Histoire

7 clefs pour comprendre Ambroise Vollard

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 31 juillet 2007 - 1311 mots

En ouvrant sa première galerie en 1893, rue Laffitte, Vollard ne sait pas encore qu’il soutiendra les futurs maîtres de l’avant-garde grâce à son style original et sa programmation audacieuse.

Derrière le marchand, un homme du secret
Né en 1866 à Saint-Denis de la Réunion, Ambroise Vollard a gardé de ses origines créoles un refus de l’apparat et une fausse ingénuité. Son enfance stricte, partagée entre cartésianisme et catéchèse, le destinait à une carrière rigoureuse. Il embrasse d’ailleurs le droit à la faculté de Montpellier et prépare sa thèse à Paris. Mais, en chinant chez les bouquinistes, il réalise que l’art l’attire plus que le droit et opte pour le commerce des tableaux.
En 1890, il se met à son compte au pied du Sacré-Cœur avant de gagner la rue Laffitte. Sa galerie devient jusqu’à la Première Guerre mondiale le pivot du marché de l’art parisien. Jouant sur le registre de l’esquive, ce célibataire endurci cultivait le mystère. Tout juste connaît-on sa méfiance à l’égard des institutions, son manque d’assurance trahi par un léger zézaiement et une somnolence chronique.
Même si tous les peintres, de Cézanne à Renoir en passant par Bonnard, se sont ingéniés à le portraiturer, la vision cubiste de Picasso convient sans doute le mieux au mystère de sa personnalité.

Un contexte propice pour un galeriste
Vollard ouvre sa galerie au bon moment. Le système officiel des salons, où se révélait et s’achetait l’art contemporain, bat de l’aile. Ce déclin permet à de jeunes marchands de prendre leurs marques à côté des locomotives que sont Georges Petit et Paul Durand-Ruel, promoteur des impressionnistes. Cette génération joue la carte de l’audace comme Louis-Léon Le Barc de Boutteville qui expose les nabis et le père Tanguy, seul à présenter Cézanne.
À la mort de ces derniers, Ambroise Vollard aura les coudées franches. La rue Laffitte à Paris, où il est installé comme la plupart de ses confrères, à quelques encablures des Grands Boulevards, est alors la principale artère artistique et commerciale.
Contrairement à ses concurrents, qui privilégient le décorum et les espaces élégants, lui se contente d’une vitrine poussiéreuse. Il joue sur le remplissage, les tableaux étant souvent posés à même le sol. Vollard réprouvera toujours le luxe de ses pairs, finissant sa vie dans un hôtel particulier dont il n’occupait que deux chambres !

Très vite, la bosse des affaires
Faute de descendre d’une dynastie de marchands comme Paul Durand-Ruel, Vollard travaille d’abord avec les moyens du bord, sans réelle méthode. Pas assez fortuné pour acheter des tableaux impressionnistes, il expose Armand Guillaumin puis des dessins et esquisses à l’huile d’Édouard Manet achetés à sa veuve. Le succès de l’exposition Manet lui vaudra de rencontrer Renoir et Degas. Il se lie aussi à Maurice Denis qui le présente à ses confrères du groupe Nabi.
Mais c’est surtout en 1894 que sa carrière décolle. Il achète, dans la vente après le décès du père Tanguy, des toiles de Cézanne, Gauguin et Van Gogh à très bas prix. En 1895, Vollard jette un pavé dans la marre en présentant Les Baigneurs au repos (1876-1877) de Cézanne, une œuvre du legs Caillebotte refusée par l’État. En affichant des « artistes maudits », comme Van Gogh ou Gauguin, dont il présente en 1898 le spectaculaire D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?,
il chatouille d’emblée le conservatisme ambiant et se place comme un marchand de l’avant-garde.

La méthode Ambroise Vollard : acheter en nombre
Vollard a brassé large, en jouant toujours la carte du « jeune ». Pour pallier les risques de cet investissement sur les inconnus, il achète et vend régulièrement les grands noms de l’impressionnisme. Si Paul Durand-Ruel noue des contrats d’exclusivité avec ses poulains, Vollard ne le fait que très rarement. On lui connaît un accord passé en 1900 avec Paul Gauguin. Le marchand s’engage à verser à l’artiste une rente de 300 francs par mois et à acheter tous ses tableaux au prix unitaire de 200 francs.
Vollard se mordra les doigts de ne pas avoir cherché une exclusivité pour le travail de Van Gogh, lequel sera capté par d’autres marchands. Sa méthode consis­te plutôt à acquérir des œuvres en bloc pour les revendre ensuite au fur et à mesure que les prix grimpent. En enrichissant son inventaire, Vollard joue la carte gagnante. Et lorsque ses artistes comme Derain ou Picasso le quittent pour Kahnweiler, il n’en est pas affecté outre mesure. Il a compris que le travail de son concurrent ne peut que valoriser son propre stock.

