Gré à gré

Succession colossale

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 6 mai 2008 - 758 mots

Les héritiers d’Ileana Sonnabend ont vendu pour 600 millions de dollars d’œuvres. Depuis deux ans, les annonces de transactions privées spectaculaires à la veille ou dans la foulée des grandes vacations new-yorkaises sont devenues monnaies courantes. Celles-ci viennent rasséréner le marché et rappeler que, malgré la force de frappe des salles de ventes, les marchands privés gardent la main.

'Lapin' (1986)Jeff Koons

NEW YORK - Voilà deux ans, le New York Times avait ainsi révélé la vente par le producteur de cinéma David Geffen d’un tableau de Jackson Pollock pour 140 millions de dollars. Un deal presque dérisoire face à la vente privée aujourd’hui par Antonio Homem et Nina Sundell, héritiers de la galeriste Ileana Sonnabend, d’une dizaine d’œuvres pour une valeur de 600 millions de dollars. Le montant donne certes le tournis. Mais ce qui étonne davantage, c’est que les héritiers aient choisi de faire affaire avec un marchand, Larry Gagosian, et un cabinet de courtage, Giraud-Pissarro-Ségalot, plutôt qu’une maison de ventes. « Nous avions besoin de lever beaucoup d’argent pour payer les droits de succession, nous a confié Antonio Homem. Il nous a semblé plus simple et rapide de travailler avec deux personnes que nous connaissions et qui étaient prêtes à payer de quoi atteindre pour nous le montant des droits. » D’après le New York Times, Larry Gagosian aurait emporté un noyau de tableaux de Warhol pour 200 millions de dollars. De son côté, le cabinet Giraud-Pissarro-Ségalot aurait acheté pour 400 millions de dollars d’œuvres, notamment un Lapin de Koons estimé 85 millions de dollars, ce pour le compte d’un petit groupe de clients, dont François Pinault.
Pour le marchand David Zwirner (lire l’encadré), cette opération est un signe : « les ventes privées sont, à bien des niveaux, plus intéressantes que les ventes publiques qui manquent de confidentialité. Je suis persuadé que seuls 10 à 20 % des artistes se vendent mieux aux enchères que de gré à gré. » Sotheby’s et Christie’s, qui n’en reviennent pas de s’être fait souffler l’affaire du siècle faute d’avoir proposé une option de gré à gré, fourbissent leurs armes pour l’avenir. « Une partie de notre stratégie pour 2008 sera de fortifier notre département ventes privées en ayant de nouveaux collaborateurs spécialisés », nous a indiqué François Curiel, président de Christie’s Europe. Rappelons que sur le chiffre d’affaires de 6,3 milliards de dollars généré par Christie’s en 2007, 600 millions venaient de ventes privées. Soit la somme engrangée en deux coups de dés par les héritiers de Sonnabend !

La collection Lauffs, partagée entre Sotheby’s et Zwirner & Wirth

La pilule n’a pas été simple à avaler. Sotheby’s a dû partager avec le New-Yorkais David Zwirner et le Zurichois Iwan Wirth la mirifique collection d’Helga et Walther Lauffs, placée en dépôt pendant quarante ans au Kaiser Wilhelm Museum de Krefeld (Allemagne) (lire p. 6). Zwirner & Wirth ont décroché 155 pièces pour un montant resté confidentiel, tandis que Sotheby’s a extirpé 180 lots pour une valeur totale de 76 millions de dollars. Trente-quatre œuvres seront mises en ventes dès le 14 mai sur une estimation de 49 millions de dollars. Zwirner & Wirth prévoient, eux, une première salve d’exposition à New York jusqu’au 21 mai, puis à Zurich en juin. « La famille était au courant que nous avions quatre artistes de leur collection dans notre programme : Fred Sandback, Eva Hesse, John McCracken et On Kawara, nous a expliqué David Zwirner. Elle savait que nos intérêts et leur collection convergeaient et nous ont demandé de développer une stratégie marketing. » Un autre argument a fait mouche auprès des Lauffs : la promesse de céder des ensembles complets, chose impossible en ventes publiques. « Nous visons des collectionneurs très choisis, en commençant avec deux entités », indique David Zwirner. Même si celui-ci a refusé de nommer ces deux clients, on peut légitimement supposer que le collectionneur Christian Flick (lire le JdA n°279, 11 avril 2008) figure dans la liste.
La répartition des œuvres entre l’auctioneer et les marchands s’est faite de manière logique. Zwirner & Wirth raflent le gros des pièces minimalistes et conceptuelles. À Sotheby’s échoient principalement des chefs-d’œuvre d’Yves Klein et du pop art américain. « Les ventes publiques ne sont pas performantes dès que les œuvres deviennent trop sophistiquées, souligne David Zwirner. En revanche, les pièces qui ont un wall-power [qualité murale] et sont hautement reconnaissables marchent mieux à l’encan. Les Lauffs vont créer un précédent, car ils ont choisi de cumuler les forces de différents segments et acteurs du marché de l’art. C’est un modèle fantastique. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°281 du 9 mai 2008, avec le titre suivant : Succession colossale

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