Loris Gréaud, artiste

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2011 - 1520 mots

À 32 ans, l’artiste Loris Gréaud est partout. Il prépare une exposition de grande ampleur au Centre Pompidou, à Paris.

Prodige ou vampire ? Catapulté très jeune sur la scène française, Loris Gréaud, né en 1979, a eu d’emblée laudateurs et contempteurs. Première critique, sa filiation évidente avec les artistes Pierre Huyghe et Philippe Parreno, mais aussi avec Fabrice Hyber et son aspect entrepreneurial. En véritable Icare, il ne se ménage pas, au risque de se brûler les ailes. « C’est un artiste de l’extrême, il tombe, recommence, retombe, souligne Marc-Olivier Wahler, directeur du Site de création contemporaine au Palais de Tokyo, à Paris. On a beau lui taper dessus, il se relève toujours, comme Fitzcarraldo. » À l’instar du héros du cinéaste Werner Herzog, Gréaud s’est souvent mis en danger pour assumer sa démesure. Hyperactif, perfectionniste, provocateur, viscéralement ambitieux, il en fait trop, tout en produisant peu. Par un concours de circonstance, il est très présent cet été à Venise, au Palais Grassi avec sa forêt calcinée, et à l’exposition « ILLUMInazioni » de la biennale avec un cachalot échoué au bord de la lagune. Il vient aussi de fermer une exposition à la Kunsthalle de Vienne. En mai 2013, il occupera simultanément le Musée du Louvre et le Centre Pompidou, à Paris. Mais, derrière le Rastignac pressé d’atteindre les sommets, se cache un être profondément mélancolique. 

Débordant d’ambition
Un tempérament macéré dans une banlieue pavillonnaire au nord de Paris, contexte bétonné d’une enfance plutôt glauque. De cet environnement naissent à la fois une haine du bourgeois et une volonté d’en découdre. « Je veux avoir l’argent de mon travail. Ce n’est pas l’argent pour l’argent, mais c’est une énergie pour pouvoir faire des choses, déclare-t-il. Claude Berri me répétait : « Sache toujours qui distribue les cartes. » Je veux que ce soit moi. Je suis très ambitieux, mais après, je ne sais pas ce qu’il y a au bout. »  Expulsé de plusieurs établissements, Gréaud s’adonne d’abord à la musique en montant un groupe underground, Triphage, et un label, Sixmengettingsick. Dans la journée, le bagarreur suit une école de dessin technique, participe à un atelier de cinéma expérimental, avant de passer le concours de l’école des beaux-arts de Cergy. Un ethos parfait pour le jeune fou en butte à l’autorité. Alors qu’il était tout juste en deuxième année à Cergy, il participe à l’ouverture du Frac Île-de-France/Le Plateau, à Paris. Deux jours avant de passer son diplôme, il réalise sa première exposition à la galerie parisienne gb agency. « Il en voulait, il n’avait pas peur de parler. Par rapport aux autres étudiants, il était plus déterminé. Il est intelligent, presque trop. C’est un générateur qui a parfois trop d’électricité, qui ne s’arrête jamais », souligne la curatrice Caroline Bourgeois, qui l’expose en 2005 au Frac Île-de-France/Le Plateau.

Adepte de l’univers junky de William Burroughs et pétri de la science-fiction de J. G. Ballard, Gréaud brouille les frontières entre le réel et le virtuel, manie la rumeur, la désinformation et la dissémination. Il produit ainsi Spirit à partir de descriptions olfactives de la planète Mars. Tentant la télétransportation avec Haunted Quantum, il crée aussi des nanosculptures, invisibles à l’œil nu, sous le titre Why is a Raven Like a Writing Desk? À chaque fois, il questionne le statut même de l’objet, puisque la « véracité » de ces œuvres reste invérifiable. « La manipulation l’intéresse. C’est un artiste WikiLeaks, qui démonte les stratégies d’information », constate l’historien de l’art Pascal Rousseau. On peut parfois lui reprocher de façonner des objets trop gadgets et léchés, voire des œuvres aussi insipides que les bonbons sans goût Celador, amorce de son exposition «  Cellar Door «  au Palais de Tokyo en 2008.
Le fait qu’un centre d’art invite un tout jeune créateur à occuper l’intégralité de l’espace soulève d’emblée une levée de boucliers. Il faut dire que l’institution et l’artiste avaient donné des verges pour se faire battre, l’une insistant sur un marketing offensif (29 ans, 4 000 m2), l’autre se prenant, dans le magazine Les Inrocks, pour le Jérôme Kerviel du monde de l’art. « Je suis un irresponsable professionnel, admet Gréaud. On me propose quatre mille mètres carrés, je les prends. Si on demande aux artistes d’être raisonnables, c’est fichu. »

« Dans la surenchère »
D’après ses proches, il affrontera l’épreuve seul, ne bénéficiant d’aucun soutien psychologique ou curatorial de la part de l’équipe du Palais de Tokyo. Pour occuper l’espace, l’artiste propose une sorte de conte musical, mais aussi un palimpseste en rejouant sa précédente exposition au Palais de Tokyo. Les critiques fusent ! On hurlera à l’imposture et à la littéralité, au pillage du répertoire « Huyghe-Parreno-Rondinone ». Dans le quotidien Libération, Gérard Lefort se demande alors « s’il ne s’agit pas tant d’une exposition que d’un étalage, au sens grands magasins du terme, dont Loris Gréaud serait l’ensemblier. » Autrement plus subtile, la curatrice Stéphanie Moisdon-Tremblay pointe du doigt le remake et le sampling, symptômes ou travers de notre époque. «  Si les artistes des années 1990 ont grandi dans la cour de récré des « voleurs de couleurs« de la pub Kodak, Gréaud appartient, lui, à une toute autre promotion, en noir et blanc, qui tait ses origines, qui s’appuie par stratégie, par nécessité de survie aussi, sur l’amnésie volontaire d’un système culturel devenu une industrie, et qui ne redoute rien tant que l’histoire appartient à cette nouvelle aristocratie au teint pâle, qui ne supporte pas la lumière, qui peut lire dans les pensées, qui ne se reflète pas, avec un don certain pour la séduction », écrit-elle sur son blog.

Sauf que Gréaud n’a jamais nié ses références. « Loris absorbe énormément de choses, et brûle aussi ses propres modèles, précise Pascal Rousseau. Là où on voit du plagiat, c’est de l’assimilation. Il y a une différence entre la génération des pères et celle du fils putatif. Ce ne sont pas les mêmes vitesses. Celle de Gréaud s’est accélérée. Cela a fait peur aux thuriféraires de la génération des pères, qui ont eu l’impression que leur travail d’implantation a brûlé en trois secondes. Loris a une énergie qui détruit, qui dépense. Ce n’est pas celle de la génération précédente qui était plus cérébrale et plus paresseuse. « Si la controverse l’a un temps abattu, l’artiste en joue beaucoup aujourd’hui. « J’excelle à emmerder les cons, je suis dans la surenchère, reconnaît-il. Ma vraie culture, c’est la révolution électronique, mettre le bordel, créer la polémique. »

Depuis, il s’est toutefois fait rare dans les expositions personnelles ou de groupe. Il n’en a pas moins chaussé des bottes de sept lieues, en rejoignant la galerie Yvon Lambert à Paris, puis The Pace Gallery, la puissante enseigne new-yorkaise. Il figure même dans les collections des hommes d’affaires François Pinault et Bernard Arnault. Le double projet concocté pour le Centre Pompidou et le Musée du Louvre promet d’être encore plus pharaonique que celui du Palais de Tokyo. Dans le même temps, il travaille avec le MIT de Boston sur un concert du groupe de rap Anti-Pop Consortium projeté dans les profondeurs à destination des poissons. 

Angoissé
Bien qu’on en ait fait un suceur de sève, Gréaud reste bien souvent exsangue après un projet. Angoissé, il connaît des hauts et des bas. « Il est à fleur de peau, il peut être euphorique puis déprimé. Il est torturé et ça fait partie de ses ressorts », indique le collectionneur Steve Rosenblum. Bien que plus à l’aise financièrement, Gréaud ne décolle pas de sa banlieue, où il a bâti un grand atelier. « J’aime l’ idée de la périphérie, l’esthétique de la banlieue, le béton. C’est ma base « explique-t-il. Avec le temps, il semble s’être délesté de toute morgue, voire de toute rage. «  Au début, il fallait le calmer, c’était un cheval qui voulait aller vite et avaler le monde. Il gère mieux les choses, fait moins de productions, mais plus précises », remarque Olivier Belot, directeur de la galerie Lambert. Ne risque-t-il toutefois pas d’exploser en vol ? « Si c’était une comète, il serait déjà mort. Il va durer, affirme Caroline Bourgeois. Il n’a pas d’échelle, pas d’économie. Il risque sa vie, sa maison, il y a une démesure. Il a déjà beaucoup vécu pour quelqu’un de son âge. » « Avec « Cellar Door » il a laissé beaucoup de plumes, dépensé beaucoup d’argent personnel, il est allé très loin, il a éprouvé ses limites physiques et morales, renchérit Pascal Rousseau. Il est revenu, comme un phénix. Il sait mieux gérer son énergie et va vers une meilleure diététique personnelle. Parmi la jeune génération actuelle, c’est le plus habité, alors qu’il donne l’impression d’être dans la désinvolture. »

LORIS GRÉAUD EN DATES

1979 Naissance à Eaubonne (Val-d’Oise).

2005 Exposition « Silence goes more quickly when played backwards » au Frac Île-de-France/Le Plateau, à Paris. Obtient le prix Ricard.

2008 Exposition « Cellar Door » au Palais de Tokyo, à Paris.

2010 Participation à la Biennale de Venise (jusqu’au 27 novembre), et à l’exposition « Le monde vous appartient » au Palais Grassi à Venise (jusqu’au 31 décembre).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°349 du 10 juin 2011, avec le titre suivant : Loris Gréaud, artiste

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