Cézanne, Picasso et les autres…
Le marchand a mis le pied à l’étrier de Picasso qu’il expose alors que celui-ci n’a que dix-neuf ans. Il promeut aussi les artistes fauves, Matisse en tête, mais aussi Mary Cassatt, Émile Bernard ou encore Aristide Maillol. Vollard contri­bue surtout à la notoriété du peintre aixois Paul Cézanne, son artiste fétiche à partir de 1895. Il lui achète d’un coup cent cinquante toiles en précisant : « J’ai risqué gros dans cette affaire : tout ce que je possédais, toute ma fortune y est passée. » Le jeu en valait la chandelle puisque, grâce aux bénéfices des ventes, le marchand peut déménager dans un local plus spacieux, rue Laffitte.
Si l’histoire ne retient que ses réussites, des légions de peintres oubliés ont cependant émaillé ses cimaises comme le Norvégien Edvard Diriks ou le provençal René Seyssaud. Alors que Cézanne lui sera éternellement reconnaissant de son soutien, d’autres artistes lui reprocheront de les exploiter en achetant leurs œuvres à vil prix. Émile Bernard l’avait ainsi baptisé « Vole-art » tandis que Gauguin voyait en lui un « caïman ».

Le goût du livre et de l’estampe
Le nouveau souffle qu’a connu l’estampe au tournant du xxe siècle doit beaucoup à Vollard. Dès 1895, ce dernier commande des lithographies à ses artistes. Il organise régulièrement des expositions d’estampes, installant même une presse dans sa galerie. Il fait aussi intervenir les artistes nabis de la Revue Blanche dans son célèbre Album d’estampes originales.
Après la Première Guerre mondiale, alors qu’il a fermé sa galerie pour ne plus travailler « qu’en appartement », Vollard s’adonne à son activité favorite, l’édition de livres d’artistes. « Il voulait d’un livre qu’il fût le chef-d’œuvre d’un grand peintre », écrivit André Suarès. Le point d’orgue sera sans doute Parallèlement, alliant en 1900 les lithographies de Pierre Bonnard avec les poèmes de Paul Verlaine. En 1939, un mois avant sa mort, il édite une suite de cent gravures, commandées quelques années plus tôt à Picasso sans thème imposé. On y trouve les buveurs de cabaret, un faune dévoilant une femme, mais aussi des portraits du marchand.

Les tribulations de son stock
Comme l’indique Ann Dumas dans le catalogue de l’exposition du musée d’Orsay, Ambroise Vollard a plus accumulé que collectionné. Il a fait des dons mais, méprisant les institutions nationales qui refusèrent le legs Caillebotte, il préféra un musée municipal, celui du Petit Palais.
La dispersion de son stock à sa mort, en 1939, s’avère hautement rocambolesque. Faute de recensement, il est difficile de dire combien d’œuvres restaient en effet encore dans son inventaire. Beaucoup de pièces semblent avoir été vendues pendant la guerre. Un Yougoslave du nom d’Erich Chlomovitch en a même emporté en Yougoslavie. Il en perdit en cours de route avant de se faire tuer par les nazis.
Les trois cent soixante œuvres restantes sont aujourd’hui conservées au Narodni muzej de Belgrade. Un autre noyau ayant quitté la France illégalement fut placé sous séquestre au Canada avant d’être en grande partie dispersé. Si ses œuvres ont quitté l’Hexagone, ses archives furent quant à elles acquises par l’État par dation en 1989.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « De Cézanne à Picasso, chefs-d’œuvre de la galerie Vollard », jusqu’au 16 septembre 2007. Commissaire”‰: Anne Roquebert. Musée d’Orsay, 62, rue de Lille, Paris. Métro”‰: Solférino. RER”‰: Orsay. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 9”‰h”‰30 à 18 h, le jeudi jusqu’à 21”‰h”‰45. Tarifs”‰: 7, 50 € et 5, 50 €. Tél. 01”‰40”‰49”‰48”‰14, www.musee-orsay.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°593 du 1 juillet 2007, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre Ambroise Vollard

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