Bande dessinée

À Angoulême, Lewis Trondheim coche toutes les cases

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 28 février 2020 - 834 mots

ANGOULÊME / CHARENTE

« 2020 Année de la bande dessinée » s’ouvre avec une grande exposition consacrée à cet auteur aussi discret que fécond.

Case tirée de la série Ralph Azham, planche 385. © éditions Dupuis.
Case tirée de la série Ralph Azham, planche 385.
© éditions Dupuis.

« C’est l’histoire d’un type qui ne savait pas dessiner »… Ainsi commence l’exposition consacrée à Lewis Trondheim (né en 1964), prolifique auteur de bande dessinée (180 albums à son actif comme scénariste ou auteur complet), peu connu du grand public mais faisant autorité dans le milieu. En mettant l’accent sur les maladresses de ses débuts, Trondheim espère décomplexer les jeunes auteurs en herbe : ce qui compte, davantage qu’une histoire bien dessinée, « c’est une histoire bien racontée ». Cet incipit modeste permet aussi de prendre la mesure du chemin parcouru en trente ans de création, depuis son premier fanzine amateur Approximate Continuum Comics Institute H3319 jusqu’aux dessins d’observation qu’il s’astreint depuis quelques années à faire le « 15 de chaque mois » et que le visiteur découvre en fin de parcours.

Si elle permet de constater l’affirmation du trait de l’auteur de Lapinot, la progression de l’exposition n’obéit pas à une logique chronologique. Trondheim ayant pour habitude de travailler sur plusieurs projets à la fois, aucun parcours n’aurait en effet pu rendre compte de sa carrière en collant aux dates. C’est donc pour une approche thématique qu’a opté Thierry Groensteen, théoricien de la bande dessinée et commissaire de l’exposition. Les deux complices se connaissent depuis 1987, année où Groensteen organisa à Cerisy-la-Salle (Manche) le colloque « Bande dessinée, récit et modernité », auquel assista Trondheim. « Cinq ans plus tard, nous faisions l’un et l’autre partie des fondateurs de l’Oubapo », rappelle Groensteen dans le livre d’entretiens qu’il a consacré à l’auteur (1). Calqué sur les principes de l’Oulipo, cet Ouvroir de bande dessinée potentielle consistait à fixer des contraintes très strictes aux auteurs, afin de stimuler leur créativité.

Tous les genres

Avant de prendre part à cette période d’expérimentation frénétique, Trondheim publie, aux éditions de L’Association dont il est l’un des cofondateurs, un ouvrage qui, par son inventivité, va faire date pour beaucoup de ses pairs, Lapinot et les carottes de Patagonie (1992). Appolo, scénariste de bande dessinée français, se souvient de sa première impression de lecture, enchanté par « le format, le dessin minimaliste et approximatif, l’ampleur et surtout le plaisir de cette narration ludique, pleine de rebondissements, de chemins de traverse, de raccourcis, d’accélérations ».

Une fois lancé, Trondheim s’essaye à tous les genres : l’autobiographie, à travers plusieurs albums introspectifs (Les Petits Riens où il se représente en homme à tête d’oiseau met en scène sa famille et ses proches) ; la BD jeunesse ; le dessin d’humour – Mister O est son livre le plus populaire à l’étranger, notamment en Asie ; la comédie sentimentale ; le polar ; le récit de cape et d’épée ; l’heroic fantasy ; et même la chronique de mœurs, avec Le Blog de Frantico, du nom de son mystérieux hétéronyme, qui annonçait en 2006 l’ouvrage La Nouvelle Pornographie. Outre de Lapinot, il est le père du Roi catastrophe, de Maggy Carrisson, de Ralph Azham – saga épique dont le 12e et dernier tome est paru en 2019 – et a même publié une série sur les réseaux sociaux, Les Herbes folles, dont le manuscrit complet, courant sur des carnets de Moleskine, est ici présenté sous vitrine.

Mélangeant les plaisirs de la reconnaissance et ceux de la découverte à travers quelques documents rares ou inédits, l’exposition, présentée en grande partie à plat, ménage ainsi des éléments de surprise. L’auteur lui-même s’est amusé à y glisser au dernier moment des blagues sous la forme de vignettes à même les murs. Le président de la République, venu en visiteur officiel dans le cadre de son déplacement à Angoulême, aura peut-être remarqué celle où il est question des droits d’auteur. « Le saviez-vous ? un auteur ne touche qu’un euro de droit sur un album vendu 14 euros. S’ils sont deux, cela fait 50 centimes pour chacun. Sachant que la moyenne de vente d’un album tourne autour de 3 000 exemplaires et qu’un auteur met en environ huit à dix mois pour le faire, calculez ses revenus. » Trondheim est aussi, à sa façon, un auteur engagé.

(1) Entretiens avec Lewis Trondheim, Thierry Groensteen, éd. L’Association, 2020.

Une Fondation pour le 9e art

La Cité. À la recherche de mécènes pour développer ses différentes missions (soutien à la création et aux auteurs, valorisation du patrimoine, développement du potentiel éducatif de la bande dessinée, rayonnement international…) et ses multiples activités, la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image a choisi de se doter d’une fondation, placée sous l’égide de l’Institut de France. « Nous offrons ainsi aux entreprises de se mobiliser sur un projet de territoire », souligne Pierre Lungheretti, directeur général de l’établissement. Ce dernier se félicite par ailleurs que l’année de célébration de la bande dessinée actée par le ministère de la Culture marque, selon lui, un tournant des politiques culturelles publiques. « Il serait souhaitable que la bande dessinée soit enfin intégrée dans les arts visuels afin, par exemple, que l’on prenne mieux en compte son apport esthétique », plaide-t-il.

 

Anne-Cécile Sanchez

Lewis Trondheim fait des histoires,
jusqu’au 10 mai, Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, quai de la Charente, 16000 Angoulême, citebd.org, www.bd2020.culture.gouv.fr

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°539 du 14 février 2020, avec le titre suivant : À Angoulême, Lewis Trondheim coche toutes les cases

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