Paroles d’artiste : Michel Blazy - 'Les matières produisent des effets inattendus'

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 février 2010 - 789 mots

Fidèle à ses expérimentations de la matière et à la dimension évolutive de l’œuvre d’art, Michel Blazy (né en 1966) bouleverse les locaux du centre d’art Rurart, installé dans le lycée agricole de Venours, à Rouillé (Vienne).

Vous exposez à Rurart deux installations : l’une faite de concentré de tomates badigeonné sur les murs, l’autre évoquant un aménagement paysager d’où émergent des champignons. Pouvez-vous nous en parler ?
Sur les 300 mètres carrés de murs sont en effet répartis 900 kg de double concentré de tomates sans sel ; il existe le même produit avec du sel, mais ce dernier conserve, alors que le « sans sel » permet de laisser moisir. Dans l’espace se trouvent des constructions rondes qui peuvent faire penser à des ruines et sont faites de briques de culture de pleurotes. Ce sont des briques de paille compactée recouvertes de plastique noir qui produisent du champignon, elles sont donc inoculées de mycélium de pleurote.

Il n’y a rien à faire, et au bout d’une semaine des champignons sortent du plastique et colonisent la brique. La manipulation a donc été très simple, comme un grand jeu de construction. Ce que nous avons eu à faire aussi bien sur les murs que dans l’espace est vraiment un geste à la portée de tous.

Quand vous faites une exposition, pensez-vous la maîtriser, ou, à l’inverse, cette question du contrôle vous est-elle absolument étrangère ?
Il s’agit d’un dialogue avec la matière. Il serait faux de dire que je ne maîtrise pas et faux de dire que je maîtrise. Ce qui m’intéresse c’est de jouer avec ma propre maîtrise des choses, et le fait aussi que, de temps en temps, les matières produisent des effets inattendus. Par exemple, le mur enduit a existé en tout petit dans mon atelier. Quand je décide de le reproduire ici en multipliant par cent les dimensions initiales, il ne va évidemment pas se passer la même chose.

Par ailleurs, on change de taux d’hygrométrie. Beaucoup de choses entrent en jeu, qui font que je ne cherche pas à obtenir une rigueur scientifique avec des expériences produites en atelier qui se répètent. Mon intérêt se porte plus sur la potentialité d’une matière qui va pouvoir produire une chose à un endroit et un moment donnés, et une autre ailleurs à un autre moment ; et de cela, je n’en suis pas maître. Il est certain que je pourrais maîtriser scientifiquement en reproduisant à chaque fois les conditions de l’expérience, mais cela ne m’intéresse pas. C’est un peu comme pour le jardinier, qui a toujours des espoirs et des désirs. Il y a ce que la réalité offre, et ensuite l’accommodement avec à la fois cette réalité, nos espoirs et nos désirs.

On a souvent l’impression dans vos œuvres d’une dichotomie entre le naturel et l’artificiel. Ici, la tomate a un effet de peinture et les briques sont recouvertes de plastique mais il en sort des champignons… Travaillez-vous cet aspect ?
Oui, c’est en effet toujours présent. Si je choisis aussi de travailler avec des matières faites pour la consommation, c’est parce qu’elles ne sont pas pour moi des matières naturelles ; ce sont des matières désignées pratiquement, des produits de la culture. Ce qu’il y a derrière tout cela, c’est peut-être la domesticité et le conflit avec le sauvage, et comment une matière absolument ordinaire peut à un moment donné basculer dans quelque chose qui est pour nous presque inquiétant. Je crois donc que cette dualité entre naturel et artificiel est au service de ce qui produit de l’inquiétude ; c’est-à-dire que toutes ces choses que l’on connaît si bien peuvent soudainement se révéler étrangères.

L’exposition s’intitule « Ex croissance », or il y a toujours dans votre travail une idée d’évolution et de croissance, avec des organismes qui émergent et se développent, à l’instar des champignons et de la moisissure. Pourquoi ce préfixe « ex » cette fois-ci ?
En détachant « ex » et « croissance », il y a une idée d’excroissance, mais le « ex » repose aussi sur l’idée d’une croissance passée. Il y a là l’idée de la ruine et d’un temps qui passe sur les matières, quand celles-ci se retrouvent finalement comme libérées de ce temps, curieusement. Ces produits sont tous initialement faits pour nous alimenter, et il y a peut-être l’idée de les libérer du temps dans lequel ils sont inscrits, c’est-à-dire celui de la consommation et de la productivité. Cela revient à regarder ce qui se passe après la date limite de vente d’un produit.

MICHEL BLAZY. EX CROISSANCE, jusqu’au 25 avril, Rurart, D 150, Lycée agricole Xavier-Bernard, Venours, 86480 Rouillé, tél. 05 49 43 62 59, www.rurart.org, tlj sauf samedi 10h-12h, 14h-18h, dimanche 15h-18h. Catalogue à paraître.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°318 du 5 février 2010, avec le titre suivant : Paroles d’artiste : Michel Blazy - 'Les matières produisent des effets inattendus'

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