La justice résilie le contrat d’édition des œuvres d’André Arbus détenu par Yves Gastou

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 6 juin 2017 - 815 mots

PARIS [06.06.17] - Le TGI de Paris a, à la demande de la Fondation de France, prononcé la résiliation du contrat d’édition des meubles d’André Arbus aux torts du galeriste Yves Gastou, qui bénéficiait depuis 1999 d’un droit exclusif d’édition sur certaines œuvres du designer. La galerie doit également verser à la Fondation de France, 30 000 euros de manque à gagner.

La qualité d’éditeur, qu’elle se déploie dans le domaine littéraire ou dans celui des arts plastiques, astreint à de très nombreuses obligations imposées par le Code de la propriété intellectuelle. Ce dernier répute le lien contractuel entre l’éditeur et l’auteur comme déséquilibré et susceptible de donner prise à des manquements éventuels au détriment du créateur. Le législateur impose ainsi à celui qui souhaite fabriquer des exemplaires de l’œuvre, des obligations d’information et de transparence au profit d’une parfaite connaissance de l’exploitation réalisée.

Acteur clé de la promotion de l’œuvre de l’architecte-décorateur d’origine toulousaine, la galerie Yves Gastou avait conclu en 1999 un contrat d’édition portant sur diverses œuvres d’André Arbus avec sa fille, en sa qualité de légataire universelle, moyennant notamment le paiement d’une redevance sur la vente des exemplaires édités.

Au décès de celle-ci, la Fondation de France devint à son tour légataire universelle par voie testamentaire. Mais ce n’est qu’en 2012, soit sept ans après le décès de l’héritière, que la Fondation pris connaissance de l’existence du contrat d’édition.

Au-delà de l’absence d’information sur le nombre d’exemplaires édités et commercialisés depuis la signature du contrat, et sur le prix de vente perçu par la galerie, la Fondation de France découvrit également qu’aucun paiement n’était intervenu depuis 2002. Il semblait même que la galerie aurait soigneusement dissimulé les prix de vente réellement pratiqués afin de ne pas dévoiler une pratique « malhonnête » consistant à vendre les pièces environ 60 % plus cher que les prix minimums envisagés, de telle sorte que le montant des redevances aurait été calculé délibérément à partir des prix envisagés aux termes du contrat et non sur la base des prix de vente effectivement pratiqués. Au défaut d’exécution des engagements contractuels, dont l’obligation de reddition des comptes, s’ajouterait alors un manque à gagner important pour la Fondation André Arbus, abritée sous l’égide de la Fondation de France, résultant de la discordance entre l’assiette de calcul de la redevance due et celle retenue. Enfin, la galerie n’aurait nullement respecté son obligation d’assurer la promotion de l’œuvre du décorateur auprès de la clientèle amatrice de ses créations.

Pour sa défense, la galerie Yves Gastou tentait notamment de faire valoir que les manquements qui lui étaient reprochés devaient être appréciés en miroir de l’inaction de la Fondation, tant dans l’appréhension des difficultés nées du contrat qu’au regard du peu de promotion assurée au profit de l’œuvre d’André Arbus. Au contraire, la galerie est à l’origine de la redécouverte de la production de cet artiste et de l’engouement qu’elle a suscitée chez les collectionneurs et amateurs d’art constituant, ainsi qu’auprès de grandes et prestigieuses collections publiques. Quant au complément des redevances dues, la galerie acceptait de les verser, ayant pensé légitimement qu’elle pouvait calculer les redevances dues sur les prix de vente envisagés aux termes du contrat d’édition.

Mais, considérant que la galerie ne répondait que de manière parcellaire à ses demandes et ne fournissait aucun élément comptable tangible, la Fondation de France l’assignait en résolution du contrat en mai 2015. Le Tribunal de grande instance de Paris a accueilli le 24 février dernier, ses demandes en résolution, rejetant néanmoins certaines demandes accessoires et minorant les montants d’indemnisation sollicités.

Aux termes de la décision, il ressort ainsi que la galerie n’a pas tenu de registre des œuvres, n’a pas non plus satisfait à son obligation de reddition de compte et n’a pas procédé au paiement des redevances dues depuis 2002. Or, « ces trois manquements sont particulièrement graves dès lors qu’ils portent sur des obligations essentielles du contrat ayant pour objet d’une part, de garantir la bonne exécution de son obligation par la tenue d’un registre destiné à justifier précisément du nombre des œuvres reproduites ainsi que de la date de leur réalisation, et d’autre part, par le paiement des redevances, d’exécuter la contrepartie au droit de reproduction et de représentation qui lui a été cédé à titre exclusif ».

Selon le tribunal, la gravité de ces manquements commande donc de prononcer la résiliation du contrat d’édition signé le 10 mai 1999. Quant au manque à gagner pour la Fondation de France, celui-ci est fixé à une somme globale de 30 000 euros, à laquelle s’ajoute une somme de plus de 40 000 euros pour les redevances dues. Enfin, le tribunal fait interdiction à la galerie de fabriquer ou de faire fabriquer tout exemplaire des œuvres objets du contrat et lui ordonne de remettre les plâtres originaux et tous les moules des œuvres objets du contrat à la Fondation de France.

Légende photo

André Arbus (1903-1969), meubles pour le pavillon de la Société des Artistes Décorateurs (SAD) à l'Exposition Internationale de 1937 à Paris - Collections Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris © Photo Sailko - 2016 - Licence CC BY 3.0

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