Politique culturelle

La Culture à la diète

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2012 - 1213 mots

À la veille de la présentation du budget de la Culture, Aurélie Filippetti a révélé l’abandon de plusieurs projets lancés par ses prédécesseurs de la Rue de Valois. Parmi ceux-ci, le « Centre de conservation, de recherche et de restauration du patrimoine » prévu à Cergy-Pontoise et « Lascaux 4 », réplique de la célèbre grotte ornée. Les Journées du patrimoine lui ont aussi donné l’occasion d’annoncer une grande loi en faveur du patrimoine.

PARIS - Après la Maison de l’histoire de France et l’hôtel de Nevers (lire le JdA no 374, 7 septembre 2012, p. 5 et 50), la ministre de la Culture a annoncé l’abandon de divers projets lancés par ses prédécesseurs de la Rue de Valois. Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde (daté 11 septembre), Aurélie Filippetti a fustigé des projets « annoncés avec légèreté et, pour l’essentiel, non budgétés par l’équipe Sarkozy », dont l’ensemble est estimé à plus d’un milliard d’euros. Si l’arrêt de la Maison de l’histoire de France (estimée à 180 millions d’euros) ou de la nouvelle salle de la Comédie-Française, à la Bastille, étaient prévisibles, la ministre a créé la surprise en visant aussi le centre pariétal « Lascaux 4 », projet jugé « non prioritaire ». Nouvelle réplique de la grotte ornée de Dordogne fermée pour des raisons de conservation, ce programme devait être financé à parts égales par le Département, la Région et l’État, pour un total de 50 millions d’euros. Inauguré en 1983, la première réplique (Lascaux 2) reçoit quelque 270 000 visiteurs par an, mais son emplacement, trop proche de la grotte originale, fait courir des risques majeurs à ce patrimoine mondial de l’humanité ; il est donc urgent de la fermer. D’où le lancement en 2008, conjointement à « Lascaux 3 », exposition itinérante louée à l’étranger jusqu’en 2017, de « Lascaux 4 », nouvelle reproduction à la pointe des avancées technologiques et dont l’inauguration était prévue en 2015.

Les deux présidents PS de la Région Aquitaine et du Département de la Dordogne, respectivement Alain Rousset et Bernard Cazeau, sont aussitôt montés au créneau pour proclamer la poursuite de cette vaste entreprise qui répond à une politique de développement touristique du territoire. Bernard Cazeau a évoqué le recours possible à des fonds européens et d’aménagement du territoire ainsi qu’au mécénat des entreprises privées. « La motivation de l’absence d’argent est insuffisante pour arrêter un projet pour lequel l’État s’était engagé par écrit, en nous demandant de sanctuariser la grotte de Lascaux. Il est inenvisageable de fermer Lascaux 2 sans qu’il y ait “Lascaux 4”. » Ironie du sort, cette annonce intervient alors que la désignation de l’architecte lauréat est imminente. Jean Nouvel, les Allemands Auer Weber, les Norvégiens Snohetta, et l’équipe catalane de José Lluís Mateo sont encore en lice.

Réserves non inondables
Si les promoteurs de « Lascaux 4 » ont encore de bonnes raisons d’espérer, le sort du grand « centre du patrimoine » prévu à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) semble scellé. Né en 2002 de la nécessité de mettre à l’abri les œuvres conservées dans les réserves inondables des grands musées parisiens (le Louvre, Orsay et l’Orangerie, Les Arts déco, l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris), le projet s’était transformé en un vaste « Centre de conservation, de recherche et de restauration des patrimoines » pour un budget dépassant les 200 millions d’euros. Chapeauté par le Louvre, il devait, à l’origine, être en grande partie financé par la manne « Abou Dhabi », et permettre à l’établissement public parisien de délocaliser, au passage, les ateliers de restauration du C2RMF (Centre de recherche et de restauration des musées de France), situés dans les étages très convoités du pavillon de Flore (lire le JdA no 327, 11 juin 2010). Depuis 2010 et le choix, par le ministère, de Cergy-Pontoise pour l’accueillir, le projet battait de l’aile, d’autant plus que le montage financier initialement prévu par le Louvre, un partenariat public-privé, se révélait extrêmement coûteux. La Communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, qui finançait le centre de conservation à hauteur de 20 %, s’y était beaucoup investie. Outre l’université de Cergy, qui a lancé divers programmes de recherche autour du patrimoine, l’abandon du projet laisse sur le carreau d’autres institutions comme l’Institut national du patrimoine, dont le département restauration devait s’y installer.

Si le président de l’Agglomération de Cergy-Pontoise a publié un communiqué pour « redéfinir le projet » et le « faire aboutir », la Rue de Valois ne laisse planer aucun doute quant à sa décision de « tout remettre à plat » pour ramener le programme à ses fondamentaux : des réserves non inondables. Il faudra faire vite car la crue centennale pourrait survenir vite. On est donc loin de la création d’un établissement public, un temps prôné par le Louvre, et le ministère de la Culture regarde désormais d’un œil circonspect ces vastes structures administratives. Les chefs des établissements publics retiennent donc leur souffle avant les derniers arbitrages. Aurélie Filippetti a d’ores et déjà annoncé qu’elle envisageait de rééchelonner les schémas directeurs de Versailles (s’élevant à 171 millions d’euros, dont deux tiers financés par l’État, pour les travaux de mise aux normes entre 2012 et 2017 ) et du Grand Palais – 140 millions de travaux financés par l’État, soit 38 % de l’ensemble des opérations prévues sur dix ans à partir de 2015. La baisse des crédits de la Culture, que d’aucuns annoncent à moins 3 % tandis que les syndicats dénoncent une baisse de 10 % sur trois ans pour une économie de 270 millions d’euros, ne surprendra donc personne. La pilule sera-t-elle pour autant plus facile à passer ? Rien n’est moins sûr. Si Aurélie Filippetti semble attachée à redonner du sens à son ministère (lire l’encadré), que penser d’un État qui ne fait plus de la Culture l’une de ses priorités ?

Une loi pour le patrimoine

C’est à Metz, sur le chantier de restauration de la cathédrale, qu’Aurélie Filippetti avait choisi de lancer le 14 septembre les Journées européennes du patrimoine, et annoncé une série de mesures en faveur du secteur. À commencer par la préparation d’un projet de loi sur le patrimoine pour 2013. Cette loi viserait à répondre, comme l’a précisé la ministre, à « un certain affaiblissement de la protection juridique de notre patrimoine depuis quelques années ». Une allusion directe au décret d’application du 19 décembre 2011 qui rend obligatoire la transformation des 650 ZPPAUP (zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager) de France en Avap (aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine), et ce avant juillet 2015. Cette mesure minimise le contrôle que peut exercer l’architecte des Bâtiments de France et prend le risque de soustraire à la législation de protection du patrimoine des zones entières du territoire (lire le JdA no 361, 20 janv. 2012). La future loi prendra en considération l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité. Outre les édifices protégés, le texte devrait concerner les musées, les archives et l’archéologie préventive (lire le JdA no 373, 6 juillet 2012). Une étude globale d’impact de la culture sur l’économie devrait être réalisée à nouveau sur le modèle de celle de 2009. La ministre a, enfin, souligné l’importance du rôle des architectes en chef des Monuments historiques et annoncé l’ouverture d’un concours en 2013.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°375 du 21 septembre 2012, avec le titre suivant : La Culture à la diète

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