Art moderne - Art contemporain

XIXE-XXIE SIÈCLE

Quand le folklore inspire les artistes d’hier et d’aujourd’hui

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 26 juillet 2020 - 767 mots

METZ

Depuis Kandinsky et Brancusi, les artistes ont puisé dans les traditions artisanales, mais aussi dans les chants, danses, contes, croyances et usages, jusqu’à se faire ethnologues ou anthropologues. Démonstration au Centre Pompidou-Metz en partenariat avec le MuCEM.

Metz. Lorsqu’il pénètre au Centre Pompidou-Metz, le visiteur doit non seulement porter un masque mais aussi chausser des sabots. Non pas pour traverser la Lorraine mais pour être en phase avec l’exposition qui s’ouvre avec le chapitre « Le Nabi aux sabots de bois. Paul Sérusier et la Bretagne ». Cette chaussure paysanne rendue célèbre par la phrase canonique de Gauguin – « Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit… »–, offre une entrée en matière pertinente pour traiter un sujet épineux, le folklore. Les Nabis reconnaissent leur dette vis-à-vis des traditions populaires en Bretagne, région où « le passé le plus reculé vivait encore » (Ernest Renan). Ils sont toutefois une exception car si l’histoire de l’art admet depuis longtemps l’influence des arts premiers et des arts décoratifs, des dessins des enfants ou de la production des malades mentaux, le folklore, lui, n’a pas eu ce privilège.

C’est donc à un vaste projet que s’attellent les deux commissaires, Jean-Marie Gallais, conservateur à Metz, et Marie-Charlotte Calafat, conservatrice au MuCEM (Marseille). Trop vaste, peut-être, à commencer par le titre. Intituler la manifestation « Le folklore et l’art » ou « Le folklore dans l’art » aurait permis d’éviter de s’attaquer frontalement à un concept si difficile à saisir. Il faut croire que la collaboration avec le MuCEM, et la volonté déclarée « de poser un autre regard sur le folklore… et de l’exposer dans un centre d’art et dans un musée de société afin de questionner son histoire » est à l’origine du titre « Folklore ».

Pourtant, le visiteur est prévenu. Judicieusement, les cimaises de la première salle sont placardées de couvertures d’ouvrages qui ont tenté de cerner ce terme dont la définition semble toujours se dérober. Néanmoins, tous les auteurs s’accordent sur la date de naissance du mot « folk-lore » (1846 en Angleterre), relatif à une science des traditions et des usages populaires d’une nation, une discipline élaborée, non sans heurts, par des amateurs locaux, les folkloristes, et par des ethnologues.

Les contemporains, collecteurs et colporteurs

La mise en rapport entre le folklore et les arts n’a rien d’évident. Tout, a priori, les sépare : artisan contre artiste ; production uniforme et en nombre contre œuvre unique ; anonymat contre singularité ; inscription dans le passé immuable contre vision avant-gardiste. Mais c’est oublier que pour les artistes modernes, ces objets modestes permettent de s’affranchir du carcan académique.

Le parcours, chronologique et thématique, réunissant plus de 60 artistes, s’arrête sur ces rencontres. La première, bien documentée, est celle où la peinture sous verre bavaroise et ses figures schématisées sont présentées dans un espace aplati. C’est à Murnau que Kandinsky, Gabriele Münter et Alexej von Jawlensky découvrent cette pratique qui aura un impact important sur l’évolution de leur production picturale. Ailleurs, la sculpture de Brancusi doit beaucoup non seulement à l’artisanat mais aussi aux contes anciens de son pays natal, la Roumanie (l’oiseau mythique de Maiastra, 1911). Ailleurs encore, le mouvement néo-primitiviste en Russie, avec Nathalie F. Gontcharova et Mikhaïl Larionov, tire ses sources du folklore local.

Le mérite de l’exposition est de montrer que le folklore ne se limite pas au domaine matériel. Les chants populaires, les danses, les fables, les légendes, les croyances ou les superstitions en sont les composantes indispensables. Ce sont les artistes contemporains, à l’exemple de Joseph Beuys ou de Susan Hiller, qui renouvellent ces traditions, parfois y en adossant des postures chamaniques. D’autres créateurs se font colporteurs et collecteurs dans la lignée des folkloristes – la boîte d’archives de Raymond Hains (Cassel-Kassel, 1997) – ou inventent un espace muséal personnel pour y déposer des « objets modestes » : Marcel Broodthaers, Musée d’art moderne, département des Aigles, 1970 ; Claudio Costa, Musée d’anthropologie active, 1975.

Entre l’authentique et le fabriqué

Mais c’est la distinction incertaine entre l’authentique et le fabriqué, l’alliance incestueuse entre kitsch et folklore, qui semblent inspirer les artistes. Dans le chapitre « La Suisse, une fabrique à folklore », Valentin Carron réalise un ours en matériaux synthétiques, un ersatz qui ridiculise la sculpture traditionnelle en bois du canton du Valais (Ours aveugle, 2000). De son côté, l’artiste américain Jimmie Durham présente, chargés d’ironie féroce, des répliques d’éléments typiques de la culture helvète (Maquette for a Museum of Switzerland, 2011).

Dernier point : parler du folklore, souvent assimilé aux activités rurales, n’est jamais innocent quand les orateurs sont des politiciens. La démonstration à Metz de l’usage nationaliste par le maréchal Pétain des thèmes folkloriques est à ce titre éclairante.

Folklore,
jusqu’au 4 octobre, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57020 Metz.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°549 du 3 juillet 2020, avec le titre suivant : Quand le folklore inspire les artistes d’hier et d’aujourd’hui

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