Russie

Un galeriste passé à tabac

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2006 - 591 mots

Le Moscovite Marat Guelman a été agressé par un groupe de dix hommes.

MOSCOU - Après le meurtre de la journaliste Anna Politkovskaya le 7 octobre, un événement, certes moins macabre, a secoué le milieu artistique russe. Le 21 octobre, un groupe de dix hommes a passé à tabac le galeriste moscovite Marat Guelman. Le commando a aussi détruit le matériel informatique de la galerie et piétiné les sérigraphies de l’artiste Alexander Djikia. Les motifs de cette agression restent encore obscurs.
Conseiller en communication de nombreux politiciens ainsi que galeriste, Marat Guelman a navigué dans plusieurs eaux. Un temps proche du Kremlin, notamment de Boris Eltsine, il a présidé à la création du parti nationaliste Rodina (La patrie). Il semble depuis en froid avec le président Vladimir Poutine.
La veille de son agression, plusieurs photos du collectif russe Blue Noses, que le marchand londonien Mathew Bown voulait sortir de Russie, ont été retenues par la douane sans aucun motif. Cette rétention semble d’autant plus étrange que les photomontages de la série Mask Show, représentant Vladimir Poutine, George W. Bush et Ben Laden affalés sur un canapé, avait été exportés à cinq reprises depuis 2005 ! Irrité, Marat Guelman avait alerté la presse et précisé sur sa page Internet qu’il accordait une interview à l’agence Reuters le 21 octobre à 11 h, soit une heure et demi avant son agression. Dans un entretien accordé au quotidien russe Kommersant sur Internet, Marat Guelman exclue un lien entre son agression et l’incident à la douane. Malgré les tensions actuelles entre le Kremlin et la Géorgie, l’origine géorgienne de Djikia ne serait pas non plus en cause.
D’après ses proches, le nom de Guelman figurait sur différentes listes d’ennemis du peuple à abattre, circulant sur la Toile. « Ce n’est pas la première fois qu’on s’en prend à Marat, mais les autres fois ce n’était que des attaques verbales, nous a confié son épouse, Julia Guelman, à la FIAC. On prétend qu’il n’est pas patriotique, alors qu’il questionne le monde. Mais les gens ne veulent pas de questions. » En mai 2005 sur la foire Art Moscow, le couple avait eu maille à partir avec un groupe de traditionalistes religieux, offusqués par une pièce d’Alexander Kosolapov associant la figure du Christ à une bouteille de Coca-Cola. Le ton était déjà monté d’un cran en janvier 2005, lorsque des extrémistes avaient dénoncé plusieurs œuvres présentées dans l’exposition « Russia 2 », organisée dans le cadre de la première Biennale d’art contemporain de Moscou. Ces derniers avaient notamment critiqué une œuvre des Blue Noses baptisée Burn my Candle. Ils avaient aussi protesté contre un photomontage du collectif AES Group, présentant la ville de Moscou après islamisation. Ironiquement, une autre photo affublant d’une burka la statue de la Liberté ne semblait guère les émouvoir ! Ces illuminés avaient exigé la fermeture de l’exposition et intenté un procès réclamant des dommages et intérêts de 5 millions de roubles (147 000 euros).

Péril en la galerie
Les menaces des orthodoxes russes semblent monnaie courante. La galeriste et artiste Aidan Salakhova a ainsi reçu, voilà quatre ans, des courriers électroniques menaçant de détruire son exposition d’œuvres de Raouf Mamédov, reconstituant la Cène avec des trisomiques. Lorsqu’en qualité d’artiste, elle avait présenté sa pièce intitulée Kaaba à la galerie XL, à Moscou, en 2002, des nationalistes orthodoxes ont pressé le moufti de Moscou d’intervenir pour fermer l’exposition. Après s’être déplacé, le dignitaire musulman n’a rien trouvé à redire à l’œuvre. Les zélateurs ne sont pas toujours là où on le croit !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°246 du 3 novembre 2006, avec le titre suivant : Un galeriste passé à tabac

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