Belgique - Art moderne

XXE SIÈCLE

Il était deux fois le surréalisme

BRUXELLES / BELGIQUE

À l’occasion des 100 ans du mouvement, Bruxelles accueille deux expositions complémentaires qui abordent le surréalisme, à travers le prisme belge pour Bozar, dans sa dimension internationale pour les Musées royaux des beaux-arts.

René Magritte (1898-1967), Le double secret, 1927, huile sur toile, 114 x 162 cm, Centre Pompidou, Paris. © Succession Magritte © Adagp Paris 2024
René Magritte (1898-1967), Le double secret, 1927, huile sur toile, 114 x 162 cm, Centre Pompidou, Paris.
© Succession Magritte
© Adagp Paris 2024

Bruxelles. Dans la capitale belge, le surréalisme est chez lui. À tel point qu’on ne sait parfois plus où il se situe et ce qu’il est vraiment. Pour célébrer le centenaire de la parution du Manifeste du surréalisme (1924), deux expositions d’envergure s’ouvrent ici avec deux approches et sous deux thématiques différentes mais complémentaires. Bozar propose une plongée dans le surréalisme en Belgique au long d’une scénographie labyrinthique et audacieuse qui joue de la complémentarité des mots et des images. Alors que les œuvres sont présentées sur des cloisons qui structurent l’espace, les murs accueillent les textes et citations qui leur font écho.

S’il a développé de nombreux liens avec ses pairs français, le mouvement surréaliste belge a travaillé à son autonomie et à son identité propre qui tient beaucoup à la personnalité de Paul Nougé (1895-1967). Poète, photographe, et biochimiste dans le civil, celui-ci a été le moteur et la conscience du mouvement surréaliste belge, cultivant volontairement l’anonymat pour rester libre. Sans lui, par exemple, René Magritte (1898-1967) ne serait sans doute jamais devenu l’artiste que nous connaissons. Il concevait le surréalisme comme une attitude de l’esprit bien plus que comme une doctrine. Il incitait ses « complices artistiques » à créer des « objets bouleversants » pour emmener l’homme là où il n’a jamais été, à éprouver ce qu’il n’a jamais éprouvé et à penser ce qu’il n’a jamais pensé. Et, en passionné des échecs, il planifiait ce saut dans l’inconnu comme une action cadrée et préméditée, non comme un ressort de l’inconscient. C’est par une série de tracts anonymes imprimés sur des papiers de couleur que Nougé a lancé en novembre 1924 le mouvement qui connaîtra une longue vie et plusieurs générations. C’est tout cela que le visiteur peut découvrir dans cette exposition foisonnante, riche de 280 pièces. « Histoire de ne pas rire. Le surréalisme en Belgique » s’ouvre sur des courants esthétiques comme dada et le constructivisme qui ont fourni aux surréalistes un terrain d’expérimentation pour transformer le monde. Des années plus tard, Magritte confiera que la vision d’une reproduction du Chant d’Amour de De Chirico avait changé durablement sa manière de peindre et de voir le monde. Les surréalistes belges ne resteront jamais campés sur leur pré carré et entretiendront des liens enrichissants avec des artistes internationaux comme Joan Miró, Salvador Dalí ou Max Ernst, représentés par des œuvres d’envergure.

Mais il n’y a pas que Bruxelles. À La Louvière, dans le Hainaut, naît en 1934 un groupe surréaliste dont les statuts prévoyaient de « forger une conscience révolutionnaire et de participer à l’élaboration d’une morale prolétarienne », organisant en 1935 la seconde exposition internationale surréaliste. Si les ambitions politiques se sont peu à peu étiolées, de belles individualités ont émergé. Il y a les étranges dessins de l’autodidacte Armand Simon qui a pris la plume après la lecture des Chants de Maldoror (Lautréamont) ou les collages du photographe Marcel Lefrancq.

C’est pendant et après la guerre que Magritte va s’écarter de son style habituel avec d’abord sa période Renoir ou « en plein soleil », reprise pour le visuel de l’affiche de l’exposition, et surtout, la période « vache », une série de vingt-cinq toiles réalisées en quelques semaines pour une exposition parisienne en 1948, et qui gardent aujourd’hui toute leur force et leur explosive dérision.

Les femmes réhabilitées

Pour battre en brèche l’idée que le groupe surréaliste serait un club exclusivement masculin, l’exposition rend justice à Jane Graverol et Rachel Baes, deux artistes longtemps oubliées alors qu’elles ont pris une part active dans le mouvement surréaliste bruxellois. Visuellement proche de Magritte, Graverol peint souvent la femme, jouant du paradoxe de la voir libre de son corps et enfermée dans des cages à oiseaux pour mieux s’offrir aux regards.

Marcel Mariën (1920-1993), Le Tao, 1976, assemblage, Charleroi, Collection de la Province de Hainaut, dépôt au BPS22. © Fondation Marcel Mariën - L’activité surréaliste en Belgique © Adagp Paris 2024
Marcel Mariën (1920-1993), Le Tao, 1976, assemblage, Charleroi, Collection de la Province de Hainaut, dépôt au BPS22.
© Fondation Marcel Mariën - L’activité surréaliste en Belgique
© Adagp Paris 2024

L’univers de Rachel Baes est plus grinçant, de petites femmes-enfants émergent de souvenirs enfouis englués dans des couleurs ternes, prêtes à basculer dans le vide ou à s’adonner à de curieux jeux de tête en attendant le Prince charmant. Contrairement à ce qui s’est passé en France, le mouvement surréaliste en Belgique n’a jamais signé sa dissolution. Dans la dernière partie, le visiteur peut visionner le formidable film de Marcel Mariën, tourné en 1959 et intitulé L’Imitation du cinéma, où un jeune homme, incarné par Tom Gutt, cherche à mourir crucifié comme le Christ. Et comme le surréalisme belge, il ne parviendra pas à mourir.

Le surréalisme, une attitude, décidément

Les Musées royaux des beaux-arts de Belgique (MRBA), de leur côté, accueillent la première étape d’une exposition itinérante conçue en étroite collaboration avec le Centre Pompidou, qui après Bruxelles posera ses œuvres à Paris, Madrid, Hambourg et enfin Philadelphie (Pennsylvanie). Chacune des étapes de « Imagine ! 100 ans de surréalisme international » sera l’occasion d’apporter un éclairage singulier sur ce mouvement qui a profondément marqué l’art du XXe siècle.

Avant le surréalisme, Bruxelles a été un des berceaux du symbolisme. Les passerelles et les similitudes sont nombreuses entre les deux mouvements, à travers les thématiques du rêve, de l’inconscient, de la transgression, la référence aux mythes, les paysages oniriques, ou encore les représentations codées. « Les pionniers du symbolisme en Belgique n’ont pas seulement joué un rôle de premier plan à leur propre époque, dans le sillage de la littérature, ils ont transmis à la génération suivante de surréalistes un arsenal d’images, d’idées et d’inspirations», précise Francisca Vandepitte, commissaire de l’exposition et conservatrice de la collection d’art moderne aux MRBA. Magritte se retrouve ainsi aux cimaises en excellente compagnie, avec William Degouve de Nuncques (1867-1935) ou Jean Delville (1867-1953). Plus loin, c’est une Méduse emplumée endormie de Fernand Khnopff (1858-1921) qui tourne le dos à celle de Leonor Fini (1907-1996). Dans une scénographe plus classique et aérée, « Imagine ! » multiplie les compagnonnages entre des œuvres qui ne se connaissaient pas.

Dotée de textes de médiation réduits au minimum, l’exposition fait confiance aux visiteuses et visiteurs pour tirer les fils et trouver les parallèles et les différences par un jeu d’associations libres entre tous les artistes de cette galaxie internationale. Conformément aux propos de Paul Nougé, le surréalisme apparaît dès lors plus comme une attitude que comme une méthode et une doctrine.

Le parcours se déploie en diverses thématiques ouvertes et généreuses qui permettent bien des rapprochements : ainsi la nuit, la forêt, les paysages mentaux, la métamorphose, la chimère, le rêve et le cauchemar ou encore les larmes d’Éros.

Paul Delvaux (1897-1994), Pygmalion, 1939, huile sur toile, 117 x 148 cm. © Foundation Paul Delvaux, Sint-Idesbald © Adagp Paris 2024
Paul Delvaux (1897-1994), Pygmalion, 1939, huile sur toile, 117 x 148 cm.
© Foundation Paul Delvaux, Sint-Idesbald
© Adagp Paris 2024

Dans ce grand jeu de dominos ou de cadavres exquis, on ne s’étonnera pas de trouver, aux côtés des Ernst, Dalí, Magritte, Paul Delvaux et Yves Tanguy, des œuvres de Paul Klee ou même Picasso et Jackson Pollock. Sans être surréalistes, ces artistes ont posé sur le paysage artistique des balises et des limites qui enrichissent le regard sur l’expérience surréaliste.

La belle surprise de cet accrochage sans limites et sans frontières, c’est de sortir de l’ombre des créateurs peu ou moins connus et singulièrement des femmes comme l’Allemande Unica Zürn (1916-1970) et Judit Reigl (1923-2020), Française d’origine hongroise, ou encore Suzanne Van Damme (1901-1986) et la Danoise Rita Kernn-Larsen (1904-1998).

Puisqu’il faut bien une fin, le parcours s’achève dans le cosmos avec Naissance d’une galaxie, une œuvre quasi abstraite réalisée par Max Ernst en 1969, l’année où le mouvement surréaliste parisien cesse officiellement d’exister.

Histoire de ne pas rire. Le surréalisme en Belgique,
jusqu’au 16 juin, Bozar/Palais des beaux-arts, rue Ravenstein 23, Bruxelles.
Imagine ! 100 Years of International Surrealism,
jusqu’au 21 juillet, Musées royaux des beaux-arts de Belgique, rue de la Régence 3, Bruxelles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°629 du 15 mars 2024, avec le titre suivant : Il était deux fois le surréalisme

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