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Auguste Herbin - Pour une réalité nouvelle

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 26 octobre 2010 - 1212 mots

PARIS

Trop souvent méconnue, l’œuvre d’Auguste Herbin (1882-1960) est en quête d’une forme abstraite, géométrique et colorée qui a grandement contribué à façonner tout un pan de la modernité. Elle est à (re)découvrir à la galerie Lahumière, à Paris.

Il ne peut exister aucune œuvre d’art qui ne soit, à un degré quelconque, en rapport avec la nature extérieure ou intérieure. Les degrés de ces rapports sont nombreux et variés. Depuis la reproduction fidèle, strictement et immédiatement objective, superficielle, jusqu’aux interprétations et transpositions les plus libres, jusqu’aux déformations les plus caricaturales, il existe une infinité de nuances. » Paru en 1949, L’Art non figuratif non objectif qu’Auguste Herbin publie à l’âge de 67 ans le place dans le droit fil des théoriciens de l’art abstrait que sont Kandinsky et Mondrian.

Dans le sillon des avant-gardes
Originaire du Nord, né en 1882 à Quiévy dans le Cambrésis, mort à Paris en 1960, Auguste Herbin compte parmi les grandes figures de l’art moderne, versant abstraction colorée et construite. Après des études à l’école des Beaux-Arts de Lille, il commence une carrière marquée par le post­impressionnisme pour traverser le fauvisme puis le cubisme et trouver finalement dans le géométrisme les termes d’une identité et d’un style propres.
Si ses premières peintures témoignent du souci de rendre compte d’une atmosphère – Paysage nocturne (1900) –, le jeune artiste affirme très vite son intérêt pour un usage plus tranché de la couleur – Portrait de Kurt Muhsam (1907). Installé à Paris au Bateau-Lavoir en 1909, il contribue au développement synthétique du cubisme, traitant les sujets dont il s’empare par l’emploi d’aplats juxtaposés caractéristique de la troisième période du mouvement. Il fait alors sa première exposition d’importance à la galerie Clovis Sagot (1913) puis signe un contrat d’exclusivité avec Léonce Rosenberg (1916).
Si son Grand Arbre déraciné (1913) et sa Maternité (1917) souscrivent encore à l’ordre d’une figuration, tout comme les paysages qu’il réalise à Céret où il séjourne à plusieurs reprises dans les années 1910, ils n’en relèvent pas moins d’une géométrie abstraite qui préfigure la direction du travail à venir.
Il lui faudra toutefois attendre quelques années avant de se débarrasser complètement d’une référence au réel, comme le montre ce Paysage à la maison rouge (1925) dont les lignes tirées au cordeau déterminent tant des motifs parfaitement repérables que des formes indéfinies. À la pratique de la peinture, Herbin ajoute celle de reliefs et de sculptures en bois peint dans le but de renouveler les instances du cubisme par la création d’un art décoratif et monumental.

Le passage à l’abstraction pure
Influencé par la lecture des écrits de Theo Van Doesburg, l’artiste se donne par la suite les moyens d’une réflexion théorique fondée sur l’utilisation de la couleur comme élément de construction et prend part au débat qui oppose la critique du rationalisme au surréalisme émergeant. En 1927, Auguste Herbin s’inscrit définitivement du côté de l’abstraction géométrique pure et dure.
Fondateur du Salon des Surindépendants, il s’impose dès lors comme l’homme d’orchestre avisé de l’avant-garde, appréhendée dans une perspective historique du fauvisme au cubisme puis à l’abstraction. En février 1931, alors que le groupe « Cercle et Carré », créé par Torrès-Garcia et Michel Seuphor à l’automne 1929, éclate à la suite de toutes sortes de mésententes, Auguste Herbin crée avec Georges Vantongerloo « Abstraction-Création ». Il reprend à son compte les idées de Van Doesburg exprimées dans son Manifeste de l’art concret et défend l’idée d’un art universel, conceptuel, constructif et géométrique face au surréalisme et à l’académisme naturaliste. Le groupe fédère nombre d’artistes parmi lesquels figurent Hélion, Arp, Delaunay, Kupka, Gleizes, Tutundjian, etc.
Adepte d’une abstraction froide, Auguste Herbin décline au cours des années 1930 une production singulière qui multiplie les figures de volutes et de courbes au sein de Compositions hautement colorées dont les motifs, parfois aux allures anthropomorphiques, semblent quêter après une dimension cosmique. Militant d’un réalisme abstrait-concret, Herbin se montre un artiste ouvert, pragmatique et égalitaire qui s’applique à privilégier l’unicité par rapport à l’unité.
Quoiqu’inscrit au Parti communiste depuis le Congrès de Tours en 1920, l’artiste refuse de soumettre son art à quelque ordre que ce soit. En 1937, à l’occasion de l’Exposition universelle à Paris, il réalise trois grandes compositions monumentales pour le pavillon des Chemins de fer. Son sens du collectif et de la pédagogie trouve à s’y exprimer pleinement.

