MNR : du musée au tribunal

Pour la première fois, la justice a tranché un litige

Le Journal des Arts

Le 11 septembre 1998 - 863 mots

Le problème des œuvres d’art récupérées après la dernière guerre par les Alliés – les fameuses MNR –, qui avait été porté sur la place publique l’an dernier, a connu cet été de nouveaux développements, avec notamment pour cinq tableaux du Louvre, dont un Tiepolo (lire le JdA n° 55, 27 février), une décision de justice rejetant la demande de restitution.

PARIS - Pour la première fois, un litige lié aux œuvres d’art récupérées après la guerre par l’État, dites MNR (Musées Nationaux Récupération), a été porté devant la justice. Les héritiers de Frédéric Gentili di Giuseppe, dont la collection avait été dispersée à Paris sous l’Occupation, réclamaient la restitution de cinq tableaux italiens conservés à titre provisoire par le Louvre. Ils ont assigné les ministères des Affaires étrangères et de la Culture, ainsi que le musée, afin d’obtenir l’annulation de la vente judiciaire de 1941 considérée comme spoliatrice. Leur requête s’appuyait sur l’ordonnance du 21 avril 1945, au regard de laquelle le procureur avait requis en leur faveur, stigmatisant au passage l’inertie et la mauvaise foi des administrations concernées qui avaient refusé la proposition de médiation offerte par le juge. Le vice-président du Tribunal de grande instance de Paris, statuant en référé, ne l’a pas suivi et a débouté les demandeurs.

L’invasion allemande ayant suivi de peu le décès de Mr Gentili, ses enfants avaient été contraints de fuir, et la liquidation de la succession confiée à un administrateur provisoire. Pour apurer un passif jugé important, il avait procédé à la dispersion de la collection de quelque 150 tableaux, parmi lesquels figuraient les cinq toiles. Pour la famille de Mr Gentili, si cette vente aux enchères a eu lieu, c’est parce que les avoirs juifs avaient été gelés par le gouvernement de Vichy, empêchant le remboursement des dettes, et le produit était sans proportion avec les sommes dues. Elle s’apparentait donc à une spoliation.

Des documents fournis tardivement par l’étude notariale sont venus mettre à mal cette thèse. Ils ont révélé que l’administrateur, dont le rôle avait semblé un peu trouble, avait été nommé à la demande du notaire et que les dettes étaient plus importantes qu’on l’imaginait. Cependant, note Me Corinne
Herschkovitch, avocate de la famille S…, “la succession n’avait pas été déclarée, donc les dettes n’étaient pas encore exigibles”. De plus, l’hypothèque sur un immeuble d’une valeur de quatre millions de francs, invoquée par l’Administration, avait été prolongée par l’organisme prêteur en août 1940, avant d’être remboursée en 1947.

Des Allemands intéressés
Pour Me Herschkovitch, cette vente est spoliatrice non seulement en raison de l’absence de tout accord écrit des enfants du défunt autorisant la vente, mais aussi parce qu’“il y avait d’autres moyens d’apurer les dettes”, ce que semble confirmer la somme de 25 millions de francs partagée entre les héritiers de Mr Gentili en 1948. En revanche, beaucoup semblent avoir trouvé intérêt à cette dispersion, et plus particulièrement les Allemands, présents lors de la prisée dans l’appartement et acheteurs de plusieurs tableaux grâce à des intermédiaires. Cet intérêt pressant a certainement motivé l’organisation de la vente afin d’empêcher le pillage de la collection. Ces circonstances n’ont, semble-t-il, pas suffi au juge pour caractériser “la contrainte de la violence”, mentionnée comme cause de nullité dans l’ordonnance de 1945. Cependant, le refus de prendre en considération tous ces éléments fragilise sa décision et ouvre la voie à un appel. Considérant qu’“il est intolérable que l’État puisse dénier leur droit aux héritiers légitimes”, Me Herschkovitch a en effet décidé, en attendant la décision de ses clients, de déposer un appel conservatoire.

Quatre MNR rendus par le Mnam
Du côté du Musée national d’art moderne (Mnam), les recherches pour rendre les MNR à leurs propriétaires se poursuivent et ont déjà permis de restituer un Foujita à la famille Schwob d’Héricourt, un Gleizes et un Picabia aux héritiers d’Alphonse Kann et, tout récemment, La rue du Mont-Cenis à Montmartre d’Utrillo. Classée MNR comme ces quatre tableaux, la Tête de femme de Picasso, une huile sur toile de 1921 achetée par Kann en 1924, n’a en revanche pas été rendue à ses ayants droit, des découvertes tardives ayant révélé que l’œuvre de même titre figurant dans les inventaires nazis était en fait un dessin, déjà restitué. Certes, les listes dressées par les Allemands présentent des lacunes, mais la collection connaissait des variations incessantes, Kann achetant et revendant sans cesse. Aussi ne serait-il pas étonnant qu’une toile achetée en 1924 ne lui appartienne plus en 1940.
Quant aux œuvres n’ayant pas le statut MNR mais néanmoins réclamées par les héritiers Kann – le Joueur de guitare de Georges Braque ainsi que le Tapis bleu et un Pierrot de Juan Gris –, elles ne seront pas rendues, a fait savoir le Mnam. Pour le Braque, acheté à un galeriste en 1981, le passage par la collection Kann a été attesté dès 1982 sans susciter la moindre demande. Réapparu en 1948 dans la collection Lefèvre, ce tableau dont la propriété n’était en aucun cas dissimulée n’a jamais été réclamé par Alphonse Kann, encore vivant à cette époque. Ce qui ne plaide guère en faveur des ayants droit, de même que l’absence des deux Juan Gris des listes de spoliation.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°66 du 11 septembre 1998, avec le titre suivant : MNR : du musée au tribunal

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