Questions à

Nicholas Serota, directeur de la Tate Gallery à Londres

« Provoquer le dialogue critique »

Le Journal des Arts

Le 7 janvier 2005 - 571 mots

 Quelle est, selon vous, la place du Castello di Rivoli dans le paysage international ?
Au cours des trente dernières années, les musées italiens d’art contemporain ont beaucoup souffert de l’instabilité due aux changements trop fréquents de direction et de gouvernement. La force du Castello tient précisément à cela : il bénéficie, avec Ida Gianelli, d’une direction stable, qui lui a permis de monter des programmes cohérents. C’est ainsi que ce musée s’est créé une image bien à lui, qui suscite l’admiration générale. La solidité et la cohérence de ses projets lui ont conféré une grande crédibilité sur la scène internationale, c’est pourquoi de nombreuses institutions étrangères ont choisi de collaborer avec lui. Mais ce n’est pas là l’unique raison de son succès. À l’étranger, on apprécie beaucoup sa volonté de ne pas se limiter aux expositions temporaires mais de créer une collection permanente. Ce processus avait été engagé dès 1984 par le premier directeur du Castello, Rudi Fuchs.

Dans quel sens l’art contemporain a-t-il récemment évolué  ?
Ces vingt dernières années, on a assisté à une forte augmentation de la fréquentation. La place des musées s’en est trouvée changée. Aujourd’hui, ces institutions ont deux responsabilités : la première est la recherche, pour que les expositions soient présentées de façon plus rigoureuse, avec une prise en compte du contexte historique dans lequel évoluent les artistes. C’est le cas de l’exposition actuellement consacrée à Franz Kline à Rivoli (lire l’encadré) : un artiste longtemps ignoré et enfin redécouvert. Mais un musée d’art contemporain a une autre mission, celle de présenter des artistes émergents ou jeunes, souvent en collaboration avec d’autres artistes. Il faut redécouvrir l’importance du point de vue des chercheurs, en contrepoint à celui du marché de l’art. Aux États-Unis et dans certaines villes d’Europe comme Londres, les galeries sont presque devenues des musées, ce qui crée une confusion quant aux objectifs et au rôle de chacun. Le musée doit instaurer une distance critique, particulièrement dans la préparation des catalogues, la rédaction des essais. Le marché ne doit pas être omniprésent, il faut surtout provoquer le dialogue critique.

Que pensez-vous de la collection permanente de Rivoli ?
Cette collection est encore jeune, mais on peut dire d’ores et déjà qu’elle concentre trois types d’œuvres : l’Arte povera, la Transavangarde et les jeunes artistes. Le fait qu’elle soit présentée dans ce bâtiment ancien a un impact très fort sur le visiteur, et c’est en cela qu’elle est véritablement unique, en Italie comme à l’étranger. J’aime la façon dont cette collection évolue, lentement ; chaque fois que je retourne à Rivoli, je retrouve les mêmes œuvres à des endroits différents, c’est à chaque fois une nouvelle  « constellation ». C’est un aspect très attachant de cette collection.

Vous êtes membre du comité de la Fondazione CRT [Fondation de la Caisse d’Épargne de Turin] pour l’acquisition des œuvres destinées à Rivoli et à la Galleria Civica d’Arte Moderna de Turin...
À Turin, la CRT s’emploie à aider la création de collections permanentes. D’ordinaire, les entreprises donnent de l’argent plutôt pour les expositions temporaires. Ces dernières attirent un public plus nombreux, ce qui est bon pour la publicité, mais elles ne durent que trois mois. La CRT, elle, a compris l’importance des collections permanentes pour les musées. En ce sens, son action profite bien sûr aux visiteurs, mais aussi à la ville de Turin, dont le nom se trouve associé aux recherches sur l’art contemporain en Italie.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°206 du 7 janvier 2005, avec le titre suivant : Nicholas Serota, directeur de la Tate Gallery à Londres

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