Jean-François Jarrige

Président du musée guimet

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 février 2005 - 1362 mots

Le président du Musée Guimet a transformé en une quinzaine d’années un musée ronronnant en établissement moderne. Fin tacticien, Jean-François Jarrige a compris l’importance du mécénat pour l’enrichissement des collections.

Le timonier du Musée national des arts asiatiques-Guimet est de ces bavards qui se livrent peu. Moins par goût de la digression que par celui de l’esquive, Jean-François Jarrige saute du coq à l’âne, en espérant bien vous égarer en cours de route. Mandarin sarcastique, il manie volontiers la dérision, quitte à être parfois cassant. Depuis près de vingt ans, cet activiste en habit de fonctionnaire dirige son musée d’une main de fer. Une longévité qu’éclaire un talent scientifique et politique indéniable. Le fait que Guimet ait longtemps été négligé par la Direction des Musées de France (DMF), voire perçu comme un département du Louvre, complète l’explication. Jarrige est surtout l’homme d’une grande œuvre : la mue d’une taupinière savante mais confuse en un établissement public lumineux. Le capitaine de musée est aussi un homme de pouvoir à cheval entre le ministère de la Culture et celui des Affaires étrangères. En cumulant les sceptres de président de Guimet, de secrétaire général de la commission des fouilles archéologiques et de directeur au CNRS, il règne en maître sur les arts asiatiques en France.

Jean-François Jarrige a connu une enfance stéphanoise, dans un quartier bourgeois à quelques encablures des mines. Il se plonge très jeune dans des ouvrages sur l’art, puisés dans la bibliothèque de sa grand-mère. Au Musée de Saint-Étienne, il se familiarise avec l’art moderne. Dès l’âge de 12 ans, il s’enquiert des modalités d’entrée à l’École du Louvre qu’il intègre quelques années plus tard. « J’étais fasciné par Philippe Stern, conservateur à Guimet, qui parlait des arts d’Asie dans la mouvance de Malraux et Focillon, rappelle-t-il. À l’époque, on validait les œuvres d’art asiatiques avec les œuvres occidentales, qui étaient la référence. Je pense qu’aujourd’hui on n’a plus besoin de se référer à l’art occidental car on appartient à un grand continent eurasiatique allant de la côte atlantique au Japon. » L’étudiant choisit l’option « Inde et Chine », apprend le sanskrit, préfère le CNRS et la filière archéologique à la voie muséale. Il démarre en 1964 ses premières fouilles dans le Baloutchistan pakistanais, une région tumultueuse qui mobilisera pendant plus de trente ans ses recherches ainsi que celle de son épouse, Catherine. En 1975, son équipe découvre sur le site pakistanais de Mehrgarh une zone occupée à la fin du huitième millénaire jusqu’au terme de la civilisation de l’Indus.

Onze ans plus tard, l’homme de terrain troque sa pioche d’archéologue pour le gouvernail d’un Musée Guimet ronronnant : « L’idée était qu’un archéologue était habitué à gérer les situations difficiles. » Il n’hésite pas à descendre dans les réserves pour réévaluer des pans entiers alors dépréciés. Sans se limiter à son champ de compétence, le néolithique, il enrichit la collection en peintures et en bronzes. Son volontarisme bute toutefois sur une architecture parasitée par des rénovations sans planification. Il manque alors un vrai circuit de visite, les collections ayant été réparties sans cohérence, selon les espaces disponibles. « La seule solution, c’était une rénovation complète, et pas des bricolages », rappelle-t-il. La réhabilitation du panthéon bouddhique conduite de 1985 à 1991 est le galop d’essai pour le reste des grandes manœuvres. « On avait sous la main la preuve du possible remaniement, la maquette presque du Grand Musée », précise le conservateur Jacques Giès.

Solistes et chef d’orchestre
Jarrige poursuit son travail de persuasion auprès des autorités et obtient le feu vert d’un chantier mené de 1996 à 2001. « Il fallait un esprit acéré pour résister aux obstacles qui se dressent contre un projet d’une telle ampleur. C’est que Jean-François Jarrige possède un humour à désarçonner la médiocrité technocratique et administrative », souligne l’architecte de la rénovation, Henri Gaudin. Le résultat sera à la mesure du combat, brillant.

Il y a en Jean-François Jarrige une âme de fund-raiser. Alors que le budget des acquisitions s’élevait à un million d’euros en 2004, il a pu engranger pour 8 millions d’euros d’œuvres. « Il ne tourne pas autour du pot. Il fait ses demandes avec décontraction, l’air de dire, voici quelque chose de merveilleux pour le musée, prenez vos responsabilités, observe Jacques Giès. Il leur fait comprendre que c’est leur vocation. » Une observation que confirme le collectionneur belge Jacques Polain : « Donner des pièces au Musée Guimet, c’est un must, c’est flatteur. » Jarrige a fait de l’Association pour le rayonnement des arts asiatiques (ARAA) le fer de lance de sa politique d’obtention de mécénat. « Le timing était favorable, le mouvement latent, et il a su l’exploiter. C’est un homme de vision », remarque Jean-Louis Masurel, président de l’ARAA. Le musée jouit ainsi du partenariat des entreprises, logique dans un contexte où l’Asie s’impose en eldorado pour les investisseurs. L’appétence personnelle du président Chirac n’a pas moins pesé dans la balance. « L’avantage de Guimet, c’est d’être une vitrine, analyse un proche. Quand il y a un président chinois en balade, on l’y envoie. Les politiques s’intéressent aussi au musée car les seuls pays solvables, à part les Émirats arabes, sont le Japon, la Chine et la Corée. » Diplomate, Jean-François Jarrige sait aussi courber la confiance de ses interlocuteurs asiatiques. « C’est un fin politique, qui sait comprendre les Asiatiques. Il est insaisissable comme les Japonais. On a l’impression qu’il n’écoute pas, alors qu’il est en train de préparer le plan pour obtenir ce dont le musée a besoin », remarque le marchand Christian Deydier. « Il est capable de délicatesse de manière inattendue. Il n’abat pas ses cartes, on est pris par surprise », ajoute le conservateur Pierre Cambon. Il est enfin l’un des rares conservateurs français à avoir tissé des liens harmonieux avec les marchands. « S’il n’y a pas un commerce de l’art dynamique, il n’y a pas de collectionneurs, donc pas de donateurs, remarque-t-il. Chacun doit rester dans sa sphère, mais pourquoi laisser à Londres le monopole des arts d’Asie ? »

Ses relations au sein du musée semblent plus équivoques. « C’est un chef d’orchestre qui n’a pas toujours besoin d’accompagnement, relève un observateur. Les conservateurs représentent aussi une joyeuse bande de solistes. Entre les solistes et le chef d’orchestre, chacun joue sa musique personnelle et la partition n’est pas toujours lisible. » Le patron manifeste parfois une certaine impatience. « Si on ne rentre pas dans le courant, on reste sur le bord de la route. Il ne va pas vous attendre. Il n’a pas la satisfaction des gens rassasiés. Il y a toujours à améliorer, enrichir. Il n’est pas au repos car le dessein est grand », observe Jacques Giès. Un dessein que pourrait éclipser celui de son futur voisin, le Musée du quai Branly. Le glissement d’intérêt politique ne semble pourtant pas lui laisser d’aigreur. « Jean-François Jarrige a toujours accompagné le projet du Quai Branly. Nous avons une relation particulière avec Guimet, car la frontière thématique est de moins en moins rigide, assure Stéphane Martin, président du Musée du quai Branly. La collection de textiles que Krishna Riboud a offerte à Guimet est à cheval entre le classique indien et le populaire. Jarrige nous a tout de suite consultés pour qu’on la fasse vivre ensemble. » Bien qu’il se refuse au repos, le coureur de fond prendra sa retraite dans le courant de l’été prochain. Il évoque avec coquetterie la direction du musée comme « une parenthèse » dans sa vie de chercheur ! « Ce qui m’angoisse, c’est ce que je laisserai comme archéologue. Je prépare une grande synthèse dont j’ai écrit un chapitre sur neuf. J’espère surtout de ne pas être aigri. Je ne suis pas sûr d’y réussir », glisse-t-il. Mais avant tout, il lui faudra préparer sa succession, qu’on devine difficile, voire houleuse.

Jean-François Jarrige en dates

1940 Naissance à Lourdes.
1964 Stagiaire à la mission archéologique de l’Indus.
1985 Directeur de recherche au CNRS.
1986 Conservateur en chef chargé du Musée national des arts asiatiques-Guimet.
1994 Secrétaire général de la Commission consultative des recherches archéologiques à l’étranger.
2004 Président de l’établissement public de Guimet.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : Jean-François Jarrige

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque