1999/2000 : France, le pays où l’art est moins cher

À Londres et New York, les prix s’emballent, à Paris le nombre de lots vendus progresse, mais le produit global stagne

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2000 - 1104 mots

D’après les statistiques de Art Sales Index, le marché mondial des ventes aux enchères est reparti à la hausse pendant la période 1er août1999-30 juillet 2000. Mais la croissance observée repose exclusivement sur l’inflation des prix. Sur les spécialités observées, la France semble à la traîne. Une évolution qui paraît contradictoire avec les chiffres annoncés par les commissaires-priseurs français, mais qui s’explique par la stagnation des cotes en France pendant que les prix s’emballaient à Londres et à New York. La baisse de l’euro à laquelle s’ajoute en France les incertitudes de la réforme ont pesé sur ces évolutions qui laissent cependant entrevoir une marge de progression pour le marché français.

PARIS - Les premiers chiffres communiqués par Art Sales Index (ASI), lequel ne comptabilise que les tableaux, les sculptures et les dessins, font apparaître une progression générale. Mais, selon la devise de comptabilisation, l’amplitude de progression est forte : 9,5 % en dollars, 14 % en livres sterling et 24,5 % en francs français, donc en euros puisque la totalité des ventes a été pour la première fois comptabilisée après le lancement de l’euro.

Ces chiffres sont donc difficiles à interpréter. Pour y parvenir, il faut pondérer la hausse globale à partir de la localisation effective des ventes et donc de la devise de transaction : 50,50 % des ventes sont réalisées aux États-Unis, 29,80 % au Royaume-Uni et 5,20 % en France. Ces trois marchés totalisent 85,50 % des enchères recensées par ASI.

Pour approcher plus précisément l’ensemble on peut agréger les enchères françaises et celles des autres États membres liés à l’euro (dont l’Allemagne : 2,45 %, l’Italie : 1,47 %, l’Espagne : 0,92 %, la Belgique : 0,52 %, la Hollande : 1,36 %, l’Autriche : 0,71 %) pour aboutir à un total bloc euro de 13,80 % environ, porté à 15 % si on lui rattache la Suède, la Grèce et le Danemark. Pour boucler la statistique on associera à la zone dollar le Canada : 0,46 %, Israël : 0,19 % et l’Australie 1,60 %, soit un ensemble représentant environ 53 %. À la livre on pourra relier la Norvège : 0,39 % et l’Afrique du Sud (pour ne pas démembrer le Commonwealth au seul profit des Américains) : 0,14 %. Le total de la zone sterling représente donc environ 30,50 % de l’ensemble. Le franc suisse complète le tout avec 1,65 %, que l’on rattachera par commodité mathématique à la zone euro dont le total s’arrondit à 16,50 %.
En combinant les taux d’augmentation et la part des différentes zones, la progression corrigée du marché s’établirait dès lors à : (9,5 x 53 %) (14 x 30,5 %) (24,5 x 16,5 %) = 5,035 4,27 4,04 = 13,35 %.

Une certaine résistance
La position de la France, moins 2,49 % sur l’exercice précédent et 5,22 % du marché mondial sur les spécialités analysées, est en assez net retrait. Quelles explications avancer ? Certaines sont circonstancielles : la saison passée avait en particulier enregistré les ventes Dora Maar et la fraction “beaux-arts” de la vacation Sotheby’s au château de Groussay. Sur un total de ventes françaises de 998 millions de francs ce manque suffirait à justifier la diminution. En fait la baisse en valeur absolue n’est que de 29 millions de francs, ce qui suggère donc une certaine résistance du marché. La part du marché français, à 5,20 % est du reste en ligne avec les performances de 1996/1997 (5,69 %) et 1997/1998 (5,70 %). Les quantités et les prix sont d’ailleurs pratiquement étales par rapport à la saison 1998/1999 : 15 490 lots pour une adjudication moyenne de 64 147 F contre 15 776 lots à un prix moyen de 64 387 F, la saison précédente. Pour mémoire en 1997/1998, 14 647 lots avaient été enregistrés par ASI sur un prix moyen de 56 892 F et en 1996/1997, 13 532 lots pour une moyenne de 47 299 F. En quatre ans le prix moyen par lot n’a donc augmenté que de 35 %. Sur la même période, en contre-valeur exprimée en francs français, le lot est passé de 97 810 F à 169 939 F en Grande-Bretagne soit une hausse de 74 % et de 239 738 à 516 019 F aux USA, soit 115 % d’augmentation. Sur la seule saison 1999/2000 le prix moyen a augmenté de 47 % au Royaume-Uni et de 64 % aux USA.

Une croissance plus saine
L’appréciation du dollar et de la livre ne justifie pas à elle seule ces écarts considérables puisque par rapport au franc, le cours moyen de la livre a augmenté de 15 % depuis 1996/1997, celui du dollar de 21 % sur la même période. Entre 1998/1999 et la dernière saison la livre a augmenté de 9 % et le dollar de 14 %. On pourrait même considérer que dans le contexte le résultat français est plutôt satisfaisant, et se réconforter en espérant qu’il porte en germe une croissance plus saine que celui des places anglo-américaines.

En effet la conjonction de la forte baisse de l’euro face au dollar et à la livre et du retard dans l’adoption de la réforme des ventes aux enchères en France aurait pu conduire à un plus fort déclin. Sur le marché international des ventes aux enchères, on peut penser que le décideur, donc le vendeur, a naturellement tendance à placer les œuvres sur les marchés dont les monnaies sont les plus fortes. Quant aux opérateurs internationaux, ils ont continué à transférer leurs vacations vers Londres ou New York en attendant l’ouverture du marché français. Mais il ne semble pas y avoir eu de délocalisation massive si on en juge par la baisse des quantités vendues.

La progression relative du marché français en nombre de lots vendus peut donc être jugée encourageante. En effet en maintenant à peu près ses quantités vendues – tandis que le marché anglais baissait de 9,5 % (mais conservait sa première place mondiale avec 26 % des quantités vendues) et celui de New York de 21 % – la part de la France est passée de 11,40 % des enchères mondiales à 12,27 %. Et, plus que ses concurrents elle peut espérer avoir une marge de progression par les prix.

La question est maintenant de savoir si l’atterrissage en douceur toujours annoncée de l’économie américaine et du Nasdaq profitera à l’euro et à la France dotée, sinon dopée, d’une nouvelle économie des enchères. Question subsidiaire : les Anglais, qui démontrent d’année en année leur capacité de résistance à la richesse américaine en se maintenant entre 28 et 29 % du marché mondial, rafleront-ils la mise ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°110 du 8 septembre 2000, avec le titre suivant : 1999/2000 : France, le pays où l’art est moins cher

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