Art moderne

XIXE SIÈCLE

Huysmans dans son jus

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 26 janvier 2021 - 521 mots

STRASBOURG

Le volet strasbourgeois de l’exposition consacrée à Joris-Karl Huysmans restitue bien l’univers du critique.

Strasbourg. Qui connaît vraiment Joris-Karl Huysmans (JKH, 1848-1907) ? Sans doute pas le visiteur du volet parisien de cette exposition-dossier, resté sur sa faim à la sortie du Musée d’Orsay l’an dernier, perplexe devant une scénographie abstraite et muette peu à même de raconter cet écrivain complexe (lire le JdA no 536, 3 janvier 2020). C’est à Strasbourg qu’il faut aller (si l’exposition survit au confinement) pour en savoir plus sur l’auteur d’ À rebours. Estelle Pietrzyk, la directrice du Musée d’art moderne et contemporain, aidée du professeur de littérature Robert Kopp, spécialiste de l’écrivain, n’a pas hésité à accumuler objets, œuvres d’art et documents (plus de 500 contre moins d’une centaine pour Orsay) afin de décrire l’univers de Huysmans, réussissant fort bien à reconstituer l’atmosphère surchargée de l’époque.

Du Salon au monastère

Tout complexe qu’il est, Huysmans laisse voir l’évolution de ses centres d’intérêt à travers la chronologie de ses écrits qui suivent une progression linéaire. Une aubaine pour les scénographes. Ainsi la salle introductive illustre les premiers textes de JKH – des poèmes – avec force bibelots, drageoirs en cristal, sonnettes de table, bonbonnières. Ici, la correspondance est plus symbolique que réelle.

Ce qui n’est pas le cas de la salle consacrée à ses commentaires du Salon. Les tableaux y sont à touche-touche, comme à l’époque, et la conservatrice et commissaire confronte quelques-unes des œuvres vomies par le critique, ainsi La Naissance de Vénus par Bouguereau, aux peintures de Degas ou Caillebotte que le même soutient fermement.

Plusieurs espaces sont naturellement réservés à son œuvre phare (À rebours, 1884 ), qui lui a valu jusqu’à aujourd’hui l’étiquette de « décadent », bien loin de celle de promoteur de l’art indépendant et naturaliste (des vocables plus utilisés à l’époque que celui d’« impressionnisme »). Faisant fi par avance et avec raison d’un procès en littéralité, Estelle Pietrzyk a rassemblé de nombreux objets qui auraient pu décorer la maison de Des Esseintes, le personnage principal du roman inspiré par le comte Robert de Montesquiou. Objets précieux, tapisseries, papiers peints, mais aussi illustrations ou faïences prenant pour motif faune et flore quand, en cette fin du XIXe siècle, la nature imitée séduit davantage que la nature réelle, peuplent ces cabinets de curiosités. Ici The Unrully Collection, de l’artiste contemporain Mark Dion (un faux cabinet de curiosités !), trouve naturellement sa place, comme ce dispositif olfactif qui permet aux visiteurs de sentir les parfums de l’époque. Tout est en abondance, décoratif, oppressant, capiteux, comme l’étaient les maisons bourgeoises au tournant du siècle. En revanche, bien peu de ces maisons ont accroché sur leurs murs des gravures ou tableaux d’Odilon Redon ou de Félicien Rops que Huysmans affectionnait et qui sont bien présents dans l’exposition.

Le (petit) fonctionnaire au ministère de l’Intérieur s’engage alors dans une voie qui le conduit de l’étrange à une recherche de spiritualité puis finalement au catholicisme qu’il embrasse avec la force des nouveaux convertis, devenant même oblat. Sur le plan artistique, cette conversion accompagne sa découverte des cathédrales, du retable d’Issenheim et des peintres « primitifs », soit autant d’illustrations qui remplissent la dernière salle.

L’œil de Huysmans : Manet, Degas, Moreau…,
initialement jusqu’au 7 février, Musée d’art moderne et contemporain, 1, place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°559 du 22 janvier 2021, avec le titre suivant : Huysmans dans son jus

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