Art moderne

L’impressionnisme et la condition ouvrière

Par Dominique Vergnon · L'ŒIL

Le 12 mai 2020 - 599 mots

Conséquence de la révolution industrielle, une nouvelle réalité sociale apparaît après 1870. Parallèlement aux peintures de paysages et aux portraits de famille, les impressionnistes se sont attachés à représenter ce nouveau monde.

À la fin du Second Empire, l’industrialisation s’accélère avec le charbon et la vapeur. L’usage de l’éclairage électrique dès 1878 hâte les mutations de la vie citadine et le chemin de fer qui, hier, desservait les stations balnéaires normandes atteint maintenant les faubourgs. La révolution industrielle en provoque une autre, esthétique celle-là. S’éloignant des paysages et des scènes de loisirs, les peintres impressionnistes prennent pour sujet les manufactures, les ateliers, les quais où s’activent des cohortes de travailleurs. Un répertoire de motifs inédit et quasi inépuisable s’offre à eux. Moins d’arbres sur les bords de Seine, mais des usines et des viaducs.

« Le règne du feu »

Comme pour insister sur cette relation nouvelle entre nature et industrie, Armand Guillaumin dans une œuvre pionnière exécutée en 1869, Neige à Ivry, accuse les contrastes de couleurs et de formes en peignant les panaches noirs des fumées s’échappant des cheminées situées au bout d’un chemin blanc. Après ses années passées à Pontoise, Pissarro débarque en 1883 à Rouen. Il exécute au cours de ses différents séjours près de soixante-dix toiles étudiant par tous les temps les piétons sur Le Pont Boïeldieu, le ballet des grues et les reflets de l’eau autour des péniches. Autre approche avec le néo-impressionniste Maximilien Luce qui décrit à sa manière pointilliste les aciéries du Borinage et les silhouettes se découpant devant la fournaise. Signac, qui le rejoint à Charleroi en 1897, écrit : « Partout des feux de Bengale multicolores, des étincelles. Les ouvriers ne sont plus rien, je vois le règne du feu ! »

Plus rien, l’ouvrier ? Pourtant la « construction de la nation » repose toujours sur l’énergie exploitable à merci qu’est la force humaine. L’homme devient le dénominateur commun des artistes engagés, comme si les mots écrits par Proudhon en 1865 guidaient leur inspiration : « L’art ne s’est occupé jusqu’à présent que des dieux, des héros et des saints ; il est temps qu’il s’occupe des simples mortels. » Le corps dans son effort est le canon moderne de la beauté. Le Cribleur de sable de Guillaumin est le frère de peine du Coltineur de charbon vu par Henri Gervex sur le quai de la Villette (1882). De même, Sérusier dans Le Tisserand, qui saisit le geste répétitif de l’artisan, rejoint Degas qui surprend sur l’instant le bâillement de fatigue de la repasseuse, un sujet sur lequel il revient à plusieurs reprises. La popularité de L’Assommoir dénonçant l’exploitation des masses par l’obligation de croissance incite les peintres à « se livrer cœur et chair », selon les mots de Zola, à la défense par leurs pinceaux d’un prolétariat rivé à son labeur et menacé par le chômage. Ami de Camille Pissarro qui lit Proudhon, l’anarchiste Maximilien Luce compose en 1911 des affiches pour le journal La Bataille syndicaliste.

Peindre la pénibilité

Nouveaux acteurs sociaux, les prolétaires sont vus à la fois comme les héros et les victimes du progrès. Moins considérées, moins payées, les femmes, prises entre les tâches domestiques dans des garnis insalubres et les chaînes de production, travaillent plus que les hommes. À la veille de la Grande Guerre, Ferdinand-Joseph Gueldry détaille les gestes mécaniques des ouvrières alignées sous la verrière d’un atelier textile (1913). Paul-Louis Delance dans Grève à Saint-Ouen place un drapeau rouge au centre du tableau, tel un signe accusateur des répressions sanglantes de la « République briseuse de grèves ». Sans connaître le mot, inconnu à l’époque, les artistes peignaient déjà la pénibilité.

« Les villes ardentes, art, travail, révolte 1870-1914 »,
Musée des beaux-arts de Caen, Château, Caen (14). Tarif : de 5 à 7 €. De 9 h 30 à 12 h30 et de 13 h 30 à 18 h, de 11 h à 18 h le week-end et jours fériés et fermé le lundi. Commissariat : Emmanuelle Delapierre et Bertrand Tillier. www.mba.caen.fr

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°734 du 1 mai 2020, avec le titre suivant : L’impressionnisme et la condition ouvrière

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque