Design - École d'art

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À Saint-Étienne, le « gâchis » de la Cité du design

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2022 - 1062 mots

SAINT-ÉTIENNE

La Cité du design stéphanoise est plongée dans une crise après le départ de son directeur, des pertes financières importantes et un signalement pour détournement de fonds.

La Cité du design de Saint-Etienne. © C. Pirot, 2015
La Cité du design de Saint-Etienne.
© C. Pirot, 2015

Saint-Étienne (Loire). 2022 aurait pu être une année faste pour la Cité du design de Saint-Étienne : une 12e Biennale internationale du design qui, pour la première fois, se déroulait pendant trois mois ; la confirmation de l’implantation d’une « galerie nationale du design » sur le site, et la mise sur les rails du projet d’aménagement urbain « Cité du design 2025 ». C’est le scandale qui rattrape finalement l’établissement public géré par la métropole stéphanoise, avec la révélation d’un déficit de 1,4 million d’euros à la mi-octobre, la démission de son directeur Thierry Mandon dès le lendemain – pour « des raisons strictement personnelles », précisera-t-il – et finalement un signalement pour détournement de fonds fait au procureur de Saint-Étienne par le président de la Cité, l’élu Marc Chassaubéné.

Adjoint chargé de la culture à la Mairie de Saint-Étienne et vice-président de la métropole, ce dernier n’a pas hésité à parler de « dérapage » peu avant le signalement, effectué le 8 novembre. Si la métropole avait rapidement pris la décision de combler le trou budgétaire découvert durant l’été, c’était à la condition d’un audit précis des comptes de l’établissement public de coopération culturelle (EPCC), dont les premiers résultats mettent en cause la gestion de son directeur, Thierry Mandon. Ce dernier s’est dit « surpris » du signalement pour détournement de fonds – qui concernerait quelques dizaines de milliers d’euros – et a confié à l’AFP n’avoir pas été interrogé dans le cadre de cet audit. Quelques jours après sa démission de la direction de la Cité du design, l’ancien député et secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur était nommé à la tête du tout nouveau « Conseil national du commerce ».

Absence de « business plan »

La confiance régnait pourtant entre le directeur, arrivé en 2018, et Gaël Perdriau, maire (Les Républicains) de Saint-Étienne et président de l’EPCC jusqu’en septembre 2020, puis son successeur à cette dernière fonction Marc Chassaubéné. Ses qualités d’administrateur laissent alors à penser que Thierry Mandon saura donner à l’établissement une autonomie financière. À cet effet, celui-ci crée à la fin de l’année 2019 une filiale de droit privé, Cité Services, permettant à la Cité du design de vendre son expertise. « La bascule arrive avec la création de la filiale, se souvient Marc Chassaubéné. Elle correspondait à une commande politique, qui exigeait de trouver un modèle économique. Mais le fait que la filiale devienne prestataire pour des prestations techniques de montage, pour des expositions de l’EPCC, ça sort du cadre de cette commande. »

Bien loin d’abonder le budget de la Cité du design, la filiale puise dans les fonds de l’EPCC pour se financer, avant de faire de sa maison mère son principal client : des prestations auparavant réalisées en interne sont désormais commandées à Cité Services. « Au sein de l’établissement, nous avions l’impression que cette filiale prenait la place de certaines activités de la Cité, explique un délégué syndical de Force ouvrière. En tant que membres du conseil d’administration, nous [délégués syndicaux] étions très réticents quant à sa création ; il n’y avait pas de visibilité, pas de “business plan”, que nous avions pourtant demandé plusieurs fois. Il n’y a jamais eu de réponses précises. » Dans un rapport d’observation, la chambre régionale des comptes de la région Auvergne-Rhône-Alpes faisait la même observation : « L’absence de données précises sur le plan d’affaires […] et donc sur les conditions de l’équilibre économique et financier de la filiale, pourtant nécessaires à la décision de création, constitue une prise de risque financier importante pour l’EPCC au-delà de la seule perte du capital initial. » Malgré ces alertes, la filiale est maintenue, avec la bénédiction de la métropole.

Les prestations de la filiale ne sont pas le seul problème : un agent de l’EPCC s’étonne ainsi de la facture à six chiffres consacrée à un simple échafaudage-îlot de fraîcheur qui tirait grise mine entre le bâtiment de l’horloge et les ateliers de la manufacture durant la dernière édition de la biennale internationale. « Un très bon exemple, appuie Marc Chassaubéné. Il y a des coûts qui nous paraissent surréalistes. » Ceux consacrés aux prestations de communication et de conseil, facturés à un compagnon de route de Thierry Mandon, sont également relevés par l’audit.

Un problème qui n’est pas nouveau

Pour le président de l’EPCC, la gestion du directeur démissionnaire et la création de cette filiale sont à l’origine de ce « dérapage », qui a culminé en cette année de biennale. En interne, agents et représentants du personnel ne font pas grief de la situation seulement à Thierry Mandon : « Nous ne voulons pas l’accabler. Cette affaire de gestion, ce n’est pas une affaire neuve, et aujourd’hui Mandon est le responsable. S’il y a détournement, c’est normal que cela soit porté devant la justice, mais ce n’est pas le fond du problème. Le conseil d’administration et la présidence sont aussi comptables des gens qu’ils mettent en place », estime-t-on chez Force ouvrière. Le syndicat s’étonne par ailleurs que la métropole stéphanoise n’ait découvert qu’au mois de juin l’état des comptes alarmant de la Cité.

Pour un ancien administrateur de la Cité du design, qui siégeait au conseil en tant que représentant du personnel, ce risque de dérapage financier était inscrit dans le fonctionnement même de l’EPCC depuis sa création en 2010 : sans budget de fonctionnement propre, l’établissement est financé à coups de subventions votées annuellement depuis une dizaine d’années. « Comment monter quelque chose de sérieux sans budget ?, s’interroge-t-il. On reparle aujourd’hui des coupes de la Région pour expliquer une partie du déficit, mais [Laurent] Wauquiez [son président] avait déjà fait le coup en 2016 : ce sont des situations qui pouvaient être anticipées. »

Dans les statuts, la mission première de l’EPCC demeure l’éducation et l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne. « La structure est bâtarde, l’enseignement est accolé à d’autres objectifs de développement économique. Cela produit de la confusion, on ne sait pas trop ce que l’on fait dans cet établissement, et le conseil d’administration n’a jamais fixé de cap », poursuit cet ancien agent. Pour lui comme pour d’autres, la gestion passée de l’EPCC est un « gâchis » : alors que Saint-Étienne devait conforter sa place de « capitale du design », les errements de sa Cité fragilisent sa position face à la concurrence de Lille ou de la Design Week parisienne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°599 du 18 novembre 2022, avec le titre suivant : À Saint-Étienne, le « gâchis » de la Cité du design

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