Paul-Hervé Parsy - Administrateur de la villa Cavrois

L’administrateur de la villa Cavrois appartient au “système”, mais a toujours recherché les chemins de traverse

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 20 mai 2015 - 1960 mots

Administrateur de la villa Cavrois, Paul-Hervé Parsy a pris à cœur la restauration de cette maison dessinée par Robert Mallet-Stevens.

Il y a peu, Agnès Saal, alors administratrice au Centre Georges Pompidou, lui fit remarquer qu’il ne pouvait quand même pas contester Beaubourg, qui venait de réunir 900 000 visiteurs autour de Dali… « – Ah, vous devez être déçus… – Pourquoi cela ? répondit la dame interloquée. – Ben, si vous aviez mis des voitures et des filles à poil, vous en auriez eu bien davantage… » Avec de telles réparties, Paul-Hervé Parsy n’a pas dû se faire que des ami(e)s au cours d’une quarantaine d’années de carrière. Il a bien subi quelques avanies. Mais, aujourd’hui, administrateur au Centre des monuments nationaux (CMN), il a le bonheur de livrer au public la villa Cavrois de Robert Mallet-Stevens, reconstruite après avoir été laissée en ruine par un promoteur local (lire JdA n°435).

Monument moderniste
Faisant front à l’indifférence des collectivités, l’État a consenti un budget jamais vu (23 millions d’euros) pour en restituer les décors. Outre qu’elle représente à ses yeux un « manifeste » dans la carrière de l’architecte, cette maison lilloise a une valeur sentimentale pour l’enfant du pays : il y a une trentaine d’années, un membre de la famille propriétaire était venu lui confier ses inquiétudes alors qu’il débutait au ministère de la Culture. L’avertissement n’a pas été écouté par son directeur d’alors… Il a aujourd’hui noué la boucle d’une histoire. Les dernières semaines du chantier, il pestait de n’avoir pu replacer la porte de l’ascenseur dessinée par le tout jeune Jean Prouvé, pour une question de centimètres, ou de devoir fermer au public la grande salle de jeux des enfants, au prétexte que le balcon compte quelques marches, qui ne peuvent être franchies en fauteuil roulant.

Le principe du retour à l’état originel de 1932 a été acté par la Commission des monuments historiques en 2008. La reconstitution à l’identique, avec son effet d’image et ses inévitables approximations en regard de la densité historique, n’est donc pas du fait du nouvel administrateur. Pratiquée sans souci en Allemagne ou en Extrême-Orient, mais déconsidérée en France, la méthode suivie ne manquera pas de susciter critiques et interrogations… « De quoi la villa Cavrois est-elle le monument ? », se demande ainsi l’historien de l’architecture Richard Klein, spécialiste de Mallet-Stevens. Paul-Hervé Parsy, qui voudrait en faire « un lieu vivant », prévoit bien de l’ouvrir à un débat auquel il voudrait inviter les architectes ayant appelé à son sauvetage. Néanmoins, citant le Merzbau de Hanovre (1) ou les temples japonais, il insiste sur la « valeur conceptuelle » d’une architecture, « qui lui donne sa valeur culturelle » et lui semble « plus importante à préserver que le strict respect de sa matérialité ».

Les paradoxes d’un « homme à tout faire »
Tout en conservant quelques signes documentaires (comme une pièce laissée à l’état de ruine), il a fait appel à un artiste, Jean-Sylvain Bieth, pour une évocation d’un relief constructiviste que Mallet-Stevens avait commandé aux frères Martel. Cette rencontre avec la création est une constante chez lui, et trouve racine dans les années 1980 dont il est un pur produit. « Il a un vrai regard ; et il a toujours été passionné par ce croisement entre arts visuels, architecture et design », trouve le collectionneur Jean-Philippe Billarant, qui l’a croisé à l’époque dans les galeries. « Je suis de la vieille école », dit d’emblée l’intéressé, disant « se vouloir juste à sa place, à sa place juste ». Spontanément, il exprime ainsi sa reconnaissance envers Philippe Bélaval, et sa « capacité d’écoute », ce qui ne l’a pas empêché d’avoir des relations détestables avec Isabelle Lemesle, qui l’avait précédé à la présidence du Centre des monuments nationaux. « Je suis l’employé modèle, l’homme à tout faire », assure-t-il sans le moindre sourire, faisant allusion au héros de Robert Walser, dont il entend sans doute partager la lucidité enchantée.

Avec ses ondulations blanc-gris, son foulard de soie, son pull orange et ses lunettes colorées, dans le style gentleman-farmer, le personnage n’est pas sans évoquer les élégances de l’entre-deux-guerres, dont Mallet-Stevens était un parangon. Il est né à Lille en 1950 dans une famille plutôt bourgeoise dont le rôle-titre revient à la mère. Elle s’occupait de l’antenne d’Hermès, maison pour laquelle son fils a encore aujourd’hui gardé « le plus grand respect » pour son « culte du métier, des valeurs et des relations humaines ». Il ne se doutait pas que, un jour, les socialistes barbus lui reprocheraient cette ascendance sociale… Hermès tout de même ! Dans le Nord ! Le jeune homme a dû en déconcerter plus d’un, lui qui a vite penché du côté du gauchisme, abandonnant l’équitation, mais pratiquant le golf et appréciant toujours les voitures de collection. Au volant, il aime la vitesse. Et pas seulement : il suffit de regarder la petite vidéo de présentation du château d’Oiron, dont il est aussi l’administrateur.
Il suit des études de droit et de sciences politiques avant d’enseigner à l’université de Lille. Il se pose la question de « la responsabilité ». Son goût des traverses le conduit à s’intéresser à la folie, ce qui en droit est caractérisé par « l’irresponsabilité ». Il se plonge dans les asiles de Michel Foucault ou dans les nœuds de Ronald Laing, se rapproche de « l’anti-psychiatrie », fasciné par « cette production des marges, dont un système peut retirer un surcroît de légitimité – sans marges, on ne peut pas lire un texte ». Tout en étant un homme de système, dans le système, il voudrait s’enfuir du côté des points de rupture. Non sans une pointe sentimentale : s’il est attiré par le situationnisme et Guy Debord, ou par l’absurde de Thomas Pynchon, c’est aussi que ces personnages ont fui la mondanité, la célébrité, les médias… tout ce qui, aux yeux de Paul-Hervé Parsy, menace l’art d’aujourd’hui. Tout en professant le droit international et des affaires, il découvre dans la création « un champ qui échappe à l’art normé et dont la pratique individuelle s’évade de l’espace ou du temps contraints ». Autrement dit, ce littéraire n’est pas un fan de théâtre et du tomber de rideau.

L’engagement pour la culture
Il va franchir le pas du droit à la culture – tout comme un certain Jack Lang. Et, à son instar, dans un festival en province. En 1978, il est convié par Maurice Fleuret à « boucher un trou » au festival de Lille. En six mois, il monte une exposition sur les marionnettes dans le monde. Puis il enchaîne par la science du futur et la science-fiction, avant d’aborder Pompéi. Il réussit à faire venir Michel Portal, Chico Freeman et Don Cherry, surmontant les réticences de Fleuret, qui lui saisit un jour le bras quand il aborde la question du jazz : « Moi, vivant, il n’y aura pas à Lille de saxophone ! », instrument vulgaire entre tous. À la fac de droit, où son gauchisme est mal vu, le contrat s’arrête quand il propose aux étudiants de se noter eux-mêmes… Il entre à l’office culturel du Nord-Pas de Calais, où, à la faveur de l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, il rédige « cent propositions pour l’art contemporain ». Son contrat n’est pas renouvelé, c’est l’épisode Hermès. Mais Claude Mollard, au cabinet de Lang, lui confie la responsabilité des arts plastiques dans la région. Il doit choisir, puisque la même semaine il lui est proposé d’entrer à la cour d’arbitrage à Paris. Il s’entoure de conservateurs : Dominique Viéville, au Musée des beaux-arts de Calais ; ou Jan Hoet, qui dirige celui de Gand ; d’un artiste, Claude Courtecuisse ; ou encore d’un enseignant de philosophie, critique d’art et spécialiste du surréalisme, Gérard Durozoi… Deux ans plus tard, Mollard le fait venir à Paris, à la direction des arts plastiques, où il est chargé de mission pour les Frac, les fonds d’acquisition de l’art contemporain en région. Il réagit vivement aujourd’hui à la dépréciation de cette expérience, qu’il attribue à un « élitisme parisien, dédaigneux et centralisateur », en citant les achats précurseurs de Joseph Beuys, Michelangelo Pistoletto ou Jan Fabre. Lui-même a trouvé un « tableau gris » de Richter pour 110 000 francs de l’époque à Rome… « Et qui a acheté la seule œuvre de Koons en France ? Le Frac Aquitaine… »
L’expérience vire quand, en 1986, Dominique Bozo devient son directeur au ministère. Les deux hommes ne s’entendront pas. Celui-ci lui demande un rapport pour promouvoir le bilan des Frac, tout en songeant à leur suppression, une duplicité que Parsy ne lui pardonnera pas. Il le lui fait savoir. « Il dit sa pensée sans détour, il peut être tranchant, reconnaît Billarant, il est l’un des acteurs de cette période d’acculturation en France, mais il n’est absolument pas un politique ». « Il a un côté un peu cassant, c’est sûr, reconnaît l’artiste Claude Rutault, cela ne lui a pas toujours porté bonheur, mais il aime prendre des risques, et, à mes yeux, cette franchise, c’est une qualité ».

Du MNAM au CMN
Heureusement, Jean-Hubert Martin, au Musée national d’art moderne à Beaubourg, le repêche en lui proposant de diriger les collections contemporaines. Il y reparle des situationnistes. Plutôt porté sur l’art conceptuel et minimal, il défend Christian Boltanski, Annette Messager, Bertrand Lavier (avec lequel il partage l’amour des Ferrari et des courses automobiles), Robert Filliou, Sarkis ou les tenants de l’Arte povera. « Il n’aime pas l’art un peu facile, qui se donne du premier regard, il est attiré par les choses qui résistent, confie son ami Billarant, ensuite, il essaiera de comprendre ».

Dominique Bozo accède alors à la présidence du Centre Pompidou, où il se taille un pouvoir sans partage. Le conflit reprend. « Le jour où il a débarqué les conservateurs du comité d’acquisition, le rideau est tombé, la défaite des conservateurs était signée. » Lui-même a refusé d’intégrer leur corps quand l’offre lui en a été faite. Enchaînant CDI et CDD, il est employé à l’inspection, avant d’ouvrir le nouveau Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. Enfin, il trouve un emploi stable au CMN, qui lui confie le château d’Oiron où se succèdent les manifestations d’artiste. Dans cette lande poitevine, il aime « ce lieu virtuel, où il doit bricoler avec des bouts de ficelle ». À contre-courant, il se dit « fier de ne pas mettre un sou dans la communication, tout devant aller à la production artistique ». Il y a exposé Philippe Ramette, Michel Blazy, Mark Dion ou Claude Rutault, publiant chaque fois un catalogue avec grand soin. « Il défend aussi bien un artiste connu qu’un inconnu, cela ne fait pas de différence », note ce dernier. « Il se montre extrêmement rigoureux, très engagé, cherchant toujours à contourner les obstacles », témoigne Courtecuisse dont il montre en ce moment les dessins piranésiens. « Avec l’alphabet, on peut tout faire, on peut écrire Paris Turf ou du Rimbaud », soupire l’administrateur, qui avait proposé un jour à Beaubourg d’accrocher un néon sur la façade : « A celui qui entre dans ces lieux, ceci ne vaut rien ».

Note

(1) Construction « cubiste » de Kurt Schwitters, refaite après avoir disparu sous les bombes en 1945.

Paul-Hervé Parsy en dates

1950 : Naissance à Lille
1979 : Chargé des expositions au festival de Lille
1981 : Cent propositions pour la création artistique
1985 : Délégation aux arts plastiques, chargé de mission pour les Frac
1988 : Dirige les collections contemporaines au Mnam
1998 : Ouvre le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg
2001 : Administrateur du château d’Oiron
2013 : Administrateur de la villa Cavrois
2015 : Ouverture de la villa

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Paul-Hervé Parsy - Administrateur de la villa Cavrois

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