exigeants. Or c’est dans leur intérêt de ne pas faire peur aux acheteurs potentiels. Sur un tableau qui répond à 4 critères sur 5 en qualité et dont l’estimation serait trop élevée, tout le monde voit ce qui lui manque. Une peinture notée 3 sur 5 mais correctement estimée retiendra l’attention pour ses qualités. Et c’est rassurant pour un collectionneur de se battre contre d’autres surenchérisseurs plutôt que contre un prix de réserve.” Même son de cloche chez Sotheby’s :”L’estimation joue un rôle clé dans le résultat de la vente. Aujourd’hui plus que jamais, si les acheteurs pensent que le vendeur ou la maison de ventes exagèrent, le mécanisme des enchères ne fonctionne plus. Heureusement, les gens tiennent compte la plupart du temps du conseil des experts.”

Paris, marché sinistré
Le marché de l’art impressionniste est depuis longtemps installé à New York, où se trouve le plus grand nombre de tableaux. Londres reste une place de deuxième choix pour la vente, au détriment de Paris où, pourtant, quelques toiles apparaissent parfois, issues de collections privées. “Il n’y a pas de très grands tableaux qui sortent à Paris”, constate un marchand parisien. Selon le galeriste François Lorenceau, “il reste des peintures dans les familles françaises, mais les Français, à la différence des Américains, sont très conservateurs d’une génération à l’autre”. De temps à autre sont pourtant vendus à Drouot un Renoir ou un Pissarro, de format modeste. Mais ces petits tableaux sont immédiatement achetés par des marchands européens pour être revendus sur le marché américain. Les SVV françaises n’ont pas la puissance “marketing” nécessaire pour communiquer dans le monde entier, à la différence des deux géants des enchères. Le gros du marché, comprenant évidemment le segment haut de gamme, reste ainsi aux mains des maisons internationales Christie’s et Sotheby’s, de l’autre côté de l’Atlantique. “Les deux petits Renoir et la petite huile sur toile de Pissarro se sont bien vendus, à des prix internationaux”, indique Simon Shaw, faisant référence à trois œuvres de la collection Didier Kahn-Sriber dispersée à Paris le 2 octobre. Jardin à Éragny, un tableau de 19 x 27 cm signé Pissarro vers 1889 et adjugé 137 675 euros, et deux natures mortes de Renoir, parties à 134 375 et 156 375 euros, ont tous trois largement dépassé leur estimation haute. “Vendre des œuvres d’une collection particulière apporte une valeur ajoutée, d’où les prix obtenus à Paris. Mais, présenté dans une vente anonyme, ce type de tableaux se vend mieux à Londres ou à New York.” De plus, “les enchérisseurs japonais étaient au téléphone. Même s’il ne sont pas aussi nombreux que dans les années 1980, il reste quelques fortunes qui recommencent à acheter”, précise-t-il, contre toute attente.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°178 du 10 octobre 2003, avec le titre suivant : Art impressionniste : un marché avisé

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