Entretien

Sophie Aurand, administratrice générale de la RMN

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 30 avril 2004 - 2373 mots

Après trois années de déficit, la Réunion des musées nationaux (RMN) vient d’annoncer pour 2003 un résultat comptable bénéficiaire. Administratrice générale de l’établissement public, Sophie Aurand revient dans un entretien sur les réformes conduites depuis son arrivée en octobre 2002, tout en répondant aux questions relatives à l’avenir de la RMN.

La RMN a enregistré en 2003 un résultat bénéficiaire de 1,4 million d’euros. Comment analysez-vous cette inversion de courbe ? Ce bilan comptable s’inscrit-il dans le même périmètre que l’an passé ?
Il y a dix-huit mois, je suis arrivée dans un établissement en crise depuis les attentats du 11 septembre 2001. Ces événements ont fragilisé l’ensemble de l’édifice, nous avons eu une baisse de la fréquentation touristique, accompagnée d’une baisse de notre chiffre d’affaires commercial. Il a fallu très vite renforcer le plan d’action lancé par mon prédécesseur, Philippe Durey. D’autant qu’avec la guerre en Irak et le SRAS nous avons subi un second choc. C’est certainement la première fois qu’un établissement public mène à bien un tel plan d’économie. Nous avons réalisé plus de 5 millions d’euros d’économie sur les coûts de fonctionnement, 7,4 millions sur les achats de produit de négoce et les coûts de production des activités éditoriales, et mis en place un plan de déstockage portant sur 5,3 millions d’euros. Les coûts de production des expositions ont baissé de 2 millions d’euros. Ce plan d’économie, ajouté à la grande réussite des expositions « Chagall connu et inconnu », « Vuillard » et « Gauguin-Tahiti » (qui ont accueilli en tout 1,2 million de visiteurs aux Galeries nationales du Grand Palais), a abouti à cet exercice bénéficiaire de 1,4 million d’euros. Les chiffres les plus significatifs sont certainement ceux-ci : pour un produit d’exploitation stable depuis 2001 (135 millions d’euros en 2001 ; 134 en 2003), les charges d’exploitation ont diminué dans le même temps de 13 millions d’euros (146,9 millions d’euros en 2001 ; 133,9 en 2003).

La première mission de la RMN est l’enrichissement des collections nationales ; quelle part sera consacrée aux achats cette année ?
Après la réforme des musées nationaux, les quatre établissements publics que sont désormais les musées du Louvre, d’Orsay, des Arts asiatiques-Guimet et du château de Versailles ont une autonomie d’acquisition. La RMN poursuit sa mission pour les autres musées nationaux, avec un budget d’environ 2,5 millions d’euros. Un niveau qui correspond à celui des dépenses d’acquisition effectuées en moyenne pour ces musées au cours des cinq dernières années.

Un exercice bénéficiaire ne signifie donc pas davantage d’acquisitions… ?
La question ne se pose plus ainsi puisque, depuis la réforme des musées, les acquisitions sont désormais subventionnées en direct par l’État (je parle ici des musées qui ne sont pas établissements publics).

Ce plan d’économie a signé l’arrêt de certaines activités. Quelles sont-elles et quelles sont les réformes à venir ? À terme, quel sera le périmètre d’action de la RMN ?
Ma première préoccupation a été de mettre en place une nouvelle organisation en recentrant les activités de la RMN autour de ses missions fondamentales. La RMN est le premier organisateur international d’expositions. Cette expérience et ce savoir-faire sont reconnus et enviés par nos collègues étrangers. Nous les devons au travail effectué par Irène Bizot, qui a permis à cette maison de développer de prestigieuses expositions internationales aux Galeries nationales du Grand Palais. Il entre dans les missions fondamentales de la RMN de monter des projets ambitieux dans le cadre de coproductions internationales et nous allons continuer de le faire, même si les conditions économiques ont changé : les coûts d’assurances et de transport ont augmenté et les partenaires sont donc plus que jamais nécessaires. J’ai souhaité m’attacher pour cela le conseil de Guy Cogeval, qui, tout en conservant la direction du Musée des beaux-arts de Montréal, a rejoint notre équipe en qualité de conseiller de programmation, notamment pour la mise en œuvre du programme d’expositions aux Galeries nationales du Grand Palais dans les années qui viennent.
Le deuxième grand métier de la RMN est celui d’éditeur. Nous sommes le premier éditeur d’art en France, le premier éditeur « musée » au monde avec plus de 120 titres par an. Les conservateurs sont nos auteurs naturels, ce qui est évidemment une garantie de sérieux et de compétence. Aujourd’hui, nous souhaitons développer les coéditions avec de grandes maisons privées, pour produire notamment des ouvrages plus pédagogiques, qui accompagneront les catalogues traditionnels. Je n’oublie pas non plus le multimédia ; je crois, par exemple, que nous pouvons être fiers de notre dernier cédérom sur Les Très Riches Heures du duc de Berry.
Le troisième grand métier de la RMN est la diffusion de produits culturels dans les musées. Nous sommes concessionnaires ou opérateurs en régie directe dans les musées nationaux et dans de nombreux musées territoriaux, ce qui représente près d’une cinquantaine de points de vente. Notre objectif actuel est de moderniser plusieurs d’entre eux, ainsi dans les grands musées. Nous l’avons fait au Musée d’Orsay récemment, nous le ferons bientôt au Louvre et au château de Versailles. Cette modernisation s’accompagne de la mise en œuvre d’une approche commerciale plus performante, conformément à une logique de « merchandising ».
Nous nous recentrons donc autour de ces trois grands métiers. Nous renforçons aussi d’autres activités qui nous paraissent très importantes, celle des visites-conférences notamment. Je vous rappelle que plus de cent conférenciers sont rattachés à la RMN.
Quant aux activités que nous avons abandonnées, elles étaient toutes déficitaires. La vente par correspondance par exemple. Autre exemple : nos filiales italienne et japonaise ont été fermées parce que l’heure n’est plus à la croissance externe. Pour ce qui est de l’Unité Partenaire, il nous a paru que son savoir-faire, très reconnu, devait être, dans les circonstances actuelles, mis au service des musées nationaux.

Les résultats de 2003 résultent en partie d’une programmation d’expositions « grand public ». Comment concilier les missions scientifiques de la RMN avec les objectifs de rentabilité ?
L’exigence de qualité n’est pas incompatible avec celle de toucher le grand public, comme le montre la réussite d’Arte. Ceci étant, il est vrai que notre programme 2004 peut paraître plus « difficile » que celui de 2003. Mais j’observe qu’une exposition comme « Montagnes célestes » [lire p. 11] sur la peinture chinoise connaît un beau succès avec plus de 2 000 visiteurs par jour, quand on nous disait qu’elle aurait du mal à trouver son public. Quant à « La Grande Parade » (1), c’est une exposition plus confidentielle, mais que nous nous devions de présenter, étant donné sa qualité intellectuelle et l’actualité des questions qu’elle pose dans le cadre du débat sur le statut de l’artiste. À l’automne, nous aurons, toujours aux Galeries nationales du Grand Palais, « Turner, Whistler, Monet », une exposition grand public et de qualité, et une autre, un peu plus « difficile », sur l’art de l’estampe japonaise aux XVIIe et XVIIIe siècles. En fait, la RMN a réussi à créer un véritable label des expositions, à construire un équilibre de programmation ; face à une concurrence de plus en plus active, nous comptons bien user de cet avantage et continuer à le justifier.

Vous parlez de « concurrence ». Justement, il y a désormais de plus en plus d’opérateurs privés dans le paysage parisien : le musée Jacquemart-André, celui du Luxembourg, ou la Pinacothèque de Paris. Où entendez-vous situer votre différence ?
Nous avons une mission scientifique et pédagogique. Comme je le disais, nous devons allier la rigueur scientifique à une véritable approche pédagogique, qui a été parfois négligée. Souvent, je compare la production d’expositions à celle du cinéma et de la télévision. Je crois que la concurrence est une bonne chose ; je ne suis pas pour le monopole, il serait stérilisant. La concurrence nous pousse à être plus créatifs. J’ajoute que nous avons, à la RMN, un véritable impératif catégorique, qui est celui de la qualité.
Le public attend que nous revisitions les grands noms du répertoire. Renoir a été présenté il y a plus de vingt ans. Pourquoi ne pas le présenter à nouveau, sous un autre angle ? Ce que nous pourrions faire aussi pour Pissarro, Philippe de Champaigne, Zurbarán ou Manet… D’une part, nous ne devons pas oublier les nouvelles générations, qui n’ont pas vu les grandes rétrospectives organisées dans les décennies 1970 et 1980. D’autre part, nous ne devons pas ignorer les avancées en histoire de l’art, comme on l’a vu par exemple lors de la seconde exposition « Georges de La Tour ».
D’une manière générale, la programmation des Galeries nationales du Grand Palais doit rester large : elle doit aborder les grands artistes, les mouvements, mais aussi les civilisations, et ne pas craindre de traiter des thèmes chers à la réflexion contemporaine.

Le changement de statut des principaux musées nationaux est l’un des premiers facteurs de l’évolution de la RMN. L’État verse désormais une subvention compensatrice correspondant aux ressources autrefois apportées par les billetteries de ces établissements. Quelle est cette somme et est-elle « renégociable » ?
L’État a opéré un décroisement de financements et, en compensation de la perte du droit d’entrée maintenant perçu par les établissements publics eux-mêmes, la RMN perçoit une subvention. Pour 2004, celle-ci est de l’ordre de 15 millions d’euros. Elle couvre les besoins de la RMN pour accomplir ses missions de service public. Les éditions comme les expositions ne sont pas toujours bénéficiaires ; c’est aussi le cas des points de vente dans les musées nationaux, qui ont parfois une fréquentation très faible. Ces activités de service public doivent toutefois être maintenues. À un autre niveau, des Villes comme Clermont-Ferrand et Valenciennes subventionnent la RMN pour qu’elle reste commercialement présente dans leurs musées. Comme pour tout établissement public, cette subvention est négociée annuellement avec la tutelle en fonction de notre activité. Nous sommes au même régime que les autres, le Louvre ou le Centre Pompidou, dans une période où l’État est très soucieux de la gestion de ses deniers. De ce point de vue, la RMN est plutôt un bon élève.

Les musées nationaux dont nous parlions, le Louvre, mais aussi Versailles, Orsay et Guimet, développent dorénavant en interne leurs expositions et leurs éditions. La RMN ne risque-t-elle pas de rentrer en concurrence avec eux ?
L’autonomie de ces musées était une réforme nécessaire, que le précédent ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, a menée avec résolution. Je ne peux qu’adhérer à tout ce qui a été accompli. Toutefois, autonomie ne veut pas dire « concurrence déloyale » mais plutôt « complémentarité et partage ». C’est en ce sens que nous l’entendons avec les musées du Louvre, d’Orsay, des Arts asiatiques-Guimet et du château de Versailles. Ces musées ont de grandes collections, de grandes missions de conservation et de valorisation de celles-ci, et de notre côté, nous sommes un établissement de production culturelle. Nous devons collaborer étroitement avec ces grands musées pour accomplir nos missions respectives. Actuellement, nous élaborons avec chacun d’eux des contrats pour définir précisément les termes de cette collaboration dans différents domaines. Ce travail se poursuit dans de bonnes conditions, ce dont je me réjouis.

La baisse des activités de la RMN dans le domaine de l’édition de même que la fermeture de points de vente ne vont-elle pas mettre en difficulté des musées territoriaux qui avaient avec la RMN des rapports privilégiés ? Parallèlement, les points de vente comme celui du Louvre connaissent une restructuration. Une réforme telle que la centralisation des achats ne risque-t-elle pas de nuire à la diversité des références proposées dans ces librairies au profit d’une offre plus commerciale ?
Il faut préciser d’abord que les fermetures interviennent toujours quand les concessions s’achèvent. Nous nous sommes toujours rapprochés au préalable des municipalités pour savoir si elles souhaitaient maintenir l’activité. Si ce n’est pas le cas, nous nous retirons. Par ailleurs, pour les activités éditoriales, nous répondons aux appels d’offres émis par les musées ; c’est notre filiale Art Lys qui s’en charge désormais et je tiens à préciser que cette filiale n’est pas subventionnée. Quant aux points de vente, chacun doit avoir une offre qui réponde aux attentes du musée et de son public. Pour le Louvre, nous sommes très attentifs à cela ; sa librairie sous la pyramide est en effet une librairie de référence et nous entendons bien qu’elle le demeure. Ce n’est pas contradictoire avec une bonne gestion qui passe par la mise en place d’un département des achats du livre « extérieur ». Celui-ci nous permet d’agir avec plus de force et d’efficacité auprès des éditeurs et distributeurs pour obtenir les conditions les plus favorables. Ce qui ne remet nullement en cause l’étendue et la qualité de l’offre dans nos librairies. Parallèlement, la gestion sur le terrain se doit d’être réactive : prise en compte de l’actualité, rotation des ouvrages, etc. La centralisation des achats et cette gestion de proximité doivent se compléter pour construire une offre plus pertinente.

La RMN est le premier éditeur de son secteur et, dans le même temps, elle est gestionnaire d’un fonds de reproduction d’œuvres pour lesquelles les droits de reproduction n’ont cessé d’augmenter. Ce mouvement qui met en difficulté l’ensemble de l’édition d’art va-t-il se poursuivre ?
La question n’est pas celle de l’augmentation ou non des droits, mais celle d’une réforme qui permette d’instaurer une égalité de traitement entre tous les éditeurs, publics comme privés, et d’obtenir un consensus sur l’application des tarifs. Nous travaillons sur la refonte de la grille tarifaire de notre agence photographique. Elle devra être le moins critiquable possible par nos partenaires et applicable à tous dans les mêmes conditions, RMN et établissements publics compris. C’est une réforme sensible et j’espère qu’elle sera mise en œuvre dès la fin de cette année.

Le remaniement ministériel et l’arrivée de Renaud Donnedieu de Vabres vont-ils avoir un infléchissement sur la politique de la RMN ?
Je ne peux pas parler au nom du ministre, mais je sais que le souci de notre tutelle, c’est-à-dire de la direction des Musées de France et de sa directrice Francine Mariani-Ducray, est d’accompagner la RMN dans la réorganisation et la réforme qu’elle a initiées. Réaffirmer et servir les grandes missions de la RMN en leur garantissant un bon équilibre économique : nous travaillons à cet objectif, avec de premiers succès encourageants.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : Sophie Aurand, administratrice générale de la RMN

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