Patrimoine

Patrimoine culturel de l’armée

Qu’est-ce qu’être Peintre de l’armée de terre ?

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 26 février 2023 - 1149 mots

Peu connus, les 49 peintres de l’armée de terre constituent un groupe d’artistes aux profils variés,  qui interviennent au croisement de la création et de la communication institutionnelle.

Yong-Man Kwon, Quatre légionnaires, 2018, acrylique sur toile. © Delpat
Yong-Man Kwon, Quatre légionnaires, 2018, acrylique sur toile.
© Delpat

Quel groupe d’artistes peut compter dans ses rangs une artiste qui sculpte des nus féminins, un peintre de miniatures et un photographe aumônier militaire catholique, à part les peintres de l’armée ? Le titre peut induire en erreur, car « les peintres de l’armée sont aussi bien peintres que dessinateurs, photographes, sculpteurs ou même graffeurs », indique la major(r) Catherine Cadieu, référente des peintres à la Delpat (Délégation au patrimoine de l’armée de terre). 

Majoritairement civils, ces artistes au nombre de quarante-neuf produisent des œuvres ancrées dans l’univers militaire bien que la moitié d’entre eux n’aient pas de lien avec l’armée. Ainsi Nadine Enakieff, sculptrice, explique-t-elle ne pas avoir de lien familial avec la chose militaire, sauf « des visites régulières des plages du Débarquement » dans son enfance. Olivier Jarraud, président de l’association des Peintres officiels de l’armée, est officier de réserve, mais il estime que ce n’est pas la source de sa motivation : « J’ai été influencé par mes lectures de [Joseph] Kessel, et une certaine conception de l’aventure. Je ne voulais pas rester peintre de salon. »

Mais comment devient-on « peintre de l’armée » ? Le plus souvent par le bouche-à-oreille, entre artistes : tout commence par une candidature pour exposer au Salon des peintres de l’armée, qui se tient chaque année à l’automne aux Invalides. Catherine Cadieu résume le processus de sélection : « Les artistes présentent une œuvre liée à la thématique du Salon, le jury fait la sélection selon des critères de pertinence par rapport au thème imposé et à la qualité de l’œuvre. » Ce jury est composé de civils et de militaires, dont le général qui dirige la Delpat (le général Jean-Pierre Duplany). Plusieurs artistes en font partie, ainsi que des conservateurs de musée : c’est donc un Salon au fonctionnement classique. À l’issue du Salon, plusieurs prix sont décernés, et « pour devenir peintre agréé il faut obtenir un prix au Salon », précise Catherine Cadieu. Cet agrément, d’une durée de trois ans, est renouvelable deux fois : ensuite l’artiste peut postuler pour devenir « titulaire » à vie. Le processus s’inscrit donc dans la durée.

S’investir et se documenter
Pour la commissaire principale Laetitia [seul le prénom est cité, conformément à la règle, ndlr], au commissariat des armées, autrice d’un mémoire sur les peintres des armées et de la gendarmerie, « c’est un véritable investissement personnel pour les artistes, surtout s’ils se sont présentés sans connaître les détails de ce statut ». Dans la mesure où cette activité n’est pas rémunérée, l’investissement est aussi financier – Olivier Jarraud précise que la plupart de ces artistes ont une autre profession. Il insiste sur « la constance dans le travail artistique en lien avec l’armée, et dans les recherches historiques ». Car si les peintres de l’armée ne sont pas tenus à des œuvres documentaires, « les recherches sur le contexte historique sont nécessaires, notamment pour les portraits de poilus [de 14-18] ou d’officiers », précise Nadine Enakieff. Sa première œuvre présentée au Salon était une sculpture de poilu « dont une moitié était un écorché ». Cette œuvre avait gagné le Prix du ministre de la Défense, Hervé Morin à l’époque, ce qui a permis à l’artiste de court-circuiter le processus de sélection et d’être titularisée rapidement.

Nadine Enakieff, La Défense protégeant le peuple, 2020, bronze, h. 61 cm. © Delpat
Nadine Enakieff, La Défense protégeant le peuple, 2020, bronze, h. 61 cm.
© Delpat

Derrière une apparente rigidité, la Delpat accorde, d’après Olivier Jarraud, une certaine souplesse aux artistes : « C’est assez paradoxal, mais nous avons une grande liberté d’expression, et nous pouvons entrer sur presque tous les sites militaires. » Catherine Cadieu confirme que les artistes présents au sein des régiments ou unités « sont libres de représenter ce qu’ils veulent, les hommes et le matériel, même les forces spéciales, mais avec des restrictions pour raisons de sécurité ». Les peintres de l’armée partent en effet régulièrement en mission, en France et à l’étranger : Olivier Jarraud évoque un séjour au Liban du Sud avec des Casques bleus français qui l’a beaucoup marqué. Il en a rapporté des petits formats enluminés à la manière des miniatures médiévales où soldats des Nations unies et combattants du Hezbollah discutent calmement. Le peintre Yong-man Kwon a également fait un séjour au Liban du Sud, mais ses toiles représentent des blindés marqués du sigle « UN » de l’ONU et des scènes du camp militaire français : chaque artiste choisit son sujet selon sa sensibilité. Surnommé « El Padre », l’aumônier militaire préfère ainsi photographier les hommes au plus près, lors des stages d’aguerrissement, et travaille ses tirages noir et blanc dans de superbes dégradés de gris. Car depuis plusieurs années la photographie a fait son entrée chez les peintres de l’armée, même si la peinture reste majoritaire.

« Servir » pour devise
Les peintres de l’armée de terre se distinguent de leurs collègues des autres armées, selon Olivier Jarraud et la commissaire principale Laetitia, par leur attachement plus fort à l’humain. Cette dernière constate que, « malgré la diversité des profils, ces artistes s’attachent avant tout à représenter les hommes et les lieux, là où les peintres de la marine accordent la priorité à l’environnement marin. Et dans l’armée de l’air, ce sont les aspects techniques qui ont une place prépondérante ». De fait, les portraits sont nombreux parmi les œuvres produites par les peintres de l’armée de terre, que ce soit en peinture, en dessin ou même en gravure sur médaille. Ces derniers sont-ils pour autant des adjoints de la communication de l’armée ? Ils et elles constituent en tout cas un « corps », avec un uniforme lorsqu’ils travaillent en mission, même s’ils n’ont pas de grade. Ils ont un insigne et une devise, « Servir », qui leur donne « cohésion et confraternité », selon Olivier Jarraud, lequel souligne la confiance réciproque qui s’établit avec l’armée.

La Delpat, qui voit dans la production des peintres un outil de communication, a renforcé leur visibilité ces dernières années. Olivier Jarraud évoque « les nombreuses publications, et les magazines sur l’univers militaire » où sont présentées des œuvres des peintres de l’armée. Il relève également une ouverture vers la société civile et la jeunesse : « Il y a une nette évolution, l’armée est désormais perçue comme une entreprise, et les peintres de l’armée participent à son rayonnement. » La Delpat cherche à diversifier les profils des recrues, quitte à démarcher elle-même les artistes : c’est ainsi que le graffeur C215 (Christian Guémy) a été approché directement par la Délégation. La commissaire principale Laetitia estime qu’il faudrait accentuer cette modernisation. Elle suggère d’utiliser plus souvent l’image positive des peintres des armées, en exposant les œuvres au sein des institutions et des bureaux des états-majors : « Louis XIV exposait des tableaux de batailles quand il recevait ses homologues étrangers, pourquoi ne pas faire pareil aujourd’hui ? » Elle ajoute que le processus de recrutement pourrait être simplifié, pour s’éloigner du modèle traditionnel du Salon d’artistes. Et rappelle enfin que « la Delpat dispose de plus de personnel que les autres délégations au patrimoine », et qu’elle devrait donc s’emparer plus facilement de la question du soft power culturel de l’armée.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°605 du 17 février 2023, avec le titre suivant : Qu’est-ce qu’être Peintre de l’armée de terre ?

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