Art ancien

XIXE SIÈCLE

Les Flandrin, les trois mousquetaires d’Ingres

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 28 juin 2021 - 813 mots

LYON

Riche de nombreuses œuvres inédites, l’exposition lyonnaise montre le travail collégial des frères Flandrin unis derrière leur maître, Ingres. Un parcours passionnant jalonné de découvertes.

Hippolyte Flandrin, La Mort de Jésus-Christ sur le calvaire, 1860, huile sur bois, 45 x 60 cm. © Lyon MBA / Alain Basset
Hippolyte Flandrin, La Mort de Jésus-Christ sur le calvaire, 1860, huile sur bois, 45 x 60 cm.
© Lyon MBA / Alain Basset

Lyon. Ils étaient trois frères, fils d’un miniaturiste lyonnais vivant chichement de ses commandes. Malgré cela, Auguste (1804-1842), Hippolyte (1809-1864) et Paul Flandrin (1811-1902) se sont engagés dans la voie artistique. L’aîné, pour soutenir la famille, pratiquait l’illustration lithographique, une technique nouvelle permettant de travailler vite. Les deux autres se sont rendus à Paris pour continuer leur formation. Lorsqu’ils ont vu s’éloigner les vaches maigres, ils ont appelé leur grand frère pour qu’il vienne, lui aussi, suivre les cours de Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), leur maître vénéré. Et Auguste est venu, humblement, affronter la souffrance de celui qui doit tout réapprendre. Ils sont touchants, ces Flandrin, et d’autant plus qu’ils sont restés unis, chacun trouvant une voie différente mais continuant de travailler au contact des deux autres. Auguste est mort jeune, brutalement, dévastant ses frères (la Pietà d’Hippolyte, vers 1842, longtemps restée dans la famille, en témoigne). Paul, le paysagiste, a secondé Hippolyte, la gloire de la fratrie.

Redécouverte des frères Flandrin au XXe siècle

Si tous trois ont connu le purgatoire, aujourd’hui, le temps n’est plus où l’on apprenait, dans l’ Histoire de l’art de Germain Bazin (1953) que « Ingres […] est responsable d’une médiocre lignée de peintres décorateurs, dont le Lyonnais Hippolyte Flandrin est le plus représentatif ». Les années 1980 ont redécouvert le trio et, lorsque les décors restaurés de l’église parisienne de Saint-Germain des Prés (1842 à 1863) ont été montrés au public en juin 2019, Hippolyte a retrouvé sa place dans l’histoire de l’art français. Ces décors, numérisés, font l’objet d’une projection immersive dans l’exposition. Dans les salles adjacentes, les études préparatoires, dont plusieurs dessins de Paul, permettent de comprendre les étapes de l’élaboration d’un tel ensemble. Le catalogue, qui présente l’état de la recherche sur les trois peintres, fournit aussi les détails techniques de la peinture à la cire adoptée par Hippolyte et de la restauration.

Nombres des dessins présentés ici proviennent de collections particulières. En effet, les commissaires, Elena Marchetti et Stéphane Paccoud, ont bénéficié des archives de la famille Flandrin et de l’accès aux collections qu’elle conserve. Le Musée des beaux-arts de Lyon, de son côté, est riche d’environ deux cents œuvres et objets – peintures, dessins, photos, pièces d’archives – qui ont été réexaminés pour l’exposition. Enfin, depuis le retour en grâce des frères Flandrin au XXe siècle, de nombreuses œuvres sont apparues sur le marché qui n’avaient pas encore été montrées au public. Sur plus de trois cent soixante peintures, dessins et photographies présentés, près de la moitié sont inédits.

Construite thématiquement en mêlant la carrière des trois frères, l’exposition commence par les portraits qu’ils ont faits les uns des autres. Ce genre est en outre abordé plus loin dans un espace qui lui est consacré : ils l’ont pratiqué avec grand talent, que ce soit au crayon ou à l’huile, dans la lignée d’Ingres. Ce dernier a d’ailleurs peint Vénus à Paphos (1852-1853) d’après le portrait dessiné d’ Antonie Balaÿ (1852) de Paul Flandrin qui fut fort gêné qu’il ait ainsi dénudé son modèle.

Dans les pas d’Ingres

Avec sa peinture d’histoire, c’est Hippolyte qui a le mieux marché dans les pas d’Ingres, même si, à travers deux œuvres, Le Dante, conduit par Virgile, offre des consolations aux âmes des envieux (1834-1835, voir ill.) et Jésus Christ et les petits enfants (1836-1838), est montrée l’étroite coopération d’Hippolyte et Paul pour la mise au point de la composition et la caractérisation des personnages – le parti pris de toute l’exposition repose sur la mise en relation des dessins en rapport ou préparatoires avec les œuvres. Selon Elena Marchetti, qui étudie les nus d’Hippolyte dans le catalogue, avec Polytès, fils de Priam, observant les mouvements des Grecs (1833-1834), « l’élève dépasse le maître » dans les libertés anatomiques qu’il prend. Quant au Jeune Homme nu assis sur un rocher au bord de la mer (1835-1836), peut-être inspiré de la Divine Comédie de Dante et des illustrations de John Flaxman, il est « l’équivalent masculin de la “Grande Baigneuse” d’Ingres » . Des variations photographiques de cette œuvre emblématique, de Wilhelm von Gloeden (vers 1902) à Imogen Cunningham (1918), sont présentées à la fin du parcours. La transmission des leçons d’Ingres aux élèves d’Auguste et Hippolyte y est également étudiée.

L’autre grand thème abordé est le paysage qu’Hippolyte et Paul ont pratiqué avec bonheur. Si Paul a produit de nombreux paysages avec des figures, ce sont leurs études sur le motif, à l’huile, au crayon ou à l’aquarelle qui séduisent aujourd’hui. Pour beaucoup inédites, elles forment l’une des attractions de cette exposition. Les photographies utilisées par Hippolyte et Paul pour documenter les œuvres ou en préparer certaines (par exemple, le portrait de Napoléon III) et les croquis humoristiques de Paul constituent également une découverte.

Hippolyte, Paul, Auguste : Les Flandrin, artistes et frères,
jusqu’au 5 septembre, Musée des beaux-arts, 20, place des Terreaux, 69001 Lyon.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°570 du 25 juin 2021, avec le titre suivant : Les Flandrin, les trois mousquetaires d’Ingres

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