Le chantier des écoles d’art

Une réforme pour assurer leur développement

Le Journal des Arts

Le 19 février 1999 - 1825 mots

Catherine Trautmann a placé la réforme des écoles d’art parmi les priorités de son ministère. Trop longtemps différée, cette nécessaire mutation devrait doter ces établissements des moyens d’assurer au mieux leurs missions et leur développement. Le projet actuellement à l’étude, largement inspiré du rapport Imbert, proposera ainsi un nouveau statut à la fois pour les écoles et pour les enseignants, plus conforme à celui d’un établissement d’enseignement supérieur. Ce dossier est complété par une étude sur l’ouverture internationale des écoles françaises et un état de la réforme engagée dans les écoles d’architecture qui a motivé une grève des étudiants.

Si “nous possédons en France un réseau d’écoles de haut niveau, en progrès constant, ces établissements sont extrêmement fragilisés en raison d’un statut peu clair, de financements non stabilisés, d’un fonctionnement difficile. Ils n’ont pas la place et le rôle qu’ils devraient avoir.” Catherine Trautmann faisait ce constat dans la lettre de mission par laquelle elle chargeait Jacques Imbert, chef de l’Inspection générale de l’enseignement artistique (IGEA), de préparer un rapport préliminaire à une réforme des écoles d’art. La ministre a en effet décidé de placer ce chantier parmi les priorités de son action, et “c’est la première fois qu’une augmentation de moyens permet d’amorcer la réforme”, souligne Guy Amsellem, le délégué aux Arts plastiques, faisant allusion à diverses mesures du budget 1999. L’augmentation de la dotation pour les écoles d’art a pris deux formes : l’alignement du montant des bourses sur celles de l’Éducation nationale, et l’accroissement des subventions hors bourses.

La nomination de M. Amsellem à la tête de la Délégation aux arts plastiques (DAP), qui assure la tutelle des écoles d’art, ayant pour diverses raisons pris du retard, la préparation du projet n’a véritablement débuté qu’au début de cette année, alors que le rapport Imbert a été remis en juin dernier. Un avis formulant des propositions concrètes devrait néanmoins être rendu en avril ou en mai. L’espoir est donc mince de voir les premières mesures mises en œuvre à la rentrée 99. Toutefois, la DAP et les directeurs d’écoles se sont mis d’accord pour hiérarchiser les propositions : au premier rang figurent le statut des écoles, dont le caractère supérieur sera enfin reconnu, et celui des enseignants.

Plus d’autonomie, plus d’efficacité
“Le statut actuel ne permet pas de vivre”, tranche Jacques Bonnaval, directeur de l’École régionale des beaux-arts de Saint-Étienne, qui attend de la réforme en cours souplesse et clarification. Actuellement, les écoles municipales sont en régie directe, ce qui non seulement les soumet à des aléas incompatibles avec le développement d’un projet pédagogique à moyen ou long terme, mais nuit aussi à leur efficacité quotidienne. Chaque achat, aussi modeste soit-il, est successivement approuvé par les services municipaux de la Culture puis par ceux des Finances, avant que le bon de commande ne revienne à l’école une semaine plus tard, raconte Gervais Jassaud, directeur de l’École supérieure d’art et de design de Reims.

Le rapport Imbert propose la création pour les écoles municipales et régionales d’un statut d’établissement public culturel territorial. De ce changement statutaire, sont attendus une plus grande autonomie de fonctionnement, la mise en place de partenariats avec des financeurs extérieurs publics, et, pourquoi pas, le recours à des financements privés... La difficulté, c’est qu’”il n’existe pas pour l’instant d’établissement public territorial”, explique Patrick Talbot, directeur de l’École nationale des beaux-arts de Nancy et président de l’Association des directeurs d’écoles d’art. “Mais un projet de loi avait déjà été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, avant la dissolution de 1997”. Ces prémices législatives permettraient sans doute de hâter l’adoption d’un nouveau texte, d’autant plus qu’”entre-temps, le lobbying s’est renforcé”.

Le choix de ce statut sera offert par la loi, mais celle-ci “ne pourra pas obliger les collectivités territoriales à changer le statut de leurs écoles”, tempère Jacques Bonnaval. Quand bien même elles en feraient le choix, “elles doivent continuer à mettre à la disposition des écoles tous les services administratifs, qu’ils soient juridiques, financiers ou techniques”, continue-t-il, sous peine d’annuler les avantages attendus.

Un enjeu financier
Si l’efficacité dans la gestion des écoles devrait y gagner, l’un des enjeux du changement de statut est bien entendu financier. Les communes supportent souvent la plus grande part du budget des écoles, alors que la participation de l’État, des départements et des régions est le plus souvent jugée insuffisante. En créant une structure autonome, on facilite la mobilisation de ces partenaires autour d’objectifs précis, car, prévient Guy Amsellem, “les efforts de l’État seront soumis à plusieurs critères, notamment l’implication des collectivités locales”. En effet, le ministère de la Culture ne conçoit pas sa participation comme une substitution, mais plutôt comme une incitation, un levier. Toujours est-il que, d’après Veerle van Durme, directrice de l’école de Dunkerque, bien des communes attendent de cette réforme un allégement de leurs charges. À Caen, par exemple, le budget de 14 millions est assuré à 78 % par la Municipalité, tandis que le Conseil général ne participe qu’à hauteur de 3,4 %, et l’État pour 11 %. La Région, elle, ne donne rien. D’autres régions sont plus généreuses mais restent en retrait, car le caractère supérieur de l’enseignement artistique n’étant pas officiellement reconnu, le financement des écoles d’art dépassait leur champ de compétence. Désormais, les conseils régionaux pourront intervenir plus largement, a fortiori parce qu’en siégeant au conseil d’administration des écoles, ils peuvent effectuer un contrôle sur l’utilisation des sommes versées et s’associer à la définition des priorités.

Autre avantage de l’autonomie ainsi conquise, “les partenariats avec les entreprises pourront être monnayés”, note Gervais Jassaud, ce qui n’est pas le cas actuellement. D’ailleurs, beaucoup d’écoles souffrent d’un préjugé défavorable des chefs d’entreprise, qui ne regardent pas d’un bon œil ce qui n’est rien d’autre qu’un service de la Ville. L’enjeu est donc une meilleure ouverture sur le monde économique, déjà largement amorcée par certaines écoles de design et de graphisme (lire notre dossier dans le JdA n° 54, 13 février 1998).

Les écoles nationales en région, au nombre de huit, dépendent actuellement du Centre national des arts plastiques (CNAP), également chargé de la tutelle des manufactures nationales. Pour prendre en compte leurs besoins spécifiques, elles pourraient être réunies dans un établissement public administratif commun, baptisé Réunion des écoles nationales supérieures d’art, à moins qu’un établissement public par école ne soit créé. Mais plus que tout, “nous attendons un effort de l’État, qui est en retard par rapport aux municipalités les plus dynamiques”, rappelle Patrick Talbot. Pour toutes les écoles, qu’elles soient municipales ou nationales, il réclame par ailleurs “la mise en place de dispositifs contraignants négociés contractuellement pour la transformation des statuts, et l’engagement sur un calendrier pour pérenniser la volonté de la ministre”.

Une revalorisation “inévitable et nécessaire”
“On travaille tous avec des grandes écoles ou des universités, mais les personnels des écoles d’art sont toujours indexés sur des grilles de l’enseignement du second degré”, constate Patrick Talbot. La modification du statut permettrait non seulement de mettre fin à une certaine précarité de l’emploi, mais aussi de revaloriser les salaires, une évolution jugée “inévitable et nécessaire”. L’objectif est d’”arriver à un plan de carrière comparable à celui des maîtres-assistants dans les écoles d’architecture”, explique Guy Amsellem. Toutefois, un obstacle de taille se dresse sur le chemin de cette mutation : “Le recrutement d’enseignants “du supérieur” ne peut en aucun cas être dépendant du pouvoir local”, rappellent les auteurs du rapport. Pour le contourner, ils proposent d’ouvrir deux statuts, un dans la fonction publique d’État, un dans la fonction publique territoriale, et souhaitent que soit créé, au sein de la filière culturelle territoriale, un cadre d’emploi de professeur-chercheur de l’enseignement artistique supérieur.

Évidemment, ces questions n’ont pas la même acuité selon les options art et design, ni selon la catégorie d’enseignants. À Reims, où quatre cinquièmes des étudiants ont choisi l’option design, “nous avons besoin de spécialistes et, de temps en temps, d’intervenants extérieurs pour montrer par exemple des textiles nouveaux”, explique Gervais Jassaud. Dans son école, 90 % des enseignants sont contractuels. Si, pour ceux qui sont engagés professionnellement, le changement de statut n’a guère d’importance, les artistes, en revanche, expriment un vrai souci de titularisation.

Cependant, certains directeurs d’écoles appellent à la vigilance pour que cette mutation ne soit pas synonyme de fermeture et n’entrave pas les nécessaires évolutions de l’enseignement. Leur souhait de conserver un personnel contractuel et vacataire s’oppose à la volonté de l’État de mettre fin à la précarité de l’emploi public, analyse Jean-Jacques Passera, directeur de l’École des beaux-arts de Caen.

Un conseil de plus ?
Si les conclusions du rapport sont assez généralement partagées, quelques points, moins prioritaires, restent très discutés. Ainsi, la création d’un Conseil supérieur de l’enseignement des arts plastiques, “qui définira un schéma national des enseignements, validera les maquettes pédagogiques des écoles et leur proposera des contrats d’objectifs”, est perçue par certains comme une inutile redondance par rapport à l’Inspection générale de l’enseignement artistique. “L’effort d’explication et de discussion des objectifs n’est pas une démarche généralisée dans le monde de la culture”, répond par avance Guy Amsellem, qui se défend de vouloir créer un comité de plus.

À côté des principales mesures décrites ci-dessus, le rapport Imbert pointe un certain nombre de faiblesses, comme les inégalités territoriales, dont les pouvoirs publics devront bien un jour se saisir. La création d’une école d’art relevant de l’initiative locale, la répartition géographique apparaît en effet assez déroutante. En Midi-Pyrénées, il existe une seule école délivrant un diplôme national, celle de Toulouse, même si Tarbes a obtenu récemment un agrément pour le cycle court. Ainsi, sur les 600 candidats qui s’inscrivent chaque année au concours d’entrée, seuls 90 sont retenus. À Paris et en région parisienne, les capacités d’accueil sont également insuffisantes, mais il ne saurait être question pour l’État de soutenir de nouveaux établissements. “La situation parisienne est paradoxale, note Alfred Pacquement, directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts (Énsb-a). Il y a quelques années, le projet de création d’une école municipale d’art à Paris a été abandonné, ce qui est regrettable, car, avec une école municipale, il y aurait nécessairement émulation”, à l’instar de la concurrence positive existant entre les différentes écoles d’art londoniennes. Malheureusement, un tel projet ne semble pas figurer parmi les priorités de la Ville de Paris.

Au contraire, d’autres régions sont très (trop ?) bien dotées en écoles d’art. Cette relative dispersion empêche peut-être des écoles d’atteindre la taille critique nécessaire à un certain rayonnement, non seulement au-delà des frontières régionales mais aussi nationales. Pour remédier à cette faiblesse, ont été mis en place depuis quelques années des réseaux d’écoles, comme dans le Sud avec Nîmes, Avignon, Montpellier et Perpignan, en Bretagne, ou dans le Nord avec le réseau Ariana regroupant Valenciennes, Tourcoing, Cambrai, Dunkerque et, depuis peu, Amiens. L’État a déjà commencé à encourager ces initiatives. Ainsi, en 1997 et 98, la Drac a versé moins de subventions aux écoles du réseau Ariana, mais en contrepartie a accru son aide à l’association pour financer des activités communes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°77 du 19 février 1999, avec le titre suivant : Le chantier des écoles d’art

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