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Dessin

Annette Barcelo, la jeune fille et la mort

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 28 février 2017 - 759 mots

PARIS

Chez Anne de Villepoix, les dessins mystiques la « jeune artiste » suisse Annette Barcelo se jouent de la mort avec une grande spontanéité.

PARIS - Comment peindre et faire rentrer un éléphant dans une carte postale ? Comment le faire tenir dans une barque sans que celle-ci ne coule et le pachyderme avec ? Annette Barcelo n’a peur de rien : ni d’évoquer l’Afrique, où elle n’a jamais mis les pieds ; ni de figurer son éléphant sur fond de montagnes suisses ou autres télescopages aussi inattendus ; ni de ses rêves ou cauchemars au cours desquels il semble se passer beaucoup de choses ; ni de la mort qui semble les hanter et rôde dans ses œuvres. Tous ces aspects sautent vraiment aux yeux à l’occasion de cette première exposition conséquente, intitulée « Ungewohnte Nähe » (Voisinage inhabituel ou extraordinaire), qu’Anne de Villepoix consacre à cette artiste, née en 1943 à Bâle (où elle vit encore aujourd’hui), quasi inconnue en France et même ailleurs, puisqu’elle n’a exposé qu’en Suisse.

Bestiaire de l’au-delà
La galeriste avait certes déjà montré quelques dessins dans son project room au printemps 2015 et au salon Drawing Now en 2015 et 2016, mais ne lui avait encore jamais organisé d’exposition personnelle aussi importante en déployant ses différentes séries. Car Annette Barcelo ne travaille qu’en séries (comme en rend compte l’accrochage), chacune déterminée par les différents supports qu’elle déniche : aussi bien de vieilles cartes postales que le dos de feuilles de papier millimétré d’architectes ou des cahiers à spirale, ou même des sous-bocks de bière dont elle fait de subtiles tondos. Mais quels que soient leur format et leur surface, tous les dessins révèlent des mondes étranges, peuplés d’un étonnant bestiaire composé d’éléphants donc, mais également de serpents, d’hybrides d’ânes et de biquettes, de corbeaux… Tous mettent en scène des squelettes, avec ou sans capuches, mais dont les côtes sont toujours évoquées par une succession de petits traits blancs qui viennent structurer telle ou telle partie de l’espace.

Derrière une évidente rapidité d’exécution et une grande spontanéité – « je ne calcule jamais à l’avance ce que je vais peindre, sinon cela ne marche pas » précise l’artiste –, ce qui frappe en effet dans toutes les œuvres d’Annette Barcelo, c’est son souci permanent de composer et occuper l’espace, de jouer sur différents registres de motifs (notamment floraux, comme une référence à Matisse) pour créer des rythmes, des décalages, des flux. L’idée du mouvement et de la vague est même souvent directement suggérée par l’élément aquatique – mer ou fleuve –, qui avec sa barque quelquefois en forme de cercueil, renvoie évidemment à l’Achéron, au Styx et au passeur Charon qui, dans la mythologie grecque, transportait les âmes des défunts. Rien ne dit ici que la destination conduit aux enfers. La seule constante est la présence d’une figure féminine. Annette Barcelo, elle-même ? Elle a souvent les seins pointés comme des obus, que viennent palper des doigts osseux. Ailleurs sa chevelure se prolonge en serpent ou en corbeau, comme si les animaux la tiraient vers un autre monde. Mais sans pathos. « L’idée de passer, de voyager d’un monde à un autre me fascine depuis toujours ». Car ici la mort est joyeuse, abordée avec beaucoup d’humour, jamais de façon morbide. « Depuis le jour de notre naissance, on est toujours avec une jambe dans la mort. La mort fait partie de la vie. La peindre est en conséquence une façon de vivre et une manière de l’apprivoiser », indique celle qui semble s’y connaître après avoir été opérée du cœur et être sous dialyse pour des problèmes rénaux. Dans ce qui s’apparente ici souvent à des memento mori, la vie rejaillit toujours, par exemple sous la forme de ces langues rouges ou ces lignes sanguines comme des veines qui ponctuent de temps en temps les saynètes de couleur vive.

Compris entre 800 euros pour les petits formats (cartes postales) et 4 500 pour les plus grands (60 x 80 cm), les prix sont raisonnables pour une jeune artiste (elle n’expose que depuis une vingtaine d’années), mais quand même âgée de 72 ans. Il faut dire aussi qu’Annette Barcelo, qui se revendique autodidacte, et dont le travail n’est pas sans rappeler, par moments, certaines préoccupations de Carol Rama ou de Louise Bourgeois voire des aspects de l’art brut, n’a jamais été montrée hors de son pays natal. Soit un marché local qui ne devrait pas tarder à s’élargir.

ANNETTE BARCELO

Nombre d’œuvres : environ 170
Prix : entre 800 et 4 500 €

ANNETTE BARCELO, UNGEWOHNtE NÄHE

Jusqu’au 29 avril, Galerie Anne de Villepoix, 43 rue de Montmorency, 75003 Paris, tél.01 42 78 32 24, mardi-samedi 10h-19h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°474 du 3 mars 2017, avec le titre suivant : Annette Barcelo, la jeune fille et la mort

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