Béatrix Saule directrice générale du musée des châteaux de Versailles et de Trianon

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2013 - 1788 mots

Avec l’Année Le Nôtre, la directrice de l’établissement cherche une nouvelle occasion de faire revivre l’esprit de Versailles. Son credo depuis toujours.

Béatrix Saule est entrée en Versailles comme une carmélite au Carmel. Elle n’en est jamais sortie. Devenue directrice générale du Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon par la grâce de l’ancien président de l’établissement Jean-Jacques Aillagon, et surtout par son propre mérite, elle a gardé la confiance de Catherine Pégard, qui a succédé à Aillagon en sachant montrer un respect plus qu’honorable aux équipes en place.

Fin février, Madame la directrice a découvert avec un air ravi son nouveau bureau dans les Grands Communs, où viennent d’emménager l’administration et la conservation. L’installation dans ce bâtiment à l’écart permet de dégager un pavillon dans lequel sera installé un nouvel accueil pour les visiteurs. C’est le dispositif clé du grand chantier, sur lequel Béatrix Saule a travaillé pendant des années, assumant sans complexe le retour de la grille royale, qui rétablit les gradations historiques de l’entrée au château.

Personne ne connaît Versailles comme elle. De chaque salon d’apparat ou corridor le plus étroit, manipulant son trousseau de grosses clés (elle a toujours refusé l’uniformisation des serrures), elle peut dévider la petite et la grande histoire. Rien ne la laisse indifférente, de la commode BVRB à la soierie, en passant par les cartes à jeu ou le feuillage des bosquets.

Elle est de ceux qui considèrent que la personne est au service de la mission, et non le contraire. Elle trouve toujours normal de consacrer douze heures par jour à ce palais dont la lumière mouvante continue de faire briller ses yeux gris-vert. Pour ceux qui l’aiment et le connaissent, le bâtiment a des airs de Venise : toujours présent, jamais le même selon le recoin dans lequel on s’est égaré, l’heure à laquelle on y est parvenu, la lumière qui tombe, l’humeur des lieux, et la sienne propre qui finit par l’emporter.

Longétivité versaillaise
Tailleur strict, mise en pli impeccable, Béatrix Saule possède un charme que vient souligner un sourire mutin. Dans la ville de Versailles, qu’elle a mis du temps à apprécier, elle ne dépare pas. Cette traditionaliste est sauvée par le rire, qu’annonce une étincelle dans le regard. Observatrice pointue, sans illusion sur les travers du temps et les faiblesses du monde, elle n’exerce jamais cette perspicacité à l’encontre des personnes. Son admiration pour la virtuosité de Saint-Simon est ainsi tempérée par la mesquinerie du personnage. « Il arrive qu’elle ne dise pas bonjour, mais c’est Béatrix !, s’exclame l’une de ses plus anciennes collaboratrices. Elle est juste complètement absorbée par ce qu’elle est en train de faire. Quand elle n’est pas contente, elle ne se gêne pas pour le dire, mais elle est incapable de méchanceté ».

Rien ne semble en mesure d’affecter son goût du Grand Siècle, qu’elle s’attache sans relâche à sauver des clichés. Le château de Versailles, c’est incontestablement Louis XIV, non pas le monarque absolu mais un homme qui a su « mettre en place une méritocratie ». « Les nobles sont revenus à la faveur des règnes de Louis XV et Louis XVI », dont on sent bien qu’ils n’ont pas toutes ses faveurs à elle. Versailles n’est pas l’acmé du « classicisme à la française », mais un mélange dans lequel prime le baroque. En ceci, elle est bien la disciple du grand directeur que fut Pierre Lemoine, et qu’elle reconnaît comme son véritable maître.

Dans le milieu des conservateurs, Béatrix Saule est atypique. Sa longévité sur place lui a été beaucoup reprochée. Pourtant, ces carrières, telles que d’autres ont pu les passer au Louvre ou à Fontainebleau avant elle, sont indispensables à la perfection de la connaissance. « De ce qui était présenté comme une faiblesse, j’ai perçu combien cela pouvait être une richesse », note ainsi Aillagon. Leur rencontre aurait pu être celle de Bossuet face à Montaigne. « Personne ne pensait que nous allions nous entendre, tant nous étions différents, reconnaît l’ancien ministre. Ce fut tout le contraire. Nous avons établi une relation de confiance, avec d’autant plus de facilité qu’elle est d’un dévouement total, avec une grande sensibilité aux équipes. Quand elle n’était pas d’accord, elle le disait avec sa franchise habituelle. Mais avec elle, il n’y a jamais de guerre larvée. Nous sommes devenus très attachés l’un à l’autre. » Il est le premier à souligner qu’elle « a su relier l’histoire de l’art à l’histoire », deux disciplines si jalouses l’une de l’autre, « en s’attachant aux détails oubliés, au fonctionnement des lieux, aux rituels ». N’estimant guère les vernissages et autres parties de ronds de jambe, Béatrix Saule ne court pas les expositions parisiennes. Débordée sans doute… en vérité, elle n’aime guère l’art isolé de son contexte. Elle porte en elle un amour des lieux, elle apprécie un meuble historique là où il prend tout son sens. « Et où il peut être porté à l’attention des visiteurs », reprend Christophe Tardieu, ancien administrateur de Versailles, qui trouve « rare un tel sens du public chez les conservateurs ».

Son manifeste tient sans doute dans l’exposition qu’elle a consacrée en 1993 aux tables royales. Non seulement elle y mariait l’esthétique de Sèvres ou d’Augsbourg à l’habitus de la monarchie, mais elle apprit « qu’il y avait beaucoup à comprendre du fonctionnement de Versailles dans les autres cours européennes ». C’est aussi en la suivant de Windsor à Saint-Pétersbourg en passant par Copenhague ou Dresde qu’il est possible de retrouver ce sourire lumineux dès lors qu’elle tombe sur un objet inspiré de la cour de France, qui a disparu à Versailles. Le roi a fait fondre l’argenterie, la Terreur a dispersé le mobilier. Le remeublement est un effort continu, dans lequel elle cherche « la raison d’être », trouvant étrange qu’on puisse tout savoir des secrets de fabrication des armoires Boulle livrées en 1708 pour la chambre du roi, sans en connaître l’usage. La même préoccupation l’a conduite à décrypter l’attrait de l’Ancien Régime pour la science. Ou à évoquer le mobilier d’argent disparu de Louis XIV, pour lequel elle a cherché des équivalents dans les cours européennes, en les éclairant d’une lumière semblable à celle des chandelles de l’époque (calculée grâce aux comptes du garde-meuble). Car, bien qu’elle ne connaisse pas grand-chose aux nouvelles techniques, elle sait très bien les mettre au service de ses découvertes et intuitions.

Une tour d’ivoire
Dans son enfance, la visite familiale, c’était la basilique de Saint-Denis. Née Houdard de La Motte, la petite fille est tombée dans le bain de l’histoire, celle du royaume et de la papauté à laquelle sa famille était attachée. Aujourd’hui encore, elle assiste régulièrement à la messe, avec juste la pointe de scepticisme qui convient. Son père entretenait bibliothèque ouverte. Avec sa sœur et d’autres amateurs, il avait fondé un « comité d’étude du XVIIe siècle ». Sa mère était vice-présidente des amis de Montaigne. Cependant, point de conversion mystique pour celle qui en est venue à l’étude des maisons royales de proche en proche : Versailles ne lui est pas apparu en rêve. Deux années passées à la Villa Médicis, ayant décroché le prestigieux Prix de Rome, lui permirent d’étudier les cadeaux des rois de France aux papes. Elle n’en eut pas beaucoup à se mettre sous la dent. Mais elle put découvrir les merveilles du baroque, l’architecture des Jésuites, les plafonds peints par Pierre de Cortone (qui eurent tant d’influence sur Le Brun) ou les Caravage, qui n’ont jamais manqué de l’éblouir. Devenue conservateur à l’âge de 24 ans, elle fut titularisée par Gérald Van der Kemp, une des grandes figures de Versailles, dès son premier stage. Elle a travaillé sous huit patrons. À chacun, elle trouve une qualité, « l’aura » d’un Van der Kemp, « la vraie connaissance et la grande sensibilité » d’un Lemoine… Elle en trouverait même à un Hubert Astier.

Elle a aussi gardé le souvenir « d’une tour d’ivoire, coupée de l’extérieur », dans laquelle elle n’eut de cesse de percer des ouvertures. Elle a ouvert un pôle d’édition, créé un réseau des résidences royales. Il lui a fallu son opiniâtreté légendaire, avec l’appui de la présidente de l’établissement Christine Albanel (2003-2007), pour faire éclore un centre de recherche, en y associant la conservation mais aussi l’Université. Tout a basculé, reconnaît-elle, à la création de l’établissement public qui a enfin rassemblé le musée, le château et le jardin, jusqu’alors séparés.

Créateurs au service des lieux
Béatrix Saule a fait tous les métiers. Elle peut paraître inamovible, en réalité elle a beaucoup bougé, mais sur le motif, comme Monet quand il s’est mis à tourner autour des meules. Tout en suivant une demi-douzaine d’expositions par an, elle a rédigé le catalogue en ligne de l’intégralité de la sculpture de Versailles, qui représenterait plusieurs volumes s’il était publié sur papier. Elle savoure « la recherche bénédicte », mais ressent constamment le besoin de la confronter au concret, d’aller vérifier sur le terrain. Son sens de l’histoire est tempéré par l’aspect pratique et fonctionnel, qui vient parfois se moquer du grandiose. Elle n’a pas oublié que, au sein de l’association des conservateurs, elle a été « très mise en minorité » pour avoir conseillé à ses collègues de « s’occuper aussi de gestion ». Scandale. Les conservateurs auraient mieux fait de l’écouter, s’ils n’avaient pas voulu laisser le terrain libre aux énarques, dont ils se plaignent tant aujourd’hui.

Même les spectaculaires manifestations d’art contemporain organisées par Aillagon, qui lui ont bien fait froncer les sourcils, trouve excuse à ses yeux en drainant de nouveaux publics. Elle n’est du reste pas opposée à la venue des créateurs, « à condition qu’ils se mettent au service des lieux, et non l’inverse ». « Versailles ne saurait exister sans la mode, la musique, la gastronomie, c’est le travail du fontainier, de l’architecte, du photographe et du jardinier, c’est Bartabas à la Grande Écurie. Ce n’est pas seulement un site touristique, ou un musée. C’est aussi un jardin », qu’elle aimerait mieux faire connaître en ces jours de lancement de l’Année Le Nôtre. « Il faut que ce lieu vive, mais toujours en observant un équilibre car nous avons un patrimoine à préserver, pas seulement pour les générations futures, mais pour les gens aujourd’hui… il faut de la vie à Versailles ! ». Les yeux de la religieuse, sans cornette, pétillent.

Béatrix Saule en dates

1950 Naissance à Charenton (Val-de-Marne)

1974 Passe le concours de conservateur du patrimoine.

1975 Prix de Rome en histoire de l’art.

1976 Entrée à Versailles.

1993 Exposition « Versailles et les tables royales en Europe, XVIIe-XIXe siècle ».

1995 Création du réseau des résidences royales européennes.

2003 Création du centre de recherche.

2013 Année Le Nôtre.

En savoir plus sur Béatrix Saule

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°387 du 15 mars 2013, avec le titre suivant : Béatrix Saule directrice générale du musée des châteaux de Versailles et de Trianon

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque