Monuments

Chambres avec vue

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 6 octobre 2010 - 781 mots

Plusieurs projets d’hôtels sont à l’étude à Versailles, Fontainebleau ou Chambord.
Mais leur mise en œuvre pourrait s’avérer complexe…

PARIS - Frédéric Mitterrand ne se cache pas d’en rêver. Dormir dans les châteaux et monuments insignes appartenant à l’État, comme le fait l’Espagne depuis 1928 avec ses paradores, pourrait ainsi prochainement être à la portée d’une clientèle aisée. Depuis la signature, en novembre 2009, d’une convention entre les ministères de la Culture et du Tourisme, une multiplicité de scenarii a été mise à l’étude, par le Centre des monuments nationaux (lire le JdA no 323, 16 avril 2010, p. 8) mais aussi par les établissements publics qui disposent de réserves foncières inexploitées. Et sur lesquelles les experts de France Domaine sont susceptibles de lorgner pour envisager une cession pure et simple.

À Fontainebleau, l’affaire est ancienne. Depuis 2005, le ministère de la Culture a en effet racheté, au profit du château, le quartier des Héronnières, anciennes écuries classées du XVIIIe siècle situées en périphérie du domaine. Dès 2006, un appel à projet y a été lancé pour implanter, sur 12 000 mètres carrés, un nouveau pôle d’accueil pour les groupes de visiteurs, un programme d’hébergement ainsi qu’un centre dédié au tourisme départemental. Mais l’éloignement du château et l’ampleur des travaux à mener, chiffrés à 25 millions d’euros pour la seule restauration des bâtiments, ont fait fuir les investisseurs, publics et privés. L’idée de Jean-François Hébert, nommé entre-temps président de l’établissement public, d’y installer la Maison de l’histoire de France a ensuite été retoquée. Or, dans l’intervalle, d’autres espaces se sont libérés : le quartier Henri IV a été rénové pour accueillir Pro-Quartet, centre européen de musique de chambre, sans que le projet n’aboutisse. Tout proche du château, ce site devrait héberger, outre de nouveaux lieux d’exposition, les services touristiques du département dans des espaces loués par le domaine dans le cadre d’un bail précaire, libérant définitivement les Herronières pour un projet cette fois-ci exclusivement dédié à l’hôtellerie. 

À Versailles, la situation est proche. Revenu dans son giron en 2009, l’hôtel du Grand Contrôle, construit en 1664 par Mansart et situé en ville – hors du périmètre du château –, fait aujourd’hui l’objet d’une étude similaire, alors que des terrains plus éloignés (le site des Matelots) pourraient être loués pour un projet d’extension du stade de tennis de Roland-Garros. Autre fleuron du patrimoine, le domaine de Chambord pourrait lui aussi être doté, à l’horizon 2015, d’un nouvel hôtel de luxe de 50 chambres, hébergé dans la ferme forestière de l’Ormetrou. 

Précautions à prendre
Si tous les grands monuments sont aujourd’hui scrutés dans une telle perspective, les projets ne sont toutefois encore qu’au stade de l’étude. Afin d’éviter les fâcheuses polémiques, comme celle de l’hôtel de la Marine, fleuron parisien qu’un ancien ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, aurait volontiers transformé en hôtel, leurs prosélytes mettent en avant plusieurs précautions à prendre : bâtiments n’ayant pas vocation à être ouverts au public et situés en périphérie des domaines. Toutefois, les contraintes imposées aux futurs investisseurs en termes de prescriptions architecturales et de normes hôtelières, mais surtout l’absence de droits réels sur les travaux menés dans ces éléments relevant du domaine public de l’État – qui les priveraient de toute possibilité d’emprunt ou d’indemnisation en cas de rupture de la convention – alors qu’ils devront débourser des sommes colossales, risquent d’en échauder plus d’un. Sur ce point, à moins d’une surprenante mansuétude de l’administration, seul le projet de Chambord semble aujourd’hui réellement envisageable. Jean d’Haussonville, directeur général du domaine, a en effet préféré la ferme de l’Ormetrou, relevant du domaine privé de l’État et jusque-là louée en exploitation agricole, aux écuries du maréchal de Saxe, appartenant au domaine public et qui devraient être transformées en musée de la chasse et de la nature.

La référence à l’exemple des paradores espagnols, citée souvent par le ministre de la Culture, mériterait cependant d’être poussée jusqu’au bout. Cette marque prestigieuse, qui regroupe 93 établissements, emploie plus de 4 000 salariés et génère un chiffre d’affaires de plus de 300 millions d’euros, est une société anonyme dont le seul actionnaire est… l’État espagnol. Elle est aujourd’hui devenue un instrument de la politique touristique nationale. Avec toutefois son revers : un taux d’occupation de 60 % et une perte de visibilité pour les clients de la qualité intrinsèque des monuments, qui devrait être compensée par l’installation de petits musées in situ… Mais s’il a montré sur la durée sa validité, ce modèle risque toutefois d’achopper en France sur un point précis : l’absence de capacité d’investissement de l’État pour se lancer dans une telle aventure. Or, ce serait là un vrai pari pour l’avenir des monuments historiques.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°332 du 8 octobre 2010, avec le titre suivant : Chambres avec vue

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