Portzamparc au rythme carioca

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2009 - 898 mots

Malgré les polémiques, l’architecte français inaugurera cet été, dans le cadre de l’« Année de la France au Brésil », la monumentale Cidade da Musica de Rio.

ll est des programmes qui collent à la peau des architectes. Même au Brésil, Christian de Portzamparc est désormais considéré comme le bâtisseur des Cités de la musique, vaisseaux monumentaux consacrés à la musique et conçus dans le sillage du précédent parisien de la Villette, inauguré en 1995 (lire p. 18). C’est d’ailleurs grâce à cette compétence que l’architecte français, introduit par son épouse brésilienne auprès des autorités de Rio, a décroché la commande sans passer par la procédure du concours. Son projet est aussi celui de la démesure : en superficie (90 000 mètres carrés de surface brute) ou matériaux (8 000 tonnes d’acier et 65 000 mètres cubes de béton). Données auxquelles s’ajoutent un calendrier resserré finalement contrarié par l’organisation des Jeux panaméricains (2007), et une architecture sculpturale dont le coût exorbitant a servi de pomme de discorde lors des dernières élections municipales, en octobre 2008. Un épilogue fâcheux ayant pour conséquence une longue interruption du chantier, qui n’aura été, finalement, que l’un des nombreux épisodes de cette saga brésilienne.

Recréer la mangrove
C’est en 2001 que l’architecte rencontre le maire de l’époque, César Maïa, et son secrétaire à la culture, Ricardo Macieira. L’idée était alors de créer une Cité de la musique, « Cidade da Musica », pour accueillir l’Orchestre symphonique du Brésil. Sollicité par l’édile pour transformer un projet conçu dans les années 1950 par Alfonso Eduardo Reidy, figure de l’architecture locale, Portzamparc décline l’offre. Mais le maire a une autre idée en tête. Alors que le projet d’antenne du Musée Guggenheim, dessiné par Jean Nouvel, est abandonné, la Cité de la musique va récupérer une partie de son programme pour devenir un véritable pôle multiculturel associant salles de concert, lieux d’exposition, salles de cinéma, médiathèque et commerces. Plutôt qu’un centre-ville saturé, le maire choisit pour son édification le site de la plaine Barra da Tijuca, plaine humide longue d’une quinzaine de kilomètres située là où la mer s’écarte des montagnes. Jadis occupée par la mangrove, ce quartier qui s’est urbanisé en moins de vingt ans manque alors de symbole architectural. Portzamparc s’en chargera, au croisement de deux avenues percées trente ans plus tôt par l’urbaniste visionnaire Lúcio Costa.
Mais le site est complexe tant il est insignifiant par sa topographie et son urbanisation de promoteurs, constituée à la va-vite de tours de logements, de bureaux et de centres commerciaux. L’architecte conçoit alors un gigantesque vaisseau de béton, hommage non dissimulé à la figure tutélaire de l’architecture brésilienne, le centenaire Oscar Niemeyer. Sa construction est une prouesse technique, rendue possible grâce au savoir-faire des ingénieurs brésiliens en matière de béton. Plutôt qu’une forêt de poteaux, Portzamparc choisit des coques porteuses incurvées en béton précontraint, créant des formes autonomes correspondant aux différentes salles. Le tout est enchâssé entre deux plateaux : l’un fait office de terrasse-forum, perchée à 10 mètres de hauteur pour échapper au voisinage du trafic automobile – ménageant ainsi de prodigieuses vues sur la mer et les sommets –, l’autre forme une toiture à 30 mètres. « Restée au sol, la Cidade aurait été perdue dans l’ensemble », explique l’architecte. Alors que la Cité de la musique parisienne, et plus récemment, la Philharmonie du Luxembourg (2005), étaient introverties, la Cidade apparaît telle une Carioca extravertie, portée en suspension au-dessus d’une mangrove recréée par le paysagiste brésilien Fernando Chacel. Avec quelques concessions faites à la mode de l’architecture internationale, illustrées notamment par des caissons vitrés et colorés placés en encorbellement sur les salles. À l’intérieur, la réflexion a porté sur la typologie et l’acoustique des salles, desservies par un foyer piranésien. Cœur du programme, la salle philharmonique – la plus grande d’Amérique du Sud – a été conçue pour se muer en salle d’opéra grâce à un ingénieux système de tours de loges, dont quatre, installées sur coussin d’air, sont escamotables.

Acoustique convaincante
Inaugurée partiellement (le second œuvre n’étant toujours pas achevé) à la fin décembre 2008 par le maire sortant, instigateur du projet – lequel a baptisé, non sans humour, la Cidade, « son Taj Mahal » –, la salle aurait convaincu par son acoustique. Mais la satisfaction n’a été que de courte durée pour l’architecte. Début janvier 2009, le nouveau maire, Eduardo Paes, annonçait son intention de ne pas payer les dépassements du chantier et de lancer un audit sur les comptes, et décrétait un arrêt des travaux pendant cent vingt jours. Des montants ont alors été évoqués dans la presse brésilienne : 518 millions de reals (172 millions d’euros) auraient déjà été dépensés, contre 80 millions de reals (26 millions d’euros) prévus initialement. Faux rétorque-t-on du côté de l’Atelier Christian de Portzamparc, expliquant que cette somme correspond au projet initial de la seule Cité de la musique, avant l’abandon du projet Guggenheim qui a entraîné une révision du programme. Et de rappeler : « Au Brésil, l’architecte n’a ni la responsabilité, ni la maîtrise des appels d’offres et des contrats passés avec les entreprises, ni même connaissance de leur montant. » Une manière de dire que l’architecte n’avait aucune emprise sur le budget. Grâce à ce projet, Christian de Portzamparc aurait un jour déclaré être devenu brésilien. Il semble au moins en avoir adopté pleinement les us et coutumes en matière de suivi de chantier.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°299 du 20 mars 2009, avec le titre suivant : Portzamparc au rythme carioca

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