Création de l’alphabet plastique
Féru d’anthroposophie, Herbin élabore toute une réflexion esthétique autour du concept de réalité nouvelle qui le conduit à créer au début des années 1940 un alphabet plastique, lequel constitue comme son bréviaire. « Au commencement est le verbe. Mon travail commence par le mot, chaque lettre désigne une forme et une couleur, et même une note de musique. » S’il est difficile de ne pas y percevoir l’influence de Kandinsky, il y va d’un éloge de la couleur qui doit surtout à la théorie de Goethe et compose une sorte de code de correspondances entre lettres, formes et couleurs. Ainsi note-t-il : « A rose – cette couleur résultant de l’action des quatre forces éthériques, le rose s’accompagnera d’une forme résultant de la combinaison des formes sphériques, triangulaires, hémisphériques et quadrangulaires. Correspondance musicale : do, ré, mi fa, sol, la, si. »
Cet alphabet plastique détermine la vie de l’artiste jusqu’à son dernier souffle. Il s’accompagne tant de la fondation en 1946 d’un nouveau salon, dit « des Réalités nouvelles », et de la publication deux ans plus tard d’un premier manifeste. Comme l’a écrit son amie et artiste Geneviève Claisse, le concept de réalité nouvelle s’appuie sur un langage géométrique « visant à atteindre – comme le demandait le manifeste de Malevitch et Mayakovskiy – à l’absolu pictural, à la cohésion, à l’unicité, à l’essence plastique où tout est intuition et rien imitation ».
À ce propos, on ne dira jamais assez l’influence qu’a exercée l’artiste au lendemain de la guerre auprès de toute une génération soucieuse de réactiver le principe d’abstraction. Si c’est notamment vers la galerie Denise René qu’il convient de se tourner pour apprécier telle situation, c’est que l’artiste y a trouvé dès sa première exposition, en 1946, le lieu idéal pour s’y exprimer. Quoique paralysé de la moitié de son corps en 1953, Herbin n’a cessé de décliner son art à l’aune de compositions rivalisant en combinaisons colorées. Rythme et mélodie y sont à l’œuvre dans une tentative de mettre au monde une forme de musique picturale.

Autour de l’exposition

Informations pratiques
« Auguste Herbin, une rétrospective », jusqu’au 30 décembre. Galerie Lahumière, Paris IIIe. De 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h 30. Le samedi de 11 h à 13 h et de 14 h à 18 h. www.lahumière.com

Herbin dans les musées français
Le musée Matisse (Cateau-Cambrésis) détient l’une plus importantes collections d’œuvres de l’artiste en France : 64 peintures, dessins, sculptures et gravures ainsi qu’un vitrail ont été donnés par l’artiste à sa ville natale en 1956. Autre lieu cher à Herbin, Céret présente dans son musée d’art moderne cinq œuvres dont des paysages cubistes et une Porteuse de linge catalane représentative de son passage à la géométrisation. Deux travaux de l’artiste sont aussi au musée de Grenoble et un Polychrome de 1920 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°629 du 1 novembre 2010, avec le titre suivant : Auguste Herbin - Pour une réalité nouvelle

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