Livre

Paul Nougé, la poétique de la ruse

Un essai biographique sur un artiste majeur du Surréalisme belge

Par Michel Draguet · Le Journal des Arts

Le 1 mai 1995 - 480 mots

À travers des documents parfois inédits, l’essai biographique qu’Olivier Smolders consacre à Paul Nougé (1895-1967) précise la situation d’un artiste majeur dans l’histoire du Surréalisme belge, qui a tout fait pour que son nom s’efface des mémoires.

Au fil du texte, Paul Nougé apparaît tel un perpétuel clandestin qui, récusant le carriérisme littéraire, refuse de publier. Constamment en retrait, le poète s’est imposé dans un réseau d’amitiés complices qui ont fini par constituer le Surréalisme bruxellois, avec Magritte, Mesens, Souris, Goemans, Lecomte, Scu­tenaire, Hamoir ou Marïen. Méfiant, sinon hostile, envers le Surréalisme parisien, Nougé s’est imposé non seulement comme un chef de file, mais aussi comme un théoricien du Surréalisme.

On regrettera que l’auteur passe trop vite sur certains aspects essentiels de la pensée de Nougé. Ainsi, l’épisode de la revue Correspondance méritait davantage d’attention, car on y retrouve cristallisés les éléments majeurs d’une stratégie de la ruse, qui n’opte à aucun moment pour la grandiloquence chère à Aragon ou Breton. Au contraire, Nougé y développe avec une cohérence et une lucidité extrêmes un travail de “minage de quelques lieux communs”. Sans quitter l’univers bourgeois auquel il appartient, Nougé sape les fondements d’une culture matérialiste qu’il honnit, tant politiquement qu’intellectuellement.

À ce titre, les conflits qui opposeront sans cesse Nougé et Breton méritaient d’être approfondis en termes de “suffisance parisienne” (Nougé) et de “provincialisme” (Breton). Le sens de la révolution s’esquisse dans ce clivage, qui éclatera en 1932 lors de l’affaire Aragon. Pour Nougé, l’œuvre n’est rien en soi. Seul l’acte compte. L’écriture n’en est qu’une forme d’expression : “Je suis ce que je fais, je vaux selon mes actes, je suis un acte”, déclare-t-il dans Des mots à la rumeur d’une pensée oblique.

Le travail de Magritte et l’ascendant intellectuel qu’exercera Nougé sur le peintre sont connus. La pensée de ce dernier s’est mise en image chez Magritte, et ses postulats moraux consacrent la dérive d’un langage désormais artificiel. Le poète dévoile le mystère à travers des voiles dont l’efficacité repose précisément sur leur capacité à singer le réel. Nougé en témoigne en 1930 avec les travaux photographiques de la Subversion des images.

L’ouvrage d’Olivier Smolders cite nombre de personnalités majeures de la scène artistique bruxelloise des années vingt à soixante. La figure du jeune Broodthaers y apparaît sous un jour singulier : proxénète-escroc-cambrioleur. Les chapitres consacrés à l’après-guerre permettent de saisir le climat d’une époque qui assiste progressivement à l’effondrement des valeurs auxquelles Nougé adhérait. On regrettera que l’éditeur ait jugé inutile de doter les titres de sa collection d’un index qui permettrait une consultation aisée. L’auteur, pour sa part, a reconstitué une trame factuelle complexe. Sans doute devra-t-il désormais approfondir ce qui a été mis à plat. Ne serait-ce que pour faire mentir Nougé, puisque son passage à la postérité semble désormais inévitable.

O. Smolders, Paul Nougé, Écriture et caractère, Bruxelles, Labor (Archives du futur), 850 FB.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Paul Nougé, la poétique de la ruse

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