Débat

Léonard : et bis repetita

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 12 février 2014 - 789 mots

Le Musée du Louvre s’engage dans la restauration de « La Belle Ferronnière ». À temps pour l’inauguration du Louvre-Abou Dhabi ?

Paris n Deux ans après la restauration controversée de La Vierge à l’Enfant avec sainte Anne (lire le JdA no 354, 7 oct. 2011), le Musée du Louvre a annoncé son intention de s’intéresser à un autre des cinq chefs-d’œuvre de Léonard de Vinci en sa possession, La Belle Ferronnière. Pour Vincent Delieuvin, conservateur au département des Peintures, le tableau peint à Milan entre 1495 et 1499 est devenu « incompréhensible » – un argument déjà avancé au sujet de la Sainte Anne : « Le tableau est maculé de repeints altérés. Son front est recouvert de taches. Sa joue est boursouflée par une énorme tache rouge, longtemps considérée par les spécialistes comme un reflet du vêtement, alors qu’il s’agit d’une altération d’un repeint rouge. Les vernis très oxydés ont jauni et transforment les couleurs, notamment les carnations ».

L’opération consiste en un « allégement des vernis, qui, lorsqu’ils se colorent, empêchent de voir les coloris que l’artiste a posés. Comme les pigments ont changé, on ne fait que s’approcher de la palette d’origine à défaut de la retrouver ». Passé en 2008 par le Centre de recherche et de restauration des Musée de France (C2RMF) où il a subi ne batterie d’examens (radiographie, imagerie infrarouge, UV, micro-fluorescence X…), le tableau a été à nouveau étudié à l’été 2013, pour un relevé précis de l’épaisseur des vernis.

Un appel d’offres a été lancé le 28 janvier pour la « restauration de la couche picturale (tests d’amincissement du vernis, enlèvement des repeints anciens, égalisation et éventuellement amincissement du vernis selon les résultats, réintégration et vernis final) ». Le début des opérations est programmé pour le 31 mars. Une fois choisi, le restaurateur présentera son projet d’intervention au chef sortant du département des peintures, Vincent Pomarède – nommé à la tête de la direction « Support à la médiation » le 7 janvier. Un comité scientifique, dont le rôle consultatif est d’usage pour une restauration de cette envergure, est en cours de constitution.

« Pas de taches anciennes »
Plusieurs voix s’élèvent déjà pour rappeler les risques encourus par le tableau. Conservateur général honoraire du patrimoine, directrice du Service de restauration des peintures des musées nationaux (SRPMN) au Louvre de 1981 à 1988 puis de l’Institut français des restaurateurs d’œuvres d’art (l’Ifroa) entre 1992 et 1995, Ségolène Bergeon-Langle avait claqué la porte du comité consultatif de la restauration de la Sainte Anne, estimant que « le principe de précaution [n’avait] pas été respecté » (lire le JdA no 368, 27 avr. 2012). Concernant La Belle Ferronnière, l’experte en restauration se dit « horrifiée » : « Contrairement à la Sainte Anne, le tableau ne présente pas de taches anciennes ayant foncé et qui exigent d’être enlevées. Les couleurs du vêtement et le mouvement de contrapposto sont parfaitement visibles. Amincir le vernis, que certains jugent gênant, révélera l’évolution des pigments et des liants, mettra en évidence les discordances apparues avec les siècles, et perturbera donc la grande homogénéité actuelle du tableau. Il est très présomptueux d’imaginer que l’on peut connaître les coloris d’origine ! »

Expert consultant permanent à l’Armand Hammer Center for Leonardo Studies à l’université de Californie à Los Angeles, Jacques Franck a examiné le tableau décadré en 2006 et en 2009, tableau qu’il déclare « en excellent état et encore très lisible ». « La délicate technique utilisée pour l’exécution des chairs n’est pas clairement comprise à l’heure actuelle »,  avance l’expert, qui appelle à « davantage de recherches » pour éviter que les zones visées ne souffrent.

La Belle Ferronnière ne sera pas prête à temps pour participer à la rétrospective « Léonard » prévue à Milan à partir du 2 mai 2015 dans le cadre de l’Exposition universelle, mais le site La Tribune de l’art affirme que le tableau figure dans la sélection d’œuvres proposées aux Émirats arabes unis pour l’exposition inaugurale de Louvre-Abou Dhabi en décembre 2015 – information que le musée laisse aux Émiriens le soin de confirmer (!). Or, l’appel d’offres stipule que « le délai d’exécution du marché ne devra pas dépasser le 30 septembre 2015 ». Interrogé sur ce point, le Louvre affirme que « si la restauration s’avérait plus longue qu’initialement prévue, il est possible de faire un avenant modifiant la durée du marché, comme cela arrive pour certaines opérations difficiles.». D’après Ségolène Bergeon-Langle, il « est impensable de restaurer un tableau aussi délicat en un an et demi ». Celle-ci juge qu’imposer un délai aussi court à une telle opération est « anormal », car « les surprises peuvent être considérables ». Et la précipitation n’est jamais bonne conseillère.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Léonard : et bis repetita

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