Cieslewicz l’accordéoniste

Une importante donation pour Grenoble

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 14 septembre 2001 - 837 mots

Roman Cieslewicz, disparu en 1996, fut un exceptionnel homme d’image, tour à tour graphiste, directeur artistique, metteur en pages, affichiste, photo-colleur, photo-monteur… Polonais d’origine, il était devenu français en 1971, huit ans après son arrivée à Paris. Le Musée de Grenoble présente, jusqu’au 23 septembre, trois cents pièces qui constituent la donation faite au musée par Chantal Petit-Cieslewicz et qui restitue admirablement tous les aspects de cette œuvre singulière.

Roman Cieslewicz était un homme discret. Discret et courtois. Polonais de Paris, Français de Varsovie, citoyen de la galaxie Gutenberg, homme d’image, tour à tour graphiste, directeur artistique, metteur en pages, affichiste, photo-colleur, photo-monteur, il excellait dans tous les domaines. Un “imagier” de haut vol, nourri de Rodchenko et Maïakovski, de Schwitters et Max Ernst, de Haussman et Heartfield ; en connivence avec toutes les avant-gardes du XXe siècle, les perpétuant et les précédant ; un champion toutes catégories de la pédagogie du regard et de l’évidence absolue du résultat ; un manipulateur, un exploseur, un accoucheur du signe...

Vouloir définir Cieslewicz, c’est épuiser le dictionnaire tant cet homme fut insaisissable. Non par l’absence, mais bien par la prolifération. Son ami, l’écrivain, dramaturge et critique Jean-Christophe Bailly s’y risque pourtant avec bonheur : “Entre le Minimalisme de certaines résolutions graphiques et le caractère, disons, baroque de certains collages, il n’y a pas opposition. Quelque chose s’est ouvert et s’est déplié, s’est étendu, feuilleté, et si l’on regarde attentivement, l’on voit que le collage le plus touffu en apparence reste déterminé par un principe constructif et qu’en revanche la composition la plus nue n’est telle que parce qu’elle est là pour libérer tout l’efficace imaginaire du signe. Entre ces deux extrêmes ou ces deux pôles se déploie toute l’œuvre, comme un accordéon formel qui tantôt s’étire et tantôt se contracte. Toute l’œuvre, c’est-à-dire une prolifération. Mais à travers couvertures de livres et mises en pages, affiches, collages, photo-montages, malgré la diversité des supports et celle des sites d’inscription, cette prolifération qui procède par ondes ou par ricochets, jamais ne déborde ou ne quitte le lit de ce qui est son style, manière toujours reconnaissable qui a la précision et le frémissement d’un ton, d’une voix.”1

Accordéoniste, la métaphore est à la fois juste et savoureuse tant il est vrai que les plis et les creux, les courbes et les contrecourbes, les touches multiples et plurielles de toute l’œuvre de Cieslewicz dessinent en réalité une trajectoire d’une rigueur et d’une constance absolues. Tant il est vrai également qu’en parallèle de l’œuvre, la vie de Roman s’étirait et se contractait au rythme de ses humeurs, de ses amitiés, de ses excès.

L’accordéon, dit-on, est le piano du pauvre. En aucun cas, les images de Cieslewicz ne furent l’art du pauvre. Absolument singulier, il était et demeure inclassable. Arts graphiques, arts plastiques, allez savoir...

Ombrageux et rigolard, infiniment sérieux et terriblement “déjanté”, jamais Cieslewicz ne s’est, lui, posé la question de savoir s’il était un graphiste ou un artiste. Car tel était son génie, celui de briser les barrières, d’enjamber les haies, de se rire des genres, de bousculer, basculer les hiérarchies. “Ses images ont la même fonction que la poésie : l’éveil”, écrivait, en 1977, un autre de ses proches, l’écrivain, cinéaste et joueur d’échecs Arrabal.

Cieslewicz – et la donation faite par son épouse Chantal Petit-Cieslewicz au Musée de Grenoble dirigé par Serge Lemoine, un autre ami de Roman, le démontre avec éclat – s’est composé un palmarès prestigieux et somptueux. Directeur artistique de presse (Elle, Vogue, Opus international...), il a également conçu et réalisé quelques-unes des plus belles affiches de ces quarante dernières années (Amnesty International, Zoom, contre la pollution de l’œil, Corps diplomatique, etc.), notamment pour le cinéma (films d’Arrabal, de Jodorowsky, de Costa-Gavras, de Franck Cassenti...). Il a donné des ailes à de nombreuses institutions culturelles (Centre Georges-Pompidou, Festival d’Automne) et un réel supplément d’âme à nombre d’annonceurs publicitaires (Prisunic, Lancaster, Charles Jourdan), fait le bonheur d’éditeurs et de directeurs de théâtre avec des couvertures de livres et des affiches à la force, à la complexité et à la lisibilité exceptionnelles. Créateur singulier, homme debout, esprit libre, Roman Cieslewicz n’a jamais appartenu à aucune chapelle, à aucune coterie. Si ce n’est en compagnie entre autres, d’Arrabal, Jodorowsky, Topor, au groupe Panique dont l’énoncé est déjà tout un non-programme.

Roman Cieslewicz nous a quittés un 21 janvier. Le même jour que Louis XVI et Lénine. Ultime clin d’œil. Comme si, jusqu’à la dernière seconde, il avait voulu témoigner de son éclectisme et de son ambiguïté, de son humour et de son indépendance, de son mauvais esprit et de sa bonne humeur.

1. in Roman Cieslewicz, collection “reConnaître”, édité par la Réunion des Musées nationaux et publié à l’occasion de l’exposition.

- ROMAN CIESLEWICZ, jusqu’au 23 septembre, Musée de Grenoble, 5 place de Lavalette, Grenoble, tél. 04 76 63 44 44, tlj sauf mardi 11h-18h, mercredi 11h-22h ; à lire : Amélie Gastaud, Roman Cieslewicz, Paris, Réunion des Musées nationaux, collection “reConnaître�?, 2001, 64 p., 79 F., ISBN 2-7118-4220-7.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°132 du 14 septembre 2001, avec le titre suivant : Cieslewicz l’accordéoniste

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