Trois questions à

Alexandre Pradère, spécialiste et conseil en mobilier et objets d’art du XVIIIe siècle, à Paris

« Le XVIIIe a encore de beaux jours devant lui »

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 15 avril 2005 - 717 mots

 Comment se porte le marché du mobilier XVIIIe siècle ?
Il faut avouer que ce ne sont pas les jours les plus roses pour ce marché. Il souffre d’une conjonction de phénomènes dont le principal est la baisse du dollar. En effet, c’est un marché qui a toujours été tiré par les nouveaux acheteurs américains, ceux qui décorent des appartements à New York ou des maisons à Palm Beach. Or, pour un Américain, un achat en Europe revient maintenant à une augmentation de prix de 30 % ! En conséquence, les acheteurs américains se montrent plus frileux.
On dit par ailleurs qu’il y a un changement de goût, que les gens s’intéressent surtout au XXe siècle. C’est vrai et faux à la fois. En réalité, c’est une tendance vieille d’une vingtaine d’années : pour simplifier, le mobilier ancien courant, le salon Louis XV de grand-mère est mort, les gens n’en veulent plus ; ils ne veulent pas d’une pseudo-reconstitution d’un intérieur ancien, n’y voient pas une valeur refuge et préfèrent dépenser leur argent en loisirs et voyages. Mais cette désaffection ne touche que le secteur du mobilier XVIIIe courant. Dès que l’on parle d’objets rares ou de pièces de collection, les collectionneurs sont là et les prix sont particulièrement forts. Certes, le mobilier ancien de médiocre qualité est remplacé chez les jeunes marchands de la rive gauche et chez les décorateurs à budget moyen par du mobilier du XXe siècle, dont il existe (à condition d’aller vers le 1960-1970) une grande abondance et une grande variété. Cela coûte moins cher. C’est plus en phase avec notre temps et l’on n’est pas obsédé (pour le moment) par les problèmes d’authenticité et de restauration qui ont gangrené le marché du mobilier ancien. Cela ne veut pas dire pour autant que le grand XVIIIe est remplacé par le XXe siècle. On ne voit pas comment le mobilier du XXe siècle, qui est, la plupart du temps, du mobilier de série (exception faite bien sûr de la magnifique période Art déco, mais courte et rare) peut prendre la place du beau mobilier ancien, unique de qualité, jamais décevant, et d’exécution tellement plus soignée.
Cette réflexion n’est pas une nouveauté. Je suis tombé récemment, dans un magazine d’art datant de mai 1971, sur un entretien de Jacques Kugel. À la question de l’opportunité d’ouvrir une galerie d’antiquités au 279, rue Saint-Honoré, le marchand répondait  : « Mes confrères disent que la conjoncture est mauvaise pour l’antiquité, que le design envahit tout, que les jeunes ne veulent plus d’ancien, que les collectionneurs se font rares. Moi je dis que la conjoncture me paraît exceptionnellement heureuse, que le design menace peut-être l’ennuyeux Louis XV mal acclimaté dans trop d’appartements modernes, mais que jamais il ne concurrencera l’objet ancien de qualité. Je dis qu’il y aura toujours des gens pour préférer aux créations multipliées par l’industrie la singularité de l’objet unique qui touche le plus secret de leur personnalité. » Donc le mobilier XVIIIe a encore de beaux jours devant lui !

Quelles sont vos dernières émotions artistiques ?
Après avoir travaillé pendant des années sur l’ébéniste Charles Cressent, et publié une monographie sur lui, il m’a été donné de découvrir l’un de ses plus beaux meubles, pratiquement intouché depuis deux siècles, dans une collection privée.

Quelle est votre actualité ?
Après avoir rejoint Marc Blondeau (expert en art moderne) et Étienne Breton (expert en tableaux anciens) en 2000, j’ai quitté mes deux associés pour poursuivre mon travail d’expert, de conseil et de courtier en solo. Néanmoins, nous continuons à travailler ensemble, non plus sous la forme d’une association qui n’a pas créé la synergie que l’on espérait, mais comme des correspondants. Pour moi, cela ne change rien. Je fais exactement le même travail. Entre les salles des ventes et les antiquaires, les collectionneurs sont parfois un peu déboussolés. C’est mon rôle de les aider, de les conseiller à l’achat comme à la vente. Mes clients sont  des collectionneurs privés français ou des Américains, mais aussi de grands musées comme le Louvre auquel j’ai vendu de nombreuses pièces de porcelaine de Sèvres, une paire d’appliques de Gouthière ou encore un cabinet néo-Renaissance de 1848 en ébène, donné par la IIe République à la reine Isabelle d’Espagne.

Alexandre Pradère, tél. 01 40 51 02 52 (sur rendez-vous).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°213 du 15 avril 2005, avec le titre suivant : Alexandre Pradère, spécialiste et conseil en mobilier et objets d’art du XVIIIe siècle, à Paris

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque