Rétrospective

Linder - En panne d’inspiration

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 26 février 2013 - 785 mots

Pourtant vigoureux, le travail de Linder présenté au Musée d’art moderne de la ville de Paris ne parvient plus à dépasser le stade de son énergie fondatrice.

PARIS - Arpenter les salles circulaires de l’ARC à l’étage du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, où est présentée une rétrospective consacrée à Linder, finit par éveiller la fâcheuse sensation de tourner en rond, à l’instar d’un disque rayé. L’analogie musicale est aisée avec qui a fait ses débuts à Manchester, dans une Angleterre en pleine dépression industrielle, et dès 1976 embrasse la vague punk et la révolte qui l’accompagne, fondant deux ans plus tard son propre groupe, Ludus.

En 1982, l’artiste se livra à un concert mémorable apparaissant vêtue d’une robe faite de viande et pattes de poulet. La trajectoire féministe et contestataire prend, en 1977, le visage d’un fer à repasser, avec une hybridation stupéfiante devenue iconique et fondatrice d’une démarche qui va s’ingénier à démonter par l’image tout ce que la domination masculine impose aux femmes de comportements, d’usages ou de paraître codifiés : une femme en plein déhanchement, les bras levés, s’offre sur la pochette de l’album Orgasm Addict du groupe Buzzcocks avec les seins ornés de bouches largement ouvertes et la tête remplacée par… un fer à repasser donc.

Ainsi va Linder – Linda Mulvey de son vrai nom – qui, après avoir laissé traîner son objectif dans un club de travestis mancunien pour en rapporter une série de clichés témoignant plus de liberté que d’exubérance (We are the kind of people who know the value of time, 1976-1977), se lance dans le collage au scalpel. Avec un principe simple : deux piles de magazines, pour hommes d’un côté, féminins de l’autre, où elle découpe puis assemble des motifs qui, avec un sens certain de la composition et du symbole, pointent sans détours l’aliénation féminine au quotidien, à travers la sexualité ou les taches ménagères notamment. Ces images sont très efficaces. Ainsi ce couple dénudé qui, jouant avec les attributs l’un de l’autre, se saisit respectivement d’un aspirateur et d’un boîtier électronique tandis que leurs têtes sont remplacées par des téléviseurs : vous avez dit aliénation ? Ces « accouplements » – tels que les définit l’artiste – visiblement incongrus, mais socialement révélateurs, s’enchaînent à force d’électroménager, de fleurs ou de gâteaux apposés ici et là et plaçant finalement le corps féminin dans une autre forme d’adversité tout en insistant sur un brouillage généralisé des identités. Ces préoccupations trouvent d’autres débouchés, notamment dans une série d’étranges masques confectionnés en 1977 avec de la lingerie et mélangeant des attributs féminins et masculins.

Un esprit qui s’essouffle
L’ennui est que cette énergie rapidement tourne en rond et que jamais ne se renouvelle vraiment ni le propos ni l’aspect visuel de l’œuvre de Linder qui, évolution technologique oblige, abandonne finalement le collage-papier pour le montage Photoshop et le tirage numérique. Mais s’intéresser récemment à la pornographie « gay » ou à l’imagerie homo-érotique ne change pas grand-chose au fond de la démonstration initiale ; non plus que de travailler sur des photos zoophiles, avec notamment une série de clichés où des serpents sont utilisés comme accessoires sexuels.

Le catalogue est à cet égard symptomatique, au demeurant remarquablement conçu à la manière d’un magazine alternant des papiers de qualités différentes, où les œuvres ne sont ni légendées ni surtout datées et qui ont toutes à peu près la même allure des années 1970 ou 1980, y compris les plus récentes… réalisées une trentaine d’années plus tard ! Le Revolutionary Hardcore de 2010, avec de nouveau des femmes objets en situation sexualisée et partiellement couvertes, une fois encore, de pâtisseries n’est plus vraiment révolutionnaire ni ne fait trop d’effet. Seule une série de grands tirages inscrits dans des boîtes lumineuses et exécutée en 2011 retient l’attention parmi le travail contemporain, où les photos tirées de revues X, en plus d’insister sur un comportement assez bestial des hommes, sont soumises à des déformations qui les rendent à la fois attirantes et repoussantes.

Linder

Commissaire : Emmanuelle de l’Ecotais
Nombre d’œuvres : environ 200

Biographie

1954 Naissance à Liverpool.

1976 Réalise le collage Orgasm Addict pour la pochette du disque des Buzzcocks.

1978 Elle fonde son groupe punk Ludus.

1997 Exposition « What Did You Do in the Punk War Mummy ? » à la galerie Cleveland à Londres.

2010 Exposition collective « I’m a Cliché, Echoes of Punk Aesthetic » aux Rencontres d’Arles.

2013 Vit et travaille à Heysham en Angleterre.

LINDER. FEMME/OBJET

jusqu’au 21 avril, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h. Catalogue éd. Paris Musées, 112 p., 24 €

Légende photo

Linder - Sans titre (1977) - Photomontage original, collage sur page de magazine montée sur carton - collection Shane Akeroyd. © Linder

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°386 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Linder - En panne d’inspiration

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