Droit du marché

Affaire Arp : polémique sur le prix du plâtre

Le Journal des Arts

Le 29 août 1997 - 921 mots

Depuis la saisie par les Douanes, en mai 1996, de 114 sculptures de plâtre et 32 reliefs de métal de Hans Arp, un contentieux complexe oppose les douanes françaises à un transporteur allemand, qui agissait pour le compte de la Fondation Arp allemande. Le Tribunal de Valenciennes vient de désigner trois experts – Jean-Pierre Camard, Denise René et la SCP de commissaires-priseurs De Quay et Lombrail – pour l’éclairer sur la valeur des pièces qui, selon les Douanes, auraient dû faire l’objet d’une demande de certificat de libre circulation. L’issue du contentieux comptera pour fixer la pratique française de ce certificat et la définition des œuvres d’art originales en matière de sculpture.

VALENCIENNES. Les Douanes ont demandé en justice la confiscation de 19 œuvres, ainsi que la condamnation du transporteur à une amende douanière de 9 620 000 francs pour exportation de biens culturels sans autorisation, ou de 68 100 000 francs si les 114 plâtres et 32 reliefs du chargement devaient être considérés comme une collection présentant un intérêt historique. Le litige s’est noué autour de la valeur des plâtres. Le système français prévoit qu’un certificat de libre circulation doit être demandé lorsque la valeur de sculptures de plus de 50 ans d’âge excède 50 000 écus, soit 350 000 francs. Le même montant est applicable aux collections. Selon les Douanes, il aurait fallu demander un certificat pour 19 des plâtres. Et si l’ensemble était qualifié de collection d’intérêt historique, un certificat était nécessaire pour les 146 pièces. Aucune demande n’avait été faite. De son côté, le défendeur fait état de valeurs comprises entre 10 000 et 70 000 francs par pièce. Les Douanes mettent en avant l’expertise d’une ancienne collaboratrice de la Fondation Arp française, qui a conclu que 19 plâtres avaient plus de 50 ans d’âge et une valeur unitaire supérieure à 50 000 écus. La Fondation Arp allemande  – en litige avec la française – la récuse : de surcroît, l’ancienne collaboratrice de la fondation française ne serait pas expert auprès des tribunaux. Marie-Aline Prat, expert près la Cour d’appel de Paris, nommée par une ordonnance du président du Tribunal de Valenciennes sur demande de la fondation allemande, a estimé que les plâtres pouvaient être évalués entre 30 et 40 000 francs pour les moins importants, 150 000 à 200 000 francs pour les autres : aucun ne dépasserait donc le seuil de 50 000 écus. Un représentant des Musées de France a également examiné les pièces et leur aurait attribué une valeur exceptionnelle, estimant qu’il s’agit d’une collection qui aurait dû faire l’objet d’une demande de certificat pour sa totalité. La fondation allemande fait aussi état de deux ventes aux enchères de plâtres, en 1996, pour 42 000 et 75 000 francs. Les Douanes semblent considérer que ces ventes, réalisées à la veille du transfert à l’initiative du président de la Fondation Hans Arp, l’ont été pour les besoins de la cause et seraient sans doute fictives.

Grave contentieux
Par précaution, les Douanes – sur la suggestion des Musées de France – ont requalifié subsidiairement le délit en visant la catégorie des collections d’intérêt historique. Bien évidemment, la valeur totale des 146 pièces excédera 350 000 francs. Les Douanes ont également fait état d’une exportation illégale des mêmes pièces en 1988-1989, l’affaire s’étant alors terminée par un rapatriement en France et une transaction, en 1992, dans laquelle les 114 plâtres auraient été évalués à 62 700 000 francs. Cette affaire se superpose à un grave contentieux qui oppose la fondation française de Clamart et la fondation allemande de Cologne – notamment sur la propriété ou l’affectation des œuvres, de la maison de l’artiste à Clamart, ainsi que des ar­chives – et fait actuellement l’objet de pourparlers. Pour régler la question de valeur, le Tribunal de Valenciennes a finalement désigné un collège d’experts : Jean-Pierre Camard, Denise René, qui fut longtemps la galeriste de Arp, et la SCP de commissaires-priseurs De Quay et Lombrail. Leur mission est classique : examiner les pièces, indiquer s’il s’agit bien de sculptures originales de Arp, préciser si elles ont été créées depuis plus de 50 ans et donner "la valeur actuelle sur le marché de l’art" de chacune des sculptures. Deux dispositions sont cependant à relever :
- Si le Tribunal ne dit pas clairement qu’il examinera la demande visant à qualifier l’ensemble de collection, il invite cependant les experts à consulter les représentants habilités du ministère de la Culture, qui plaide pour cette interprétation.
- le Tribunal invite les experts à "donner si possible la valeur des droits de reproduction de chacune de ces 19 sculptures", sans autre explication. Mais si l’on "capitalise" les revenus que pourrait procurer la fonte de sculptures à partir des plâtres, les seuils pourraient être vite franchis. Problème : supposons que la valeur ainsi obtenue donne raison aux Douanes, les plâtres, confisqués, reviendraient à l’État, mais pas leurs droits de reproduction. Alors le Tribunal devra-t-il imaginer une valeur du plâtre en "nue propriété" ?

Une instance de classement
Les experts ont jusqu’au 30 no­vembre pour déposer leur rapport. En attendant, pourquoi le ministère de la Culture ne déclencherait-il pas une instance de classement sur cette collection ? Si la valeur des plâtres dépasse les seuils, la Douane confisquera. Si cette valeur est celle qu’invoque la fondation allemande, l’éventuelle indemnisation de la servitude de classement serait faible et la collection resterait en France. Cela permettrait peut-être de réconcilier les fondations rivales et éviterait de laisser se développer une procédure qui risque d’écorner la réputation des experts français.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°42 du 29 août 1997, avec le titre suivant : Affaire Arp : polémique sur le prix du plâtre